Pourquoi Donald Trump séduit une part croissante du monde de la tech

Pourquoi Donald Trump séduit une part croissante du monde de la tech Quasi unanimement hostile à l'ancien président il y a encore quelques années, l'industrie est en train de virer de bord, alors que plusieurs personnalités de premier plan, Elon Musk en tête, soutiennent désormais la candidature de l'ex président.

La tech américaine est-elle en train de virer à droite ? Suite à la tentative d'assassinat contre Donald Trump, le 13 juillet dernier, Elon Musk a officiellement annoncé son soutien à l'ancien président, en lice pour sa réélection. Quelques jours plus tard, Marc Andreessen et Ben Horowitz, les fondateurs d'Andreessen Horowitz (surnommé A16Z), l'un des fonds en capital-risque les plus célèbres de la Silicon Valley, annonçaient qu'une victoire de Trump était nécessaire pour le futur de l'innovation aux Etats-Unis, et promettaient des donations substantielles pour faire réélire l'ancien président.

Un petit séisme dans le monde de la tech : Elon Musk avait jusqu'ici appelé à voter démocrate lors de chaque élection présidentielle, tandis que Marc Andreessen avait soutenu Hillary Clinton en 2016. L'investisseur David Sacks, qui avait lui aussi soutenu la candidate démocrate en 2016, est également devenu un soutien affiché de Donald Trump.

L'heure où Peter Thiel faisait figure de mouton noir au sein de la tech américaine en se rangeant derrière Donald Trump en 2016 semble désormais bien lointaine. Le milliardaire, cofondateur de PayPal, de l'entreprise de big data Palantir et du fonds d'investissement Mithril Capital, est à présent entouré par nombre de ses pairs. La Silicon Valley, si elle demeure majoritairement démocrate, penche ainsi de plus en plus vers la droite. Une tendance qui n'est pas cantonnée à quelques figures médiatiques. En 2020, 5 % seulement des donations effectuées par les employés de Meta, Google, Apple et Amazon étaient allées aux républicains. En 2022, pour les élections de mi-mandat, ce chiffre avait triplé pour atteindre 15 %. Si les conservateurs demeurent minoritaires, le vent souffle donc clairement en leur faveur.

Comment Trump a séduit une partie du monde de la tech…

La Silicon Valley a longtemps été un bastion de gauche en Amérique. En 2018, Peter Thiel la qualifiait même de "régime de parti unique" pour justifier son déménagement à Los Angeles. Les gains de popularité de Donald Trump au sein de la tech américaine s'expliquent d'abord par la stratégie adoptée par ce dernier. En quête de soutiens (et de fonds) pour sa réélection, il multiplie les entreprises de séduction à l'égard de l'industrie, posant en farouche défenseur de la liberté d'expression, ce qui séduit la fibre libertarienne de la tech américaine, et promettant d'abaisser les régulations pesant sur les industries émergentes, en particulier l'intelligence artificielle (IA).

L'ancien président s'affiche également en champion du bitcoin et des cryptomonnaies en général, promettant d'être un "président crypto", au service des 50 millions d'Américains qui en détiennent, de favoriser l'essor de l'industrie du minage sur le sol américain, ainsi qu'un niveau de régulation minimal.

Enfin, l'opération séduction de Trump auprès de la tech passe aussi par le choix de son colistier, JD Vance, résolument pro-cryptos et proche de l'industrie des nouvelles technologies. Ami de Peter Thiel, JD Vance a créé en 2020 un fonds en capital-risque, Narya Capital, avec l'argent du milliardaire, de Marc Andreessen et d'Eric Schmidt (l'ancien patron de Google).

…et comment l'administration Biden s'est mise celle-ci à dos

Mais l'OPA menée par l'ancien président fonctionne aussi dans la mesure où l'administration Biden a adopté une ligne dure contre la tech et les Gafam. Là où la présidence Obama avait pris l'apparence d'une lune de miel entre Washington et la Silicon Valley, celle de Biden a été marquée par la volonté de davantage réguler une industrie montrée du doigt pour ses externalités négatives, depuis les infox diffusées sur les réseaux sociaux en passant par son traitement des travailleurs et son impact écologique.

Le président américain a notamment nommé deux personnalités partisanes d'une ligne dure à l'encontre des Gafam à deux postes clefs : Jonathan Kanter a pris la tête de la division antimonopole du Département de la Justice, tandis que Lina Khan a été nommée à la tête de la Federal Trade Commission (FTC), le gendarme américain de la concurrence. Ensemble, ils ont multiplié les enquêtes pour abus de position dominante contre les Gafam.

Certaines lois votées par l'administration Biden font également grincer des dents au sein de la tech. La prise en compte des normes RSE par les fonds de pension, en vigueur depuis janvier 2023 et actuellement évaluée par la Cour suprême, est vue comme nuisible à la bonne marche des affaires, tandis qu'un projet de taxation des plus-values latentes et de hausse d'impôts pour les plus riches déplaît dans la Silicon Valley. Dans ce contexte, la posture business friendly de l'administration Trump, qui avait au contraire baissé les impôts et les normes sociales et environnementales, apparaît comme d'autant plus séduisante.

Quelques maladresses ont également suscité des rancunes, comme le choix de ne pas inviter Elon Musk, pourtant à la tête de Tesla, entreprise pionnière dans le domaine, à un événement organisé en août 2021 sur les voitures électriques à la Maison-Blanche, avec plusieurs constructeurs automobiles, dont Ford et General Motors.

Kamala Harris, plus en faveur que Joe Biden auprès de la tech

Réel, le mouvement de balancier de la tech vers le Parti républicain ne doit toutefois pas être surestimé. L'industrie penche encore très majoritairement à gauche, et la région de la baie de San Francisco fait toujours figure de bastion progressiste. Lors de la présidentielle de 2020, le comté de Santa Clara, qui abrite la majorité de la Silicon Valley, a voté à 73 % pour Joe Biden.

En outre, le désistement du président au profit de Kamala Harris pourrait bien être une mauvaise nouvelle pour Donald Trump. Procureure du district de San Francisco de 2007 à 2011, puis procureure générale de Californie de 2011 à 2017, elle s'est montrée durant son mandat très proche de la tech, laissant passer un grand nombre de fusions et concluant un accord en 2012 sur la protection de la vie privée des utilisateurs de smartphone, largement salué par l'industrie. Lors de sa tentative d'emporter l'investiture démocrate en 2020, elle avait ainsi reçu de nombreux soutiens au sein de la Silicon Valley, dont celui du dirigeant de Salesforce, Marc Benioff, du président de Microsoft, Brad Smith, et de Sam Altman, d'OpenAI.

Peu après l'annonce qu'elle remplacerait Joe Biden, Reid Hoffman, entrepreneur et investisseur de la Silicon Valley aux sympathies démocrates, qui avait exprimé des doutes sur la candidature de Joe Biden, l'a immédiatement soutenue, promettant 7 millions de dollars pour sa campagne et déclarant sur CNN qu'elle serait "beaucoup plus pro-business que Trump". Ron Conway, un autre investisseur influent, lui a emboité le pas et promis un soutien "infaillible" à la vice-présidente. Ils ont rapidement été imités par nombre de leurs confrères : sa campagne a ainsi levé plus de 50 millions de dollars dans les 24 heures suivant l'annonce de Joe Biden.