Election américaine : la désinformation bat son plein, aidée par l'intelligence artificielle

Election américaine : la désinformation bat son plein, aidée par l'intelligence artificielle Plusieurs adversaires des Etats-Unis, en particulier la Russie, l'Iran et la Chine, cherchent à favoriser un candidat ou l'autre, et surtout à exploiter les divisions de la société américaine.

Une vidéo montrant un homme en train de brûler des bulletins de vote par correspondance en faveur de Donald Trump a récemment fait le buzz sur les réseaux sociaux, rassemblant des millions de vues. La vidéo a suscité d'autant plus d'indignation qu'elle se situait dans le comté de Bucks, en Pennsylvanie, l'un des swing states dans lesquels va se décider l'élection, et où les deux candidats sont au coude à coude à quelques heures de l'élection présidentielle aux Etats-Unis.

Cependant, le comté de Bucks n'a pas tardé à publier un démenti, affirmant sans ambages que la vidéo était factice, plusieurs détails, dont les enveloppes, ne collant pas avec la réalité. Dans la foulée, plusieurs agences américaines, dont l'Office of the Director of National Intelligence (ODNI), le FBI and la Cybersecurity and Infrastructure Security Agency (CISA) ont, dans une déclaration commune, identifié le contenu comme émanant d'une campagne de désinformation pilotée par la Russie.

La diffusion de ces faux contenus, qui peuvent rapidement prendre de l'ampleur sur les réseaux sociaux avant d'être débusqués, pose un véritable défi pour les autorités américaines. D'autant que la Russie n'est pas la seule puissance étrangère qui cherche à semer la zizanie. Face à une élection survoltée, d'autres adversaires des Etats-Unis, en particulier l'Iran et la Chine, mènent également des opérations allant dans ce sens.

La Russie favorise le clan Trump

Pour la Russie, l'objectif principal semble être d'accroître les divisions au sein de la société américaine et de semer le doute sur la fiabilité du processus électoral, jouant sur les tensions qui ont déjà émergé à cet égard lors de l'élection de 2020 et la contestation du résultat par Donald Trump, selon les autorités américaines. "Cette activité russe fait partie d'un effort plus large de la part de Moscou visant à soulever des interrogations non fondées quant à l'intégrité de l'élection américaine et à attiser les divisions entre Américains", lit-on ainsi dans la déclaration signée par les trois agences. Elles affirment avoir par ailleurs détecté une autre fausse vidéo virale montrant un individu déchirant des bulletins de vote, toujours en Pennsylvanie.

Une partie des efforts déployés par des acteurs russes vise également à décrédibiliser la campagne démocrate, en s'appuyant sur des deepfakes afin de colporter de fausses rumeurs sur Kamala Harris et son colistier, Tim Walz. Selon une enquête menée par des chercheurs du Media Forensics Hub de l'université de Clemson, en Caroline du Sud, et des journalistes du medium américain CNN, cette campagne est notamment pilotée par un groupe baptisé Storm-1516, proche de la Russian Foundation to Battle Injustice.

Lancée en 2021 par feu l'ancien leader de Wagner Evgueni Prigojine, cette organisation se pose en groupe de défense des droits de l'homme, mais s'est en réalité spécialisée dans la diffusion d'infox sur la guerre en Ukraine, et désormais l'élection américaine. Parmi les faux contenus poussés par Storm-1516, figure une prétendue vidéo d'un ranger travaillant pour un parc national en Zambie, affirmant que Kamala Harris aurait tué un rhinocéros appartenant à une espèce menacée lors d'un safari sur place. Les autorités du parc ont nié l'authenticité de la vidéo, et l'analyse des chercheurs de l'université de Clemson a montré que le visage du ranger avait été artificiellement modifié, suggérant qu'il s'agit d'un deepfake.

Un autre deepfake, audio cette fois-ci, accuse Tim Walz d'avoir sexuellement agressé une étudiante kazakhe lorsqu'il était professeur dans le Minnesota. Là encore, les autorités américaines ont identifié des traces indéniables de manipulation prouvant qu'il s'agit d'un faux généré par l'IA.

