Trump fait paniquer les marchés américains
La panique se poursuit à la bourse de New York. Le S&P 500, l'un des principaux indices boursiers américains, est en baisse de 8,3% sur les 30 derniers jours, date à laquelle il avait atteint un pic historique. D'autres indices de premier plan, comme le Nasdaq et le Dow Jones Industrial Index, connaissent actuellement le même sort. Tous trois ont désormais des valeurs inférieures à celles qui étaient les leurs au moment de la réélection de Trump.
Les performances actuelles de la bourse comptent parmi les pires qu'un président ait connues lors des 50 premiers jours passés sa prise de pouvoir.
Vent de panique chez les investisseurs
Dimanche, lors d'une interview accordée à Fox News, une chaîne de télévision conservatrice américaine, Trump n'a pas nié la possibilité d'une récession, affirmant que son administration mettait en place les mesures nécessaires pour "reconstruire une économie solide", ce qui impliquait une "période de transition" et qu'il ne fallait pas garder les yeux rivés sur la bourse. "Les Chinois raisonnent à un siècle, nous raisonnons à un trimestre", a déclaré le président américain. Ces propos, qui viennent s'ajouter à plusieurs décisions économiques récentes, dont le chaos autour des tarifs douaniers contre le Canada et le Mexique (que Trump a délayé une seconde fois d'un mois la semaine passée deux jours après leur entrée en vigueur) et l'action du DOGE pour tailler dans les dépenses fédérales, semblent avoir provoqué la panique actuelle à la bourse.
"Tout cela est entièrement imputable à la politique économique de Donald Trump", affirme ainsi l'économiste Dario Perkins. "Il y a eu une période d'euphorie parmi les marchés suite à sa réélection : les investisseurs n'ont voulu voir que les aspects séduisants de son programme, comme la baisse des impôts et les dérégulations, en oubliant le reste, en particulier les tarifs douaniers." Mais contrairement à son premier mandat, qu'il avait entamé par des baisses d'impôts et dérégulations avant de mettre en place ses premiers tarifs douaniers en 2018, Donald Trump a cette fois-ci attaqué avec les mesures les plus à même de susciter la panique au sein des milieux économiques. Le tout de manière chaotique, comme l'illustrent les retournements de veste successifs au sujet des tarifs douaniers contre le Mexique et le Canada.
Les milieux économiques espéraient, en outre, que les tarifs douaniers étaient avant tout une menace brandie par Trump, qu'il ne comptait pas vraiment mettre à exécution et dont il entendait simplement se servir pour obtenir des concessions des pays tiers et mettre en valeur son sens des affaires. Maintenant que le président semble on ne peut plus sérieux quant à la mise en œuvre de ces droits de douane, la bourse commence à paniquer.
L'entourage de Trump assume
A cela s'ajoute le changement de ton du président et de son entourage, qui n'a rien pour rassurer les investisseurs. Durant la campagne, Trump a fortement critiqué le bilan économique de son prédécesseur, Joe Biden, et promis de redonner un coup de fouet à l'économie, avec une accélération de la croissance ainsi qu'une baisse de l'inflation. Désormais, le président et ses proches assument le risque de dégradation économique, selon eux nécessaire à court terme pour mettre en œuvre leur agenda. Le secrétaire au Commerce, Howard Lutnick, a admis que les tarifs pourraient provoquer une hausse des prix (ce que Trump niait jusqu'à présent, affirmant qu'ils seraient payés par les entreprises étrangères), tandis que Scott Bessent, secrétaire au Trésor, a suggéré que l'économie américaine avait besoin d'une décélération après des années de croissance soutenue par une hausse des dépenses publiques et marquées par une hausse des prix.
"On a presque l'impression, à les entendre, que la récession serait une bonne chose, que cela permettrait de limiter l'inflation, etc. Mais une inflation mesurée et combinée à de la croissance et au plein emploi n'est pas une mauvaise chose. Une récession, en revanche, cause des dommages à tout le monde sans améliorer les finances publiques", souligne Dario Perkins.
