Les "listes noires", une pratique légale mais dangereuse…

Une affaire impliquant un camp naturiste du Cap d’Agde vient d’exposer au grand jour la délicate question de l’utilisation de listes négatives ou d’exclusion, plus communément appelées "listes noires".

Une affaire impliquant un camp naturiste du Cap d'Agde vient récemment d'exposer au grand jour la délicate question de l'utilisation de listes négatives ou d'exclusion, plus communément appelées "listes noires".

Les faits concernant ce camp naturiste sont relativement simples : un particulier s'est vu refuser l'accès au camp et s'en est plaint à la Cnil. A la suite de cette plainte, la Cnil a effectué un contrôle au sein de ce camp et découvert l'existence d'une liste excluant certains clients jugés indésirables...

L'inscription d'une personne sur cette liste était fonction du respect par celle-ci du règlement du camp : impayés, manquement à l'hygiène ou troubles à la tranquillité des clients pouvaient entraîner la mise à l'index.

De tels fichiers d'exclusion étant particulièrement sensibles, ils sont soumis à une réglementation extrêmement stricte. Particulièrement, l'article 25 I-4 de la loi Informatique et libertés précise que la mise en oeuvre de fichiers "susceptibles, du fait de leur nature, de leur portée ou de leurs finalités, d'exclure des personnes du bénéfice d'un droit, d'une prestation ou d'un contrat" doit être préalablement autorisée par la Cnil.

Cette autorisation préalable faisant en l'espèce défaut dans ce camp naturiste, la Cnil l'a mis en demeure de régulariser sa situation. Cette formalité ayant été effectuée, la Cnil, après avoir brandi la menace de sanctions, a donné son autorisation pour l'utilisation d'un tel fichier, en fixant des conditions précises :

- les motifs d'inscription dans le fichier doivent faire l'objet d'une liste fermée, objective, sans possibilité d'inscrire des commentaires particuliers dans des zones de texte libre ;

- les personnes sont inscrites pour une durée maximale de 3 ans, sauf dans le cas d'un impayé, auquel cas elles sont désinscrites dès la régularisation du paiement ;

- des mentions d'information figurant sur les panneaux, les brochures, les contrats et le site Internet du centre, et sur le règlement intérieur doivent rappeler aux clients l'existence du fichier d'exclusion ainsi que les droits dont ils disposent en application de la loi "informatique et libertés" (droit d'accès, de rectification et d'opposition).

Si elles peuvent paraître sévères, de telles conditions demeurent en réalité assez classiques ; en effet, la Cnil considère habituellement que les listes négatives doivent respecter les principes suivants :

- la mise en oeuvre d'une liste noire doit être proportionnée et l'inscription sur une telle liste ne peut se justifier que par un motif particulièrement grave, motivé et objectif ;

- les droits des personnes doivent être respectés et plus particulièrement, il doit être possible pour la personne de régulariser sa situation avant d'être inscrite sur la liste ;

- la liste noire doit être sectorisée, c'est-à-dire limitée aux professionnels d'un secteur déterminé : ce n'est pas parce que l'on n'a pas respecté les règles d'un camp naturiste que l'on ne peut pas louer une voiture ... et inversement !

- le fichier doit être sécurisé et accessible qu'à une certaine catégorie de personnels directement concernés : il ne s'agit pas que n'importe qui puisse savoir qui figure sur la liste...

Les dangers liés à l'utilisation de listes noires

La décision de la Cnil vis-à-vis de ce camp naturiste est intéressante en ce qu'elle tranche avec la dimension sensationnelle que certains ont voulu donner à cet événement. En effet, la pratique des listes noires est courante et peut être, en soi, parfaitement légale. Tout dépend en réalité de l'encadrement qu'apporte le responsable du fichier et de son degré de coopération...

Il demeure que la pratique des "listes noire" n'est pas non plus sans risques et peut  rapidement conduire les responsables à de graves sanctions pénales. Plusieurs dispositions du code pénal sont en effet susceptibles de sanctionner de telles pratiques. On citera notamment l'article 226-16 qui sanctionne de cinq ans d'emprisonnement le fait de procéder à un traitement de données à caractère personnel sans respecter les formalités préalables (en l'occurrence, l'autorisation préalable de la Cnil).

L'article 226-18-1 pourrait être également invoqué en ce qu'il sanctionne le traitement de données personnelles malgré l'opposition reconnue légitime des personnes concernées.

Enfin, la liste négative - en ce qu'elle cherche à confondre des personnes "indésirables" - comporte souvent des informations relatives à des infractions, des condamnations et des mesures de sûreté ; or, le traitement de telles données sans l'accord des personnes constitue une infraction pénale.

Ces incriminations pénales n'ont rien de théorique et dans d'autres affaires de "listes noires" la Cnil s'est montré particulièrement sévère face à des personnes peu soucieuses du respect de la réglementation. Aussi, dans une affaire concernant la "Ligue européenne de défense des victimes de notaires" qui avait publié sur Internet une liste noire de notaires, la Cnil avait transmis le dossier au Procureur de la République. La procédure avait débouché sur la condamnation de la Ligue et de certains de ses responsables à de lourdes amendes.


De nombreux autres écueils sont également susceptibles de faire tomber le responsable du fichier dans l'illégalité ; ainsi, un fichier d'exclusion qui reposerait sur des critères tels que l'état de santé ou l'orientation sexuelle serait clairement illégal.

Et n'oublions pas que la frontière entre un fichier "normal" et un fichier d'exclusion peut s'avérer très mince... Ainsi, l'utilisation de commentaires "libres" dans un fichier est souvent de nature à exclure la personne visée, et à transformer un fichier classique en un fichier d'exclusion. Les commentaires libres engendrent également de nombreux risques propres, liés à la discrimination, à la diffamation ou à l'injure.

On se rappellera par exemple de cette affaire concernant une entreprise, dont le fichier de ses salariés était parsemé de commentaires du type : "trop chiante",  "problèmes d'hygiène (odeurs)", "personne sans dents et qui boit" ...

Sans aller jusqu'à des commentaires d'une telle gravité, un fichier qui comporterait simplement des appréciations telles que "oui" ou "non", voire (+) ou (-), de nature à exclure la personne concernée du bénéfice d'un droit, pourrait être illicite.

Et l'utilisation discrète d'un tel fichier dans le secret de l'entreprise ne protège en rien ; en effet, à tout moment, la Cnil est susceptible de venir sur place contrôler un fichier, avec possibilité à la clé de prononcer une sanction pécuniaire, voire de saisir le Procureur de la République.