Nirav Tolia (Nextdoor) "Nous lançons officiellement Nextdoor en France aujourd'hui"
A l'occasion de l'ouverture du service dans l'Hexagone, le CEO du réseau social de quartier nous détaille sa stratégie et ses ambitions pour les mois à venir.
Vous lancez officiellement Nextdoor en France aujourd'hui. Pouvez-vous nous présenter son concept ?
Nextdoor est une plateforme privée qui propose un réseau social de quartier. Fondée à l'automne 2010 à San Francisco, l'application a été officiellement lancée en octobre 2011. Concrètement, l'application permet de vous connecter aux autres habitants de votre quartier mais aussi de trouver des services de proximité, d'organiser des événements locaux, de vendre ou de donner des objets, de signaler un chien perdu, etc. Nextdoor est utilisé dans près de 185 000 quartiers à travers le monde. Près de 40 millions de messages sont échangés chaque jour aux Etats-Unis via notre plateforme.
Après les Etats-Unis, la France est le quatrième pays dans lequel vous vous lancez. Avec quels objectifs ?
Nous nous sommes effectivement lancés aux Pays-Bas il y a deux ans, avec succès, avant d'attaquer le Royaume-Uni. Il y a six mois, nous avons également rendu la plateforme accessible en Allemagne. Le marché français est important pour nous car nous pensons que c'est une porte vers la Méditerranée.
En cas de succès en France, nous aimerions ainsi nous lancer en Espagne et en Italie par la suite. Notre bureau français compte pour l'instant trois employés, qui seront bientôt rejoints par de nouvelles recrues.
Quelle est votre stratégie pour conquérir le marché français ? Prévoyez-vous par exemple d'investir dans des campagnes publicitaires ?
A l'inverse d'autres entreprises de la Silicon Valley, nous ne pouvons pas nous contenter de traduire notre plateforme pour espérer qu'elle soit adoptée partout dans le monde. Notre approche est au contraire très locale.
"Nous espérons que d'ici la fin de l'année notre plateforme sera utilisée dans 10% des 4000 quartiers français Nextdoor "
Dans tous les marchés où nous sommes présents, nous n'avons jamais investi en publicité, de même que nous ne faisons pas non-plus de SEO. Notre croissance s'est faite entièrement grâce au bouche-à-oreille ! Nous espérons que d'ici la fin de l'année notre plateforme sera utilisée dans 10% des 4000 quartiers Nextdoor identifiés en France.
Qu'est ce qui vous a motivé pour créer Nextdoor, alors même qu'il existait déjà une multitude de plateformes sociales ?
S'il existe, en effet, pléthore de réseaux sociaux pour entrer en contact avec nos amis ou nos relations professionnelles, il n'existait pas de plateforme pour nos communautés locales. Depuis ces 20 à 30 dernières années, les liens avec notre voisinage sont devenus moins forts. Par exemple, 25% des Américains et 17% des Français ne connaissent pas le prénom d'un seul de leurs voisins ! Il s'agit d'un phénomène mondial dont l'une des causes est liée à notre facilité à nous déplacer. Grâce aux transports en commun et à des services comme Uber, nous passons en effet moins de temps dans notre quartier. Avec Nextdoor, notre objectif était donc d'utiliser la technologie comme une solution, non pas pour remplacer les rencontres dans la vie réelle, mais au contraire pour les faciliter et pour renforcer ces relations de voisinage.
Comment fonctionne Nextdoor ?
Alors que vous choisissez vos amis sur Facebook, vos followers sur Twitter et vos relations sur LinkedIn, le fonctionnement est différent sur Nextdoor puisque nous vous connectons automatiquement aux habitants de votre quartier. Chaque voisin a l'obligation d'utiliser son vrai nom et surtout sa véritable adresse. Pour la vérifier nous utilisons différentes méthodes dont notamment l'envoi d'une carte postale ou l'appel téléphonique. Si Nextdoor est déjà présent dans le quartier du membre, il sera automatiquement invité à rejoindre les voisins déjà inscrits. Dans le cas contraire, il pourra créer son quartier en le délimitant sur une carte. En moyenne, les quartiers Nextdoor se composent d'environ 1200 ménages. Mais il suffit d'au moins 10 voisins pour qu'un quartier soit officiellement activé.
Quelles sont les principales fonctionnalités et utilisations de la plateforme ?
A la différence des autres réseaux sociaux, Nextdoor n'est pas un endroit pour publier des selfies ou partager ses émotions. Notre plateforme a avant tout vocation à améliorer la vie du quartier. Vous pouvez par exemple utiliser Nextdoor pour vous faire recommander une baby-sitter, indiquer que vous avez perdu votre chien, vendre un objet, signaler un problème de circulation ou d'éventuels problèmes liés à la sécurité, etc. La plateforme permet également de voir les biens immobiliers à vendre dans le quartier. Il est enfin possible d'avoir des conversations de groupes ou de créer des groupes privés de discussion autour d'intérêts communs. En réalité, les utilisations et sujets de conversation varient en fonction des quartiers.
Comment générez-vous du chiffre d'affaires ?