Les marchés financiers ne sont pas les seuls à s'inquiéter. En novembre, la part des ménages qui s'attendaient à ce que leur situation financière s'améliore au cours de l'année à venir était au plus haut depuis 2020, d'après un sondage réalisé par la Federal Reserve Bank de New York. Le même sondage réalisé ce mois-ci montre que cette confiance s'est fortement dégradée, et le nombre de ménages craignant de ne pas pouvoir payer leurs dettes est désormais au plus haut depuis avril 2020, au cœur de la pandémie.
Les bourses chinoises et européennes en profitent
La situation actuelle marque un retournement spectaculaire par rapport aux deux derniers mois de l'année 2024 et au mois de janvier 2025, durant lesquels Trump promettait un "nouvel âge d'or" tandis que les investisseurs avaient foi en l'exceptionnalisme américain et la capacité de l'économie d'outre-Atlantique à continuer à croître plus vite que le reste du monde.
La situation s'est désormais inversée. Dopés notamment par la flambée des actions européennes de la défense, les marchés du Vieux continent connaissent des performances supérieures à celles de leurs homologues d'outre-Atlantique. Les marchés chinois ont également repris du poil de la bête, stimulés en particulier par l'effet DeepSeek qui a redonné un coup de lustre aux entreprises locales de l'IA.
"Il y a eu un véritable retournement depuis quelques semaines, les marchés américains sont moins attractifs aux yeux des investisseurs, qui se sont rendu compte qu'ils avaient trop confiance dans l'économie américaine et pas suffisamment dans celle du reste du monde, en particulier l'Europe et la Chine", note Dario Perkins.
La chute que connaissent les marchés d'outre-Atlantique est toutefois à nuancer. Elle fait en effet suite à plusieurs années de performances exceptionnelles aux Etats-Unis, durant lesquelles le S&P 500 a battu un record après l'autre. Il est en outre possible que les marchés se rallient au cas où Donald Trump change son fusil d'épaule et décide de mettre en place les éléments pro-croissance de son programme politique. Il n'est pas non plus dit que les Etats-Unis entrent en récession, pour Dario Perkins.
"Des corrections se produisent régulièrement sur les marchés sans que l'on parle pour autant de récession. Les tarifs douaniers pourraient être encore délayés ou supprimés, le DOGE pourrait avoir un impact plus faible que prévu… Il est vraisemblable que la croissance ralentisse, mais la récession n'est nullement une garantie."
Les contradictions du trumpisme
Récession ou pas, la situation actuelle pointe une limite inhérente au trumpisme. En effet, le président a été élu sur un programme contenant à la fois des éléments populistes (protectionnisme pour protéger et rapatrier les emplois des classes populaires, lutte contre l'immigration illégale) et des mesures plus en phase avec l'agenda traditionnel des républicains, pro-croissance et davantage à même de satisfaire les marchés financiers (baisses d'impôts, dérégulations, promotion des crypto-monnaies, etc).
Or, le président peut très difficilement satisfaire les deux partis, aux intérêts bien souvent opposés. Lors de son premier mandat, hormis quelques mesures protectionnistes assez symboliques, et une guerre commerciale contre la Chine satisfaisant tout le monde, Trump avait opté pour un agenda républicain classique, tissé de dérégulations et de baisses d'impôts, ce qui avait conduit la bourse à des niveaux records, mais avait aussi mécontenté les classes populaires des "swing states" qui lui avaient donné leurs votes, et que Trump a perdu en 2020 au profit de Joe Biden.
En cherchant à satisfaire la frange populiste de sa coalition, Trump risque désormais de s'attirer les foudres des milieux d'affaires, ainsi que des classes moyennes et moyennes supérieures qui ont voté pour lui en espérant des baisses d'impôt, une croissance soutenue et une inflation faible. Quel que soit le prochain coup que prépare le président américain, il lui sera très difficile de gagner sur tous les tableaux.