Souveraineté numérique : Il faudra plus qu'une circulaire

La circulaire de la Première Ministre qui demande aux membres du Gouvernement d'abandonner Whatsapp au profit d'Olvid est insuffisante quand il s'agit de la souveraineté de la France.

Le 29 novembre, la Première ministre invitait, par le biais d'une circulaire, les ministres, secrétaires d'Etat, membres de cabinet, à désinstaller les messageries Signal, Telegram, Whatsapp et recommandait l'utilisation d'Olvid.

Faut-il y voir une avancée positive en matière de souveraineté et de sécurité numérique ?

Si on s’en tient au contenu de la circulaire, oui on peut penser que le gouvernement va dans le bon sens. Pour autant, la proposition de cette circulaire est encore très largement insuffisante et même anecdotique au regard de ce qu’il est urgent de faire.

Le manque de formation à la cybersécurité

Remarquons d’abord que la circulaire "invite" et les membres du gouvernement n’ont pas franchement l’air décidé à répondre à cette invitation. Leurs réactions ne se sont pas faites attendre. 48 heures après la publication de la circulaire, un article de presse faisait déjà état des réactions indignées des membres du gouvernement qui expliquaient grosso modo avoir une vie après le travail et qu'ils n'avaient aucune envie de se priver de Whatsapp. La souveraineté et la sécurité numérique de la France s'arrête après 18 heures...

Faut-il pour autant interdire? Je ne le crois pas non plus. En réalité cette circulaire aurait du être accompagnée d'éléments de sensibilisation et de pédagogie pour expliquer aux concernés les raisons de ce choix. Dire à quelqu’un qu’il n’agit pas bien, c’est une chose, mais si vous voulez lui faire prendre conscience, alors encore faut-il lui expliquer. Toute la population française manque cruellement de formation en matière de cybersécurité et de protection des données, nos dirigeants y compris. C’est sans doute le fond du problème.

La souveraineté numérique s’applique dans tous les domaines numériques

Au-delà de l’incompréhension sur les risques importants liés à l’utilisation de certains services numériques très répandus, la souveraineté numérique de la France ne se limite pas aux seules applications de messagerie instantanée.

Quid des systèmes informatiques? Va t-on laisser les postes de travail des fonctionnaires continuer à tourner sous Microsoft Windows ? Va t-on continuer à utiliser Microsoft Outlook? Microsoft Office? Les fonctionnaires et notamment les plus exposés vont-ils continuer à utiliser des applications pour smartphone hautement intrusives? Je pense entre autres aux réseaux sociaux Chinois et Américains? Va t-on laisser les militaires, les parlementaires, utiliser des smartphones équipés des services Google/Apple?

On le sait depuis longtemps, tous ces services sont hautement intrusifs et envoient de grandes quantités de données à des États qui ne partagent pas nos intérêts. Va t-on continuer à laisser faire? Devrons-nous attendre encore 10 ans pour voir une nouvelle circulaire sur ces sujets?

Pendant ce temps, Les Chinois, les Russes, les Américains et toutes les Nations qui prétendent jouer un rôle dans l'organisation de notre monde travaillent depuis longtemps à leur souveraineté numérique. Tous savent qu'il est important de développer ses propres outils, son propre système d'exploitation, sa messagerie, ses réseaux sociaux etc. Et, si c’est possible, ils cherchent à nous imposer leurs outils numériques.

Quelle stratégie ?

Ce qui est tout à fait regrettable dans cette histoire, c'est l'absence de cohérence. Une circulaire est publiée d'un coup sans expliquer le choix en matière de messagerie et le contexte stratégique. Personnellement je me pose la question : pourquoi avoir intégré Signal dans la liste ? Et faut-il par exemple attendre d’autres circulaires qui déconseilleraient l’utilisation de Windows aux fonctionnaires d’État ?

Toute cette affaire manque d’une vision stratégique cohérente et bien que cette circulaire aille dans le bon sens, il en faudra encore beaucoup d’autres pour arriver à un semblant de souveraineté numérique. Il est donc légitime de se poser la question : veut-on véritablement être souverain dans ce domaine ?