La campagne d'Harris a en retour accusé Vladimir Poutine de chercher à favoriser l'élection de Donald Trump car "il lui céderait sur tout ce qu'il veut." Si Donald Trump prône effectivement une politique isolationniste, a remis en question à plusieurs reprises le soutien de son pays à l'Ukraine et a déjà parlé de Vladimir Poutine en termes élogieux, sa politique vis-à-vis de la Russie lors de son premier mandat a toutefois été plus contrastée que ne le disent les démocrates. L'ancien président a ainsi livré pour la première fois des armes létales à l'Ukraine (des missiles Javelin), il a nommé John Bolton, partisan d'une ligne dure contre la Russie, au poste de Conseiller à la sécurité nationale, il a signé un accord d'armement avec la Pologne qui a provoqué la fureur de Moscou et s'est retiré d'un traité nucléaire avec la Russie. Sa politique a en outre été très agressive vis-à-vis de l'Iran, un allié de Moscou.

L'Iran veut empêcher une victoire républicaine

L'Iran, justement, déploie également des efforts pour influencer la campagne électorale américaine, mais ceux-ci semblent viser un objectif inverse à celui poursuivi par Moscou. Trump ayant abandonné l'accord sur le nucléaire iranien signé par Barack Obama, mis en place une vague de sanctions économiques draconiennes contre l'Iran, bombardé à deux reprises la Syrie, alliée de Téhéran, et assassiné le général Qassem Soleimani, le régime des mollahs semble déterminé à l'empêcher d'accéder de nouveau à la Maison-Blanche.

Des hackers iraniens auraient notamment piraté les communications de membres de la campagne de Donald Trump et offert (a priori sans succès) les données aux démocrates et aux media américains, dans l'espoir que des informations compromettantes émergent, selon le FBI.

Tout comme les Russes, les Iraniens chercheraient également à semer les graines de la discorde aux Etats-Unis, à jeter le doute sur la fiabilité de l'élection et à nourrir d'éventuelles manifestations de mécontents suite au résultat. Les autorités américaines accusent aussi l'Iran d'avoir soutenu et amplifié les manifestations pro-palestiniennes aux Etats-Unis, une expérience dont ils pourraient tirer profit afin d'amplifier d'autres types de manifestations.

La Chine joue sur tous les tableaux

Si les hackers chinois sont eux aussi à la manœuvre, leur rôle serait plus ambigu, selon les autorités américaines, et se concentrerait sur deux objectifs. Le premier : favoriser certains candidats au Congrès, d'un bord politique comme de l'autre, en fonction de leurs positions vis-à-vis de la Chine et de Taïwan.

Le second : accéder à des informations confidentielles dans l'espoir que certaines se révèlent utiles tôt ou tard. Vendredi 25 octobre, les autorités américaines ont ainsi révélé que les portables de Donald Trump, son colistier JD Vance, ainsi que de membres de la campagne de Kamala Harris avaient été la cible de hackers chinois, sans que l'on sache si ceux-ci étaient parvenus à dérober des données.

Des interférences aggravées par l'IA

Les tentatives de manipulation électorales sont facilitées par l'essor de l'intelligence artificielle générative. Celle-ci permet en premier lieu aux acteurs animés d'intentions malveillantes d'écrire de manière irréprochable dans une langue qui n'est pas la leur, rendant les infox diffusées d'autant plus convaincantes. Le contraste entre les ingérences russes dans la campagne actuelle et celle de 2016 est ainsi flagrant. En 2016, nombre de comptes se faisant passer pour Américains publiaient des posts simplistes, truffés de faute d'orthographe, de grammaire et de syntaxe. "Hillary est un Satan", écrivait par exemple un faux compte dans un statut Facebook. Désormais, les messages sont bien mieux écrits et policés.

D'autre part, l'IA générative permet de concevoir très facilement des deepfakes, ces faux contenus audio et vidéo générés par l'IA, pour certains tellement réels qu'il faut une analyse poussée pour les débusquer. Comme les acteurs malveillants peuvent désormais inonder la toile de ce type de contenus, avec le jeu des algorithmes sur les réseaux sociaux, les autorités n'ont pas le temps de tous les démasquer avant qu'ils fassent le buzz.