La fracture entre populistes et techno-libertariens apparaît au grand jour au sein de la coalition MAGA
La droite américaine se déchire sur la question de l'immigration légale. Un désaccord de fond entre deux facettes difficilement conciliables du trumpisme.
Avant même que Trump ne prenne officiellement le pouvoir, les clivages au sein de la vaste coalition qui l'a porté à la Maison-Blanche sont apparues au grand jour durant les fêtes, à l'occasion d'une controverse autour du visa H-1B, qui permet aux entreprises américaines de recruter des talents étrangers.
D'un côté, la frange techno-libertarienne de la coalition, qui veut diminuer l'immigration clandestine mais aussi augmenter l'immigration légale, afin de permettre à l'Amérique de continuer à attirer les cerveaux du monde entier et à s'imposer ainsi dans la compétition économique internationale. De l'autre, la frange populiste, qui veut limiter toute immigration, y compris légale, par crainte d'un changement de population et d'une pression à la baisse sur les salaires.
S'il s'agit en théorie d'un visa temporaire, conçu pour permettre aux étrangers de travailler quelques années aux États-Unis avant de rentrer chez eux, le H-1B constitue dans la pratique une voie royale vers l'immigration permanente aux États-Unis. Entre 2008 et 2018, 86 % des cartes vertes attribuées dans le pays l'ont été à des travailleurs détenteurs d'un visa non-immigrant, catégorie dont fait partie le H-1B.
Aux origines de la controverse
Tout a commencé par la nomination de Sriram Krishnan, un investisseur de la Silicon Valley américain né en Inde, au poste de conseiller de la Maison-Blanche sur l'intelligence artificielle par l'administration Trump. Dans une série de messages publiés sur X, Laura Loomer, une fidèle trumpiste et figure de la droite identitaire américaine, s'est offusquée de cette nomination, accusant Siram Krishnan d'être un "gauchiste" en opposition avec l'agenda "America First" de Donald Trump. Elle a notamment mis en cause des prises de position passées de Sriram Krishnan en faveur d'une augmentation du nombre de cartes vertes, avant d'accuser les immigrés indiens d'"envahir" les États-Unis.
Plusieurs figures du monde de la tech récemment ralliées à Trump ont pris la défense de Sriram Krishnan, dont David Sacks, qui occupe une position clef au sein de la nouvelle administration Trump. La querelle a toutefois dépassé le stade de l'attaque ad-hominem pour déboucher sur un débat de fond lorsque Vivek Ramaswamy, entrepreneur d'origine indienne nommé à la tête du nouveau Department of Gouvernement Efficiency (DOGE) avec Elon Musk, a défendu à son tour les programmes d'immigraton légale, en particulier le visa H-1B, qui permettent aux États-Unis d'attirer les cerveaux du monde entier.
Une défense bientôt reprise par Elon Musk, qui a lui-même immigré aux États-Unis grâce à un visa H-1B, et dont la société Tesla recourt massivement à ces visas pour recruter depuis l'étranger. Des vieux routards du mouvement MAGA, dont Steve Bannon, figure de l'extrême-droite américaine et conseiller de l'ombre de Trump au début de son premier mandat, sont quant à eux monté au créneau pour dénoncer (pas tout à fait sans fondements) un programme utilisé par les patrons américains pour recruter de la main d'œuvre bon marché à l'étranger plutôt que des travailleurs américains, et accusé Musk de défendre son porte-monnaie plutôt que les intérêts du pays.
Ils ont reçu le soutien de Nikki Haley, qui s'est longuement opposée à Donald Trump durant la campagne avant de le rallier à la dernière minute, et, de manière plus surprenante, de Bernie Sanders, sénateur républicain du Vermont, de sensibilité socialiste, qui a lui aussi dénoncé l'usage qu'en font les patrons américains pour faire pression sur les travailleurs et les salaires.
Après plusieurs jours de suspense, Donald Trump a (temporairement) mis fin à la dispute en se prononçant en faveur du programme H-1B (qu'il avait pourtant restreint durant son premier mandat), affirmant qu'il y recourait lui-même pour recruter des travailleurs dans ses différentes propriétés.
