L'Etat sanctionné pour avoir suspendu TikTok pendant les émeutes calédoniennes
Le Conseil d'État a jugé que la suspension de l'accès à TikTok en mai 2024 en Nouvelle-Calédonie constituait une atteinte disproportionnée aux libertés fondamentales. L'État a été condamné à indemniser les requérants.
Une décision gouvernementale jugée illégale
Entre le 15 et le 29 mai 2024, en pleine vague d'émeutes en Nouvelle-Calédonie, le gouvernement avait ordonné le blocage total de TikTok sur l'archipel. Cette mesure, prise par le Premier ministre de l'époque, Gabriel Attal, visait à limiter la diffusion de contenus jugés incitatifs à la violence. La plus haute juridiction administrative a annulé cette décision pour excès de pouvoir, considérant qu'elle portait "une atteinte disproportionnée aux droits et liberté", selon le communiqué du Conseil d'État.
L'institution reconnaît que des circonstances exceptionnelles peuvent justifier une telle mesure, à condition qu'elle respecte trois critères : être indispensable face à des événements d'une particulière gravité, qu'aucune solution alternative moins contraignante ne soit possible, et que la durée soit strictement limitée pour permettre la mise en œuvre de ces solutions. En l'occurrence, la suspension de TikTok "ne respectait pas l'ensemble de ces conditions", a jugé le Conseil d'État cité dans Le Monde.
Le gouvernement n'avait ni fixé de durée précise à la coupure ni exploré des options comme la désactivation partielle de certaines fonctionnalités de la plateforme. L'accès a été interrompu de façon illimitée, sur la base de la seule persistance des troubles à l'ordre public.
Un précédent encadré juridiquement
Le Conseil d'État précise que l'interruption d'un service de communication au public en ligne "n'est en principe possible que dans les cas prévus par la loi", du fait de l'atteinte qu'elle représente aux libertés d'expression, d'opinion et d'accès à l'information. Il rappelle cependant que, même hors état d'urgence, le régime des circonstances exceptionnelles, issu d'une jurisprudence de plus d'un siècle, permet de déroger temporairement aux règles habituelles si la situation l'exige.
Dans cette affaire, les juges admettent que la gravité des événements – qui ont entraîné 14 morts, dont deux gendarmes – justifiait une réaction immédiate. Ils soulignent toutefois que la durée indéterminée de la coupure et l'absence de solutions alternatives constituent une violation du droit.
Des associations et particuliers à l'origine du recours
Le recours contre l'État avait été engagé par trois particuliers, la Ligue des droits de l'homme (LDH) et La Quadrature du Net. Le Conseil d'État leur a donné raison et a condamné l'État à leur verser 3 000 euros chacun, comme l'indique Les Échos.
Interrogé par l'AFP et cité dans RFI, Vincent Brengarth, avocat des requérants, a estimé : "C'est une victoire à la Pyrrhus car, même si elle est précieuse pour les libertés en des temps dégradés, elle entérine surtout le principe d'une suspension d'un réseau social en cas de circonstances exceptionnelles". Une inquiétude partagée par Patrice Spinosi, avocat de la LDH, qui a déclaré : "Un gouvernement populiste pourra s'inspirer de cette décision en la détournant pour adopter des mesures restreignant les libertés de l'ensemble des citoyens en se bornant à invoquer des 'circonstances exceptionnelles'".
Le rôle de TikTok dans les violences souligné par l'exécutif
Lors de la crise, les autorités françaises avaient justifié le blocage de TikTok en Nouvelle-Calédonie par l'utilisation supposée de la plateforme pour organiser les actions violentes. Le Conseil d'État confirme que le réseau social "avait été utilisé pour diffuser des contenus incitant au recours à la violence et se propageant très rapidement", en raison de ses algorithmes.
Ce point n'absout pas la responsabilité de l'État, car même en cas d'usage problématique d'un réseau social, la coupure générale et sans limitation de durée reste incompatible avec les droits fondamentaux.