Télétravail libéré : vers une nouvelle fracture sociale ?

Cette période inédite de confinement, qui a conduit tous les salariés dont le métier le permettait à travailler en dehors de leur bureau, va durablement transformer les modes de travail des salariés français.

Il ne s'agit pas simplement - et peut-être même pas du tout de savoir si le nombre de jours de télétravail par semaine sera supérieur ou inférieur à 2 ! Il s'agit de définir quelle culture managériale, quels types de relations nous voulons voir s'installer dans l'entreprise.

Les bénéfices du télétravail confiné

Avec cette expérience généralisée, et en très grande partie réussie, du télétravail en période de confinement (et de post-confinement), beaucoup de croyances ont volé en éclat ! Ainsi, à la question des bénéfices que les salariés auraient pu tirer de cette expérience, au-delà du gain de temps de transport, 7 DRH sur 10 soulignent davantage de flexibilité pour le salarié et presque autant un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Et - Oh ! Divine surprise ! - près de 4 sur 10 considèrent que cela a permis de gagner en productivité et d'engager davantage les collaborateurs ! Disparues les légendes aux termes desquelles à la maison, on ne fait rien… Et quant aux obstacles techniques et technologiques souvent invoqués et souvent rencontrés par les entreprises, ils ont été levés aux forceps par ce télétravail forcé - qui pour nombreux d’entre eux a permis d'accélérer le processus de digitalisation de l'entreprise.

Vers toujours plus de flexibilité

Impossible donc de retourner en arrière et tout simplement de ramener les collaborateurs à la case départ - plus de la moitié des entreprises déclarent que 50 à 100 % de leurs salariés pourront désormais télétravailler (entre 10 et 50% avant la crise). Il y aura bien un avant et un après - mais quel après ?

Plusieurs sondages montrent que demain le télétravail sera non seulement bien plus répandu, en volume de salariés concernés et en nombre de jours par semaine (la majorité des entreprises prévoient entre 2 et 3 jours) mais aussi bien plus flexible ! Choisi et non imposé aux collaborateurs, le télétravail se fera désormais sur des jours qui ne seront plus fixes (seules un cinquième envisagent d'imposer les jours à leurs salariés, quand plus de la moitié avaient cette pratique auparavant). Quant au lieu du télétravail, il sera laissé au libre choix du salarié pour les plus ambitieuses des entreprises, même si encore 57% n'autoriseront que le domicile du salarié comme lieu de télétravail.

Mieux encore : alors que 90% des entreprises exigeaient un accord préalable du manager ou du RH avant la crise, seules 75% pensent conserver cette approche. C'est encore très fortement majoritaire - et c'est d'ailleurs sans doute assez absurde : dès lors qu'on est convaincu que le télétravail, c'est du travail, pourquoi demander une autorisation quant au lieu où l'exercer ? La philosophie qui prévaut dans le travail à distance, c'est l'autonomie du salarié, c'est la confiance qui lui est accordée. Toute entrave à cette autonomie est un signe - assumé ou non - d'absence de confiance, de volonté de contrôle de la part du manager, qui croit encore que son rôle est de surveiller, de micro-manager, quand il est plutôt de rendre responsable, de motiver !

Le manager, homme clé

Car c'est par le manager que se fera la réussite ou l'échec du télétravail. Manager à distance, c'est comme manager en présentiel, mais dans des conditions bien plus difficiles. Qui vont demander aux responsables d'anticiper, d'organiser, de prévoir pour s'assurer que les conditions sont réunies pour que l'équipe travaille ensemble, efficacement, que le travail est bien fait - une opportunité formidable pour le manager de jouer enfin pleinement son rôle !

Les entreprises ne s'y trompent pas. Quand 34 % d'entre elles formaient leurs managers au management à distance avant la crise, 84 % d'entre elles veulent désormais le faire. Cet accompagnement est clé, car passer d'un management à l'horaire à un management à la mission est bien une profonde transformation de la culture - et une culture ne se transforme pas spontanément…

Encore des défis à relever

Surtout que les entreprises veulent aller vite pour mettre en place leur nouvelle réalité avant la fin de l'année. On le comprend, et c'est aussi un fort souhait des salariés, qui sont d'ailleurs en général très associés à la définition de ces nouveaux modes de travail.

Mais attention à ne pas non plus se précipiter, au risque de passer à côté des défis que pose ce bouleversement de la vie professionnelle - et ils sont nombreux. Avec au premier chef, la perte du lien social traduite par une baisse de la collaboration ou des sentiments d'isolement. La surcharge de travail apparait aussi comme un risque majeur, ainsi que le manque de confiance entre les collaborateurs et leurs managers, rendant là encore indispensable l'accompagnement au changement.

Mais le plus grand défi auquel vont être confrontées les entreprises (près de la moitié d'entre elles le reconnaissent) va bien au-delà du monde professionnel : c'est un risque sociétal, celui d'une fracture sociale plus profonde encore. Non pas une nouvelle fracture sociale, mais un approfondissement de celle existant déjà, entre "les privilégiés", souvent les "cols blancs" (cadres ou non) qui pourront travailler d'où ils veulent jusqu'à 3 ou 4 jours par semaine, et les "cols bleus", les "laborieux" qui devront quoi qu'il arrive, du fait de la nature de leur métier, se rendre sur le lieu de travail chaque jour de la semaine ! Et si, plutôt que de parler d'une indemnité de compensation pour les travailleurs à distance, on réfléchissait plutôt à en donner une aux non télétravailleurs ?