Application de la TVA des services en ligne dans le pays d'achat : qu'est-ce qui change ?

Application de la TVA des services en ligne dans le pays d'achat : qu'est-ce qui change ? Marketplaces, musique en ligne, VOD... Depuis le 1er janvier, le taux de TVA à appliquer est celui du pays du client. Objectif : lutter contre la concurrence déloyale des géants du Web.

Depuis le 1er janvier 2015, les prestataires de services en ligne doivent appliquer la TVA selon le taux en vigueur dans le pays d'Europe où l'acheteur réside et non plus dans celui où est domiciliée la société. Sont donc notamment concernés les services d'accès à Internet, de téléchargement de biens culturels, de VOD, d'abonnement à des articles de presse, de rencontre en ligne, d'enchères en ligne, ainsi que les commissions facturées par les marketplaces à des vendeurs, qu'ils soient des particuliers ou des professionnels. C'est donc aussi le cas des services d'économie collaborative, lorsque ceux-ci sont soumis à la TVA. Traitée séparément, la vente en ligne de voyages n'est pas concernée. "On transpose donc ce qui existe déjà dans la vente en ligne de biens physiques : la règle du pays de destination", explique Marc Lolivier, délégué général de la Fevad.

Pour simplifier la vie de ces sociétés, qui doivent donc déclarer et s'acquitter de la TVA dans tous les Etats de l'UE où sont situés leurs clients, a été mis en place un guichet électronique unique sur lequel elles peuvent centraliser leurs démarches. Celui-ci est accessible sur impots.gouv.fr, une fois les sociétés loguées sur leur compte. Il apporte d'ailleurs un autre élément de progrès, puisque alors que les entreprises européennes devaient auparavant disposer d'un représentant fiscal pour déclarer la TVA dans un autre pays que le leur, ce qui leur coûtait très cher, elles en sont désormais dispensées et peuvent aujourd'hui établir seules leur déclaration de TVA, en ligne. Quant aux entreprises basée hors d'Europe et ciblant les consommateurs européens, elles doivent s'immatriculer à la TVA dans un pays de l'Union, puis suivre les mêmes procédures que leurs homologues européennes.

Lutter contre l'évitement fiscal des multinationales du Web

Le secteur du numérique s'accorde à trouver le principe excellent, que ce soit pour contraindre iTunes à payer davantage que la TVA luxembourgeoise pour ses ventes de biens culturels numériques ou, de façon similaire, pour qu'un Amazon domicilié au Luxembourg ou un eBay en Suisse doivent s'acquitter en France de la même TVA sur leur marketplace que Priceminister ou Cdiscount. "Les deux ou trois points de TVA d'écart entre la France et ces pays sont loin d'être neutres, au regard de la rentabilité de ces acteurs", souligne Marc Lolivier.

"Il faut en passer par là pour lutter contre la concurrence déloyale des géants du Web"

Côté marchands, comment se passe l'absorption de ces changements ? La première action nécessaire consiste pour eux à collecter la localisation de l'acheteur. Jusqu'ici, ce n'était en effet pas systématique : l'achat peut être réalisé anonymement, par des moyens de paiement spécifiques (prépayés, bons cadeaux, crédits Facebook...), ou encore via un agrégateur de contenus dans le cas d'un téléchargement. Depuis le 1er janvier, les marchands peuvent utiliser tous les éléments en leur possession pour détecter d'où provient l'achat. Pays de la carte SIM, de la carte bancaire, de l'adresse IP, de l'adresse de facturation bien sûr et toutes autres informations commerciales pertinentes. Evidemment, poser directement la question à l'acheteur est aussi une possibilité.

"L'administration fiscale demande deux de ces éléments pour déterminer le pays de l'acheteur, mais il ne faut pas non plus tomber dans la psychose et se lancer dans une enquête : une présomption forte peut suffire", estime Renaud Guillerm, qui avant de présider Videdressing était le directeur fiscal international du laboratoire Ipsen. Ensuite, il n'y a plus qu'à se connecter sur le mini-guichet et à procéder à sa déclaration.

Des complications qui en valent la chandelle

"Certes cela demande un peu plus de travail du marchand ou de son expert-comptable qu'avant et cela requiert de ventiler son chiffre d'affaires par pays, mais ils le font sûrement déjà, tempère le dirigeant. Et il faut bien en passer par là si l'on désire lutter contre la concurrence déloyale des multinationales qui se débrouillent pour échapper à une juste taxation." Renaud Guillerm y voit d'ailleurs un premier mouvement vers une harmonisation fiscale au niveau européen, "forcément très positive même si elle apporte quelques difficultés de court-terme".

Parmi les incertitudes qui demeurent, se pose la question du contrôle des sociétés par les autorités fiscales d'autres pays de l'Union. Comment le fisc allemand s'y prendra-t-il pour auditer un prestataire de service en ligne français ? "Probablement en adressant une demande d'information aux autorités fiscales françaises", prévoit Renaud Guillerm.

"Après la TVA, l'impôt sur les sociétés ?"

Finalement, le passage à la TVA du pays de l'acheteur du service en ligne devrait se faire sans trop de douleur, même si l'on entend des voix pour regretter que les sociétés au dessous d'un certain seuil d'activité ne soient pas exemptées de ces complications. Au Royaume-Uni, les start-up ont fait campagne dans ce sens en novembre autour du hashtag #VATMESS, le terme "mess" (désordre) moquant l'acronyme officiel VAT Moss, pour "mini one-stop-shop", le nom anglais du guichet unique. Mais outre-Manche, en s'inscrivant sur ledit guichet, les start-up perdaient des exemptions de taxes. "En France, ce type d'exonération n'existe pas, donc les start-up n'ont a priori rien à perdre", souligne Renaud Guillerm.

Se réjouissant de l'entrée en vigueur d'un principe propice à contrer des règles de concurrence déloyale de l'UE et à maîtriser les dérives fiscales des géants du Web, le président de Videdressing voit même un cran plus loin. "Après la TVA, j'espère que la deuxième étape sera la mise en place d'une taxation dans le pays des clients de l'impôt sur les sociétés, même si les conventions fiscales rendent le sujet plus complexe."

Ressources utiles :

 FAQ du fisc français

 Guide du mini-guichet unique

 Taux de TVA en vigueur dans les pays de l'UE