Collaboratif : comment l'Etat a développé et déployé sa propre suite numérique

Collaboratif : comment l'Etat a développé et déployé sa propre suite numérique Le JDN a eu l'occasion d'interroger en exclusivité Samuel Paccoud, directeur de la suite numérique au sein du département Opérateur de produits interministériels de la direction interministérielle du numérique.

Plateforme collaborative, messagerie instantanée, briques d'audio, de web conférence, d'échange de fichiers… Annoncée en mai 2024, la suite numérique de l'Etat se présente initialement sous la forme d'un agglomérat d'applications développées pour répondre au besoin de travail à distance dans le sillage de la pandémie de Covid-19. Depuis, la direction interministérielle du numérique (Dinum) a recentré le projet avec un objectif clair : outiller les agents publics avec une plateforme commune qui leur permettent de collaborer entre ministères. "L'idée n'est pas de venir remplacer les suites de productivité utilisée par chacun, mais plutôt de proposer des espaces de travail communs accessibles à tous en un clic", explique Samuel Paccoud, directeur de la suite numérique au sein du département Opérateur de produits interministériels de la Dinum.

Pour fédérer l'ensemble des agents des administrations centrales, la Dinum s'adosse à ProConnect, l'équivalent de France Connect pour les professionnels. En ligne de mire : adopter cette technologie comme solution d'identification unique pour l'ensemble des briques de la suite numérique de l'Etat. En partant de ce socle, la Dinum est parvenue assez rapidement à lancer des passerelles vers tous les ministères. Une première étape qui a été atteinte mi-2024. "Au-delà de l'administration centrale, on s'est assez vite rendu compte que les collectivités étaient intéressées par notre initiative, mais également certaines organisations privées travaillant en lien avec nos agents", indique Samuel Paccoud. "Du coup, nous avons étendu Proconnect à ces acteurs."

Pourquoi ne pas avoir opté pour Microsoft 365 ou Google Workspace ? "Parce que ces offres ne sont pas à niveau dans le collaboratif. Pour preuve, leurs utilisateurs ont recours à des outils tiers dans ce domaine, comme Trello ou Notion", indique Samuel Paccoud. Des solutions de productivité que la Dinum a prises pour modèle pour bâtir sa suite. L'environnement a été déployé sur des infrastructures sécurisées, depuis des clouds labellisés SecNumCloud jusqu'à des clouds internes à l'Etat. Autre critère : la volonté de développer la suite en open source pour contrôler les données qui y transitent tout en maîtrisant les coûts du projet et sa pérennité. Une stratégie pleinement assumée par la Dinum. "L'information est au cœur du métier de service public. En tant qu'Etat, nous avons une responsabilité forte sur ce terrain", argue Samuel Paccoud.

De la visio à l'e-mail

La suite numérique est également positionnée sur l'e-mail. Une application a été développée sur ce terrain pour les petits établissements publics ou les petites collectivités qui, compte tenu de leur taille, restent sur la touche sur le marché de la messagerie professionnelle. Le service en question a été développé en lien avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) pour gérer de quelques centaines à quelques milliers de boîtes mail.

Côté déploiement, la Dinum affiche déjà plusieurs indicateurs. Elle enregistre notamment plus de 400 000 personnes ayant ouvert un compte au sein de sa messagerie instantanée Tchap, et 200 000 utilisateurs actifs par mois sur cette application. 7 millions de message ont été échangés via ce canal sur le mois de novembre. Quant à l'outil de partage de fichiers Resana, il compte également 200 000 utilisateurs actifs par mois, tout comme le logiciel de visioconférence Webconf. "Nous avons par ailleurs des outils plus récents comme la plateforme collaborative Docs que nous développons en lien avec l'Allemagne. Cette application open source enregistrait plus de 1800 utilisateurs et plus de 2800 documents créés deux mois après son lancement", précise Arnaud Robin, directeur produit de la suite numérique au sein du département Opérateur de produits interministériels de Dinum.

