Carrefour acquiert Rueducommerce pour 20 à 30 millions d'euros

Carrefour acquiert Rueducommerce pour 20 à 30 millions d'euros Selon nos informations, Carrefour ne versera à Altarea que 20 à 30 millions d’euros. Une bonne affaire aussi pour Rueducommerce… mais pas pour Pixmania.

Carrefour annonce ce lundi 24 août être entré en négociations exclusives avec Altarea-Cogedim en vue de l’acquisition de 100% du capital de Rueducommerce, propriété de la foncière immobilière depuis 2012. Selon nos informations, Carrefour a déjà adressé une offre à Altarea qui, pour l’accepter, n’attend plus que de consulter les instances représentatives du personnel de Rueducommerce… qu’elle a informées du projet ce soir et convoquées en comité d'entreprise extraordinaire en septembre. Ne restera plus alors qu’à obtenir l'aval de l'autorité de la concurrence. Si tout se passe bien, l’e-commerçant rejoindra Carrefour au plus tard début 2016.

Carrefour et Altarea ne dévoilent pas le montant de l'opération. Et pour cause, puisque selon nos informations, le groupe de distribution ne déboursera que 20 à 30 millions d'euros pour le site marchand, qu’Altarea avait payé 100 millions d'euros. Pas exactement la culbute du siècle.

Que Carrefour va-t-il faire de Rueducommerce ?

D’abord, cette acquisition fait passer Carrefour dans le petit club des e-commerçants milliardaires de France. Selon nos estimations, le groupe approche les 700 millions d’euros de ventes en ligne (350 millions sur le drive et autant répartis entre Ooshop, Carrefour.fr non alimentaire, Carrefour Voyages et Carrefour Spectacles). Or Rueducommerce a enregistré en 2014 un chiffre d’affaires de 316,7 millions d’euros. Ne demeureront donc plus devant le retailer que Voyages-Sncf, Amazon, E.Leclerc, Cdiscount, Air France et Auchan. En outre, si l’on exclut le drive, Carrefour double même Auchan (660 millions d’euros contre 400 selon nos estimations hors GrosBill, revendu par la suite). Sur le drive, Auchan atteint déjà 1,06 milliard d’euros (610 pour Auchandrive et 450 pour Chronodrive) et E.Leclerc 1,97 milliard, selon Olivier Dauvers.

Rang E-commerçant CA HT Web 2014 (milliards d'euros) Source
1 ou 2 Voyages Sncf 3,48 Ecommercemag
2 ou 1 Amazon entre 3 et 4 JDN (estimation)
3 E.Leclerc 1,97 OlivierDauvers.fr
4 Cdiscount