Prélèvements frauduleux SEPA : la faille structurelle qui coûte cher aux banques

La fraude au prélèvement automatique est un sujet dont on parle peu, mais qui prend de l'ampleur dans le paysage financier français. Quelles sont les limites des dispositifs bancaires actuels ?

Si un débit de quelques euros passe inaperçu sur un compte bancaire, multiplié sur des milliers de comptes, ce mécanisme devient extrêmement rentable pour les fraudeurs. Ce phénomène vient montrer qu’un angle mort systémique existe dans le système SEPA, offrant aux escrocs un champ d’action souvent détecté a posteriori. Pour les banques, la tâche est d’autant plus ardue : protéger la clientèle tout en opérant dans un cadre réglementaire strict. Quels leviers offre l’intelligence comportementale pour combler ces lacunes ?

Le mécanisme de la fraude par prélèvements

Tout commence par l’obtention d’un Identifiant Créancier SEPA (ICS). Le fraudeur initie ensuite des petits prélèvements (une petite somme de moins de 50 euros par exemple) sur des comptes ciblés à partir de données IBAN et noms de titulaires achetés ou extraits de bases illégales. Ces prélèvements sont répartis dans le temps, à des horaires variés, et à des montants calibrés précisément pour ne pas déclencher d’alerte. Les sommes prélevées sont ensuite centralisées sur un compte intermédiaire, puis rapidement redirigées à l’étranger via des circuits de blanchiment sophistiqués. Lorsque la banque ou la victime comprend ce qu’il se passe, l’argent est déjà sorti du système et le compte d’origine fermé.

La majorité des victimes ne remarquent pas ces petits débits dans l’immédiat. Quand une contestation est enfin lancée, l’établissement bancaire supporte les pertes financières, bien que le système n’ait pas techniquement failli à ses obligations. Ce mode opératoire repose sur l’effet de fragmentation : pris séparément, chaque prélèvement paraît légitime, mais cumulés, ils représentent des montants substantiels.

Pourquoi les banques sont structurellement désarmées

La difficulté principale tient à la nature même du système de prélèvement SEPA. En effet, la responsabilité de la gestion du consentement est déléguée à l’entreprise initiatrice du débit. La banque, lorsqu’elle reçoit une demande de prélèvement, possède peu d’éléments fiables pour juger de la légitimité du mandat soumis. En cas de contestation, la réglementation impose un remboursement rapide au client. Cette obligation s’appuie sur le fait que le prélèvement est un paiement « tiré » sans authentification forte, ce qui interdit une preuve absolue du consentement d’origine.

Par ailleurs, le processus d’octroi d’un ICS est conçu pour être fluide et rapide, afin de faciliter l’activité économique. Le durcir sans précaution risquerait d’engendrer des faux positifs, de bloquer des acteurs légitimes, notamment petites entreprises ou associations, et de freiner l’initiative commerciale. Les fraudeurs profitent justement de cette marge de tolérance pour répéter les petits prélèvements sans alerter les systèmes de contrôle traditionnels.

Ces défis sont d’autant plus complexes que les institutions financières françaises estiment subir des pertes massives. Selon le rapport Global Scan Alliance , 82 % des directeurs financiers de banques jugent que les organisations criminelles sont aujourd’hui plus sophistiquées dans leurs méthodes de blanchiment d’argent que les capacités de lutte des banques elles-mêmes. On y apprend aussi que 51 % de ces directeurs déclarent perdre plus de 10 millions de dollars par an à cause de la fraude. Enfin, les chiffres de l’étude révèlent que les pertes dues à la fraude bancaire en France ont atteint 5,14 milliards d’euros en 2024, même si ce montant est en baisse par rapport à l’année précédente. Cela illustre que, malgré les efforts de lutte, l’impact financier reste considérable.

L’intelligence comportementale : une riposte crédible

Face à ce défi, l’outil le plus prometteur réside dans l’analyse comportementale en temps réel. Plutôt que de s’en tenir à des vérifications statiques ou à des déclencheurs ex-post, les banques devraient regarder comment chaque utilisateur interagit avec les systèmes par le biais du comportement des utilisateurs et des mouvements de la souris, de la vitesse de saisie, la navigation accélérée, ou encore de l’utilisation d’appareils associés à des profils risqués. Ces signaux peuvent révéler une intention malveillante avant même que le prélèvement soit validé.

Sur les portails créanciers, l’intelligence comportementale peut détecter des motifs d’automatisation comme la répétition “coller / valider / répéter” mais aussi l’usage de macros ou d’émulateurs, indiquant un acte frauduleux en série. Du côté des comptes receveurs (appelés mules), l’analyse comportementale peut repérer des connexions inhabituelles, la gestion de plusieurs profils via un même appareil, la présence d’applications suspectes ou des flux rapides de crédit puis transfert. Ces signaux déclenchent des vérifications renforcées ou le blocage proactif des fonds avant leur exfiltration.

C’est précisément ce type de logique que le moteur de risque comportemental cherche à activer. Contrairement aux approches reposant sur la réputation des appareils ou des contrôles documentaires, l’intelligence comportementale reste pertinente même si le fraudeur change d’identité, d’outil ou d’adresse IP. Fonctionnant passivement en arrière-plan, cette technologie permet une détection continue et fine sans introduire de friction pour les clients honnêtes légitimes.

La fraude au prélèvement automatique SEPA expose une faiblesse structurelle du système de paiement prélèvement automatique français, exploitée par des criminels à la fois intelligents, méthodiques et discrets. Les dispositifs bancaires actuels peinent à les contrer, car la charge du consentement pèse lourdement sur les entreprises initiatrices, et les établissements manquent d’outils fiables pour agir en amont. L’intelligence comportementale offre un chemin de riposte crédible : en surveillant les signaux d’alerte dès les premières interactions, elle permet d’identifier les fraudes potentielles avant même leur réalisation, ou de bloquer les sorties de fonds suspectes. À terme, cette stratégie peut contribuer à restaurer la confiance dans un système encore vulnérable aux attaques invisibles.