Nous donnons la possibilité à des commerces locaux d'obtenir de la visibilité au sein de leur communauté. Bien souvent, ces commerces de proximité sont peu présents sur le web. Ils n'ont pas de sites internet et n'achètent pas de publicités sur AdWords ou Facebook. Ces commerces locaux et artisans peuvent être des cafés, restaurants, magasins, dentistes, plombiers, etc. Nous voyons cela comme une énorme opportunité ! Aux Etats-Unis, nous permettons par exemple à ces commerçants d'apparaître dans le fil d'actualités d'un groupe de quartier avec un format publicitaire assez proche de celui de Facebook.
"Nous donnons la possibilité à des commerces locaux d'obtenir de la visibilité"
Nous proposons également de sponsoriser une section entière, comme par exemple celle des annonces immobilières. Notre modèle ici consiste à vendre des abonnements, notamment à des agences. D'ici la fin de l'année, nous nous intéresserons à la prise de contact entre commerçant et habitants. Par exemple, si vous contactez un plombier ou une baby-sitter via Nextdoor pour prendre rendez-vous, nous pourrions alors toucher une commission.
Nextdoor existe depuis 7 ans mais a seulement démarré sa monétisation depuis l'année dernière aux Etats-Unis. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ?
Parce qu'il nous fallait toucher un certain nombre d'utilisateurs avant d'entrer dans cette phase de monétisation. Nous voulions aussi générer du chiffre d'affaires tout en créant de la valeur pour nos utilisateurs. En Europe, nous patienterons encore un peu. Avant la fin de cette année, nous réaliserons probablement différentes expérimentations aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Pour la France, nous attendrons encore au moins deux ans. Ce que je peux dire, c'est que nous sommes très satisfaits des résultats obtenus aux US où notre CA est en forte croissance.
Nextdoor est notamment utile pour consulter les petites annonces de son quartier. Avez-vous vocation, à terme, à concurrencer Craigslist aux Etats-Unis ou LeBonCoin en France ?
Notre différence avec ces sites est que nos annonces ne peuvent être vues que par les habitants d'un même quartier. En général, l'objectif d'un vendeur qui vend un objet à une personne de son voisinage ne va pas être de maximiser le prix. Les acheteurs, eux, apprécient cette proximité. Ils n'ont souvent que quelques pas à faire pour aller chercher leur objet. De ce point de vue là, nous nous différencions d'une plateforme comme Craigslist.
Aux Etats-Unis, Nextdoor a noué plusieurs partenariats avec des administrations publiques, dont notamment avec la police, afin de faciliter la prise de contacts avec ces juridictions. Avez-vous prévu de conclure des partenariats similaires en France ?
Nous avons effectivement conclu près de 3000 partenariats avec la police, les pompiers et d'autres acteurs du secteur public aux Etats-Unis. Notre plateforme permet de faciliter la circulation de l'information. Par exemple, si un acte criminel est commis dans un quartier, la police pourra informer les habitants via notre plateforme.
"Nous conclurons des partenariats avec les administrations françaises"
Bien entendu, si les administrations peuvent publier du contenu et lire les réponses, elles ne peuvent en aucun cas lire ce qui se dit au sein d'un quartier. Pour répondre à votre question, nous espérons effectivement conclure des accords similaires en France – ce que nous avons déjà fait au Royaume-Uni et aux Pays-Bas - mais nous n'avons à l'heure actuelle pas suffisamment d'utilisateurs français pour apporter de la valeur à ces administrations.
Vous avez levé près de 210 millions de dollars au total. Une nouvelle levée de fonds est-elle d'actualité ?
Nous disposons encore de beaucoup de cash en banque. Avec 200 employés et sans avoir jamais investi en publicité, nous n'avons logiquement pas tout dépensé. D'une manière générale, nous sommes peu dépensiers - j'ai par exemple voyagé en classe économique pour venir ici à Paris (rires). L'argent que nous avons levé est dédié à notre développement à l'international. Concernant l'éventualité d'une nouvelle levée de fonds, il y a toujours des opportunités mais il faut avoir un plan bien précis derrière la tête. Nous aviserons donc en fonction des résultats obtenus sur le marché français, et étudierons cette question après nos lancements en Italie et en Espagne.
Avant d'attaquer de gros marchés comme l'Amérique du Sud ou l'Asie, réaliser un nouveau tour de table pourrait avoir du sens.
Quels sont vos projets pour la suite ?
Nous sommes concentrés sur notre expansion internationale. Nous sommes optimistes dans l'accomplissement de notre mission : contribuer à la vie locale des voisins en vue de construire des quartiers solidaires aux quatre coins du monde. Nous allons donc continuer d'investir pour poursuivre ce développement, ce qui prendra probablement encore du temps. Mais nous savons nous montrer patients.
Nirav Tolia est le cofondateur et CEO de Nextdoor, une application gratuite réservée aux voisins d'un même quartier. Avant cela, il avait démarré sa carrière chez Yahoo, en tant que 73e employé de l'entreprise. Il cofonde ensuite Epinions, qui fusionnera avec DealTime après une levée 43 millions de dollars. Nirav Tolia a occupé le poste d'Entrepreneur-In-Residence au sein du fonds d'investissement Benchmark Capital. Il a été consultant et advisor auprès d'entreprises telles que aSmallWorld, Simply Hired, ou encore Zillow. Nirav Tolia est diplômé d'un Bachelor of Arts de l'université de Stanford.