Populistes contre techno-libertariens
Si la querelle a pour l'heure été mise en sourdine, il est fort probable qu'elle ressurgisse incessamment sous peu, tant elle illustre une profonde division au sein de la fragile coalition qui a permis à Donald Trump de remporter haut la main un nouveau mandat. D'un côté, on trouve la vieille garde du parti républicain, très conservatrice sur le plan des mœurs mais pro-business (donc ouverte à l'immigration légale et qualifiée). Celui-ci peut désormais compter sur le soutien des techno-libertariens, Elon Musk en tête, qui exercent une grande influence sur l'administration Trump 2.0.
De l'autre, le noyau dur originel du mouvement MAGA, composé, d'une part, de militants de droite identitaire qui souhaitent arrêter toute immigration pour que les États-Unis conservent une population majoritairement d'origine européenne, et, d'autre part, de populistes qui souhaitent que le parti républicain pivote vers la défense des travailleurs et des classes populaires. Cette dernière faction est notamment incarnée par le sénateur du Missouri Josh Hawley, partisan d'une hausse du salaire minimum et défenseur des syndicats, qui a dénoncé à plusieurs reprises les conditions qu'une entreprise comme Amazon impose à ses salariés.
Cette frange populiste accuse le parti démocrate d'avoir abandonné la défense des classes populaire au profit de celle des minorités ethniques et sexuelles, et y voit une formidable occasion pour le parti républicain de récupérer le vote de ces dernières, quelle que soit leur couleur de peau et leur orientation sexuelle, en défendant des politiques sociales et pro-travailleurs, à rebours des positions historiques du parti, plutôt favorables aux grandes entreprises et aux classes aisées depuis la présidence Ronald Reagan. Sur le plan médiatique, elle est également défendue par le journaliste Tucker Carlson, qui s'est par exemple prononcé pour une interdiction des camions autonomes menaçant les emplois des chauffeurs routiers.
Durant la campagne, Trump a intelligemment joué sur l'ambiguïté pour éviter de se prononcer en faveur de l'une ou l'autre des factions, donnant tantôt des gages aux techno-libertariens (défense des crypto-monnaies, promesses de baisses d'impôts et de dérégulations) et aux populistes (mise en place de tarifs douaniers pour favoriser la création d'emplois et la réindustrialisation aux États-Unis), n'hésitant pas à se contredire lui-même sur les sujets les plus épineux (il s'est ainsi successivement prononcé pour et contre le visa H-1B). Jusqu'au choix de son colistier JD Vance illustre cette ambiguïté, le nouveau vice-président étant lui-même tiraillé entre des positions techno-libertariennes et populistes.
Tempête sur la coalition MAGA
Mais si Trump a facilement pu mettre ces contradictions sous le tapis durant la campagne, l'union sacrée entre populistes et techno-libertariens risque fort de se fracturer avec l'exercice du pouvoir, lorsqu'il deviendra évident qu'il est impossible de satisfaire à la fois les deux factions, aux intérêts antagonistes sur de nombreux sujets.
Outre l'affaire des visas H-1B, notons par exemple que Musk s'est exprimé contre la mise en place de tarifs douaniers sur les véhicules électriques venus de Chine (où sont produites plus de la moitié des voitures de Tesla).
Mike Johnson, le leader républicain de la Chambre des Représentants (chambre basse du Congrès), a été réélu d'extrême justesse la semaine dernière après la fronde d'une partie des élus républicains, illustrant la fragilité de la coalition républicaine malgré son contrôle de toutes les branches du gouvernement. Alors que le parti souhaite passer un paquet législatif incluant de nombreuses mesures autour de la protection des frontières, de l'énergie, des tarifs douaniers, de la politique industrielle et des impôts, l'opposition entre les deux grandes tendances de la coalition MAGA pourrait bien de nouveau éclater au grand jour et compliquer considérablement les débats, ainsi que le passage du texte.