"Nous priorisons les évolutions en fonction des retours du terrain, puis nous itérons"

Côté feuille de route, la Dinum a commencé par plancher au premier semestre 2023 sur ProConnect. En parallèle, elle a aussi revu le socle de base de la suite numérique en déployant Kubernetes. Une modernisation et une automatisation nécessaire dans la mesure où le projet devait être mis en œuvre à budget constant. Depuis juillet 2023, la Dinum a refondu Webconf, son outil de visioconférence, aux côtés du développement de Docs.

En termes de logiciel libre, la suite de la Dinum s'adosse à des couches basses open source supportant les fonctionnalités fondamentales. "Ce qui nous permet de contribuer à des projets communautaire d'envergure et pérennes. C'est le cas avec LiveKit qui constitue le moteur de notre solution de visio ou encore de Matrix qui est forme le socle de Tchap", explique Samuel Paccoud. "Les Allemands contribuent également à ces projets." Même démarche pour Docs. La Dinum a déniché une technologie open source hollandaise baptisée BlockNote.js qui, à l'instar de Notion, gère la publication par blocs. Une brique qui repose elle-même sur ProseMirror, l'une des principales références open source en matière d'éditeur web. Un moteur de collaboration, également open source (et qui n'est autre que YJS), vient compléter l'édifice.

"Sur le front du collaboratif, l'Allemagne n'a pas fait les mêmes choix que nous en termes de produit fini. Ce qui ne les empêche pas de contribuer à nos côtés aux développements des fondamentaux open source de Docs. Des fondamentaux que nous partageons en termes de briques de base", reconnaît Samuel Paccoud. "Cette stratégie d'open innovation s'inscrit dans notre mission de service public qui vise à contribuer à des applications qui peuvent ensuite être réutilisées aussi bien par des administrations que par des entreprises." Une démarche qui n'empêche pas la Dinum de redistribuer les différents composants de sa suite, une fois finalisée, également en open source. "Nous constatons que certaines sociétés privées commencent à déployer Docs", observe Samuel Paccoud.

L'IA également intégrée

Côté IA, la Dinum met œuvre au sein de sa brique de visioconférence des mécanismes de transcription et de génération de comptes rendus de réunion. Des contenus qui sont ensuite poussés dans la plateforme collaborative Docs. Au sein de cette dernière, elle a mis en place une IA générative basée sur la technologie Llama 3.2 de Meta. A la demande des utilisateurs, elle permet de dresser un premier texte, mais aussi de réaliser des traductions à la volée (Llama supporte 8 langues), de gérer des reformulations ou encore, plus prosaïquement, de corriger la grammaire et l'orthographe.

Pour le futur, la Dinum envisage d'enrichir Docs d'une IA orientée recherche et RAG. Autre piste d'évolution : mettre en œuvre dans Docs une fonctionnalité de prise de notes collaborative. Des notes qui pourront ensuite être réexploitées au moment de la génération des comptes rendus de réunion en vue de les affiner. Au sein de l'outil de visio, la Dinum entrevoit la possibilité d'intégrer des fonctions de diarisation pour distinguer les interlocuteurs. "Nous priorisons les évolutions en fonction des retours du terrain, puis nous itérons. Le gros du travail a été d'intégrer les fondamentaux. Depuis, plus nous avançons, plus les développements sont rapides", constate Samuel Paccoud.

Parmi les projets lancés en janvier 2025 figure l'amélioration de la brique de partage de fichiers (une solution qui repose sur la technologie de la start-up française Interstis). Fin février, la Dinum prévoit de sortir la version 2 de cette solution avec une interface graphique refondue dotée d'une version mobile et intégrant du RAG. Dans cette optique, elle compte s'appuyer sur MarkItDown, une librairie open source conçue par Microsoft pour assurer le support de n'importe quel type de fichier. Cette librairie doit notamment permettre d'assurer l'indexation des documents, mais aussi de gérer les échanges avec Docs. Et Samuel Paccoud de conclure : "Notre ambition pour cette année est d'accompagner la montée en puissance des usages et de s'inscrire dans une approche open source communautaire en impliquant des contributeurs externes."