La France rêve de devenir le nouveau refuge des chercheurs américains

La France rêve de devenir le nouveau refuge des chercheurs américains En quelques semaines, près de 300 candidatures ont été déposées auprès d'une seule université française. Derrière ces chiffres, des trajectoires bousculées par les réformes en cours aux États-Unis.

Alors que l'administration Trump remet en cause certains fondements de la recherche scientifique aux États-Unis, la France tente d'attirer des chercheurs américains en instaurant un dispositif d'accueil financé sur plusieurs années. Mais entre appels à candidatures, doutes des intéressés et écarts de moyens, les premiers résultats restent partiels.

Un appel lancé à une communauté scientifique fragilisée

Le 5 mai 2025, à la Sorbonne, Emmanuel Macron a invité les chercheurs du monde entier à rejoindre la France pour exercer leur métier dans un cadre respectueux de la liberté académique. Cet appel intervient dans un contexte où plusieurs scientifiques américains ont vu leurs postes supprimés ou leurs financements annulés, parfois sans explication.

Kartik Sheth, ancien conseiller scientifique à la NASA, a perdu son poste en mars. Il a ensuite été accueilli à Aix-Marseille, où il a visité un laboratoire et échangé avec le chef de l'État, selon Les Echos. L'offre française l'intéresse, mais il reste prudent. Il évoque des contraintes personnelles, mais aussi des différences importantes entre les systèmes scientifiques français et américain.

L'université d'Aix-Marseille, dès le 7 mars, a proposé un budget de 15 millions d'euros pour accueillir des chercheurs étrangers. Elle a enregistré près de 300 candidatures en un mois. Parmi les postulants, Joséphine (nom modifié), sociologue de 43 ans déjà installée à Marseille, voit dans ce dispositif une continuité logique, sa discipline étant directement affectée par les restrictions imposées par l'administration Trump. L'établissement prévoit entre 20 et 30 recrutements, actuellement en phase de sélection.

Des conditions d'accueil jugées insuffisantes

Le programme "Choose France for Science", doté de 100 millions d'euros via l'Agence nationale de la recherche, vise à cofinancer 100 projets sur trois ans. Selon Claire Giry, présidente de l'ANR, ce soutien reste limité en comparaison avec les moyens déployés par les États-Unis, où la R&D représentait 700 milliards de dollars en 2022, soit 3,57% du PIB. En France, ce taux plafonne à 2,22%, avec des crédits publics et privés atteignant 60 milliards d'euros la même année.

Des chercheurs actuellement en poste aux États-Unis, comme Pierre Gentine à Columbia, rappellent que la liberté académique ne suffit pas si les moyens ne suivent pas. Son laboratoire, encore financé à hauteur de cinq millions d'euros par an, emploie cinquante personnes. Il préfère maintenir ses activités actuelles malgré un intérêt personnel pour la France.

Outre les écarts de budget, les différences salariales, les régimes de retraite ou les démarches administratives jouent aussi un rôle dissuasif. Certains scientifiques, à l'image de David Fidock, professeur de microbiologie à Columbia, envisagent des solutions intermédiaires. Il projette un détachement partiel, avec une présence mensuelle dans une institution française tout en conservant son poste à New York.

Des exigences élevées, un impact encore limité

Chaque candidat doit porter un projet suffisamment solide pour être éligible à un financement européen de type ERC après deux ans. Le ministère de l'Enseignement supérieur précise que l'objectif n'est pas d'accueillir tous les profils, mais de favoriser les candidatures jugées les plus prometteuses.

Cette orientation suscite des réserves. Le programme PAUSE, destiné aux chercheurs venant de zones de conflit, n'a reçu que 33 millions d'euros depuis 2017 pour plus de 600 bénéficiaires. À l'inverse, les 100 millions d'euros mobilisés ici concernent une centaine de projets seulement, avec des rémunérations parfois supérieures aux grilles de la fonction publique.

D'autres freins relèvent de situations personnelles : obligations familiales, enfants scolarisés, proches âgés. Le Canada, géographiquement et culturellement plus proche, reste une alternative souvent privilégiée. En dépit d'un accueil favorable exprimé par plusieurs institutions françaises, les chercheurs se montrent prudents, faute de garanties sur le long terme.