Le Brésil redéfinit la responsabilité des réseaux sociaux face à la haine en ligne

Le Brésil redéfinit la responsabilité des réseaux sociaux face à la haine en ligne Les entreprises du numérique devront désormais agir sans délai pour supprimer certains contenus sensibles, sous peine d'être tenues responsables des dommages causés.

La Cour suprême brésilienne a validé une décision qui oblige désormais les plateformes à supprimer certains contenus illégaux sans attendre une décision judiciaire. Cette mesure renforce le cadre juridique autour de la modération en ligne.

Une décision de justice qui modifie la loi brésilienne sur Internet

Le jeudi 26 juin, huit des onze magistrats de la Cour suprême du Brésil ont déclaré partiellement inconstitutionnel un article de la loi de 2014 sur le cadre civil de l'Internet. Cette disposition limitait jusqu'ici la responsabilité des plateformes aux seuls cas où elles refusaient d'appliquer une décision judiciaire. Avec ce vote, les réseaux sociaux comme X (ex-Twitter), Facebook, TikTok ou Instagram doivent désormais retirer immédiatement certains contenus jugés illégaux – notamment ceux qui incitent à la haine, promeuvent le terrorisme ou relèvent de la pédopornographie – dès qu'ils sont signalés, que ce soit par un utilisateur ou par un juge, sans qu'un tribunal ne statue au préalable.

Cette décision fera jurisprudence. Elle répond à un besoin exprimé par les juges de réagir plus rapidement aux publications en ligne susceptibles de causer un préjudice. Selon les nouvelles règles, si les plateformes ne procèdent pas à la suppression après avoir été notifiées, elles peuvent être tenues civilement responsables des dommages.

Des réactions contrastées sur les effets de cette régulation

Dans une déclaration envoyée à l'AFP, Google s'est dit "préoccupé" par le changement de la réglementation brésilienne qui pourrait avoir un "impact sur la liberté d'expression et l'économie numérique", cité par Le Figaro. Le juge Kassio Nunes Marques, l'un des trois membres de la Cour ayant voté contre ce durcissement, a estimé que la "responsabilité civile incombe principalement à celui qui a causé le dommage", comme le rapporte Le Monde.

À l'inverse, Luis Roberto Barroso, président de la Cour suprême, a défendu cette évolution juridique : "Nous préservons la liberté d'expression le plus que possible, sans pour autant laisser le monde tomber dans un abîme d'incivilités", a-t-il affirmé lors de l'annonce publique.

Cette décision intervient après plusieurs mois de débats au sein de la plus haute juridiction brésilienne sur la régulation du numérique. L'enjeu est particulièrement sensible depuis l'épisode de 2023, lorsque la Cour avait ordonné le blocage de la plateforme X pendant 40 jours pour non-respect de décisions judiciaires concernant la désinformation. À l'époque, Alexandre de Moraes, un autre juge de la Cour, avait accusé l'entreprise de ne pas coopérer avec la justice, ce qui avait conduit à un affrontement public avec le propriétaire de la plateforme, Elon Musk, qui avait qualifié le magistrat de "dictateur".

Contexte politique tendu et désinformation en ligne

Cette évolution du cadre légal s'inscrit dans un climat politique chargé. La Cour suprême mène actuellement un procès visant l'ancien président Jair Bolsonaro et plusieurs de ses proches pour une tentative présumée de coup d'État à la suite des élections de 2022. Selon le parquet, les accusés auraient eu recours à des campagnes de désinformation massives sur les réseaux sociaux afin de contester la légitimité du vote électronique et de justifier une insurrection. Cette affaire, en cours, a contribué à mettre la question de la modération des contenus au cœur des préoccupations judiciaires.