Mode jetable, lobbying et chaos logistique : les dégâts silencieux de la fast fashion
La montée en puissance de la fast fashion, incarnée par Shein et Temu, transforme profondément la chaîne logistique du textile en France. Parallèlement, le cadre législatif tente d'évoluer face à ces nouvelles pratiques, tandis que les méthodes d'influence de ces acteurs suscitent l'attention des parlementaires.
Un modèle logistique bouleversé
Shein et Temu ont imposé un fonctionnement sans stock local, avec une expédition directe depuis l'étranger. Selon Les Echos, ce modèle remet en cause les schémas établis, notamment celui de la livraison en J+1 mis en place par Amazon. Vincent Ricci, directeur général France de GXO, indique que "des clients commencent à se poser la question de savoir s'il faut arrêter de livrer le marché français en J+1", au profit de plateformes en Espagne ou Pologne.
GXO, qui gère 70 entrepôts pour des marques comme Decathlon ou La Redoute, observe une baisse d'activité dans certaines structures automatisées. Le coût de l'immobilier et des salaires en France rend l'option étrangère plus compétitive. Pour livrer rapidement, il faut multiplier les entrepôts ; une logistique centralisée permet de rationaliser les charges.
La Poste, chargée d'acheminer une partie des colis venant de Chine, note que "avec les Chinois, on ne gagne pas beaucoup d'argent, on préfère travailler avec d'autres". Les marchandises, arrivées par avion à Roissy-CDG, sont injectées directement dans les réseaux de tri de Colissimo, Chronopost ou Mondial Relay, sans passer par un stock local.
Encadrement législatif et influence ciblée
La proposition de loi portée par Anne-Cécile Violland, adoptée à l'Assemblée en mars 2024 et actuellement examinée au Sénat, vise à introduire une définition légale de la fast fashion et à imposer des obligations de transparence aux plateformes. Elle prévoit aussi un système de bonus-malus lié à l'impact environnemental.
Mais plusieurs dispositions initiales ont été modifiées. Le Figaro rapporte que l'interdiction de la publicité, jugée contraignante pour la liberté d'entreprendre, a été écartée par la majorité sénatoriale. Sylvie Valente Le Hir, rapporteure du texte, déclare : "Il faut établir des règles, les frapper le mieux possible et le plus fort possible".
En parallèle, France Info décrit un ensemble d'actions menées par Shein en amont de l'examen de la loi. Le groupe a envoyé un rapport rédigé par Frédéric Jenny à tous les parlementaires, et sollicité de nombreux rendez-vous. Un sénateur affirme avoir reçu plusieurs demandes de rencontre, évoquant un lobbying "particulièrement insistant".
Le groupe a aussi constitué un comité consultatif composé de figures publiques françaises comme Christophe Castaner, Nicole Guedj et Bernard Spitz. Cette initiative a provoqué une réaction de la Fédération française du prêt-à-porter féminin, qui a fait part de sa "profonde indignation".
Deux ONG, Les Amis de la Terre et l'Observatoire des multinationales, ont saisi la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), dénonçant un manque de clarté sur les déclarations d'intérêts du groupe. Christophe Castaner affirme que "le contrat entre Villanelle Conseil et la société représentant Shein n'est pas un contrat de lobbying, mais d'appui et de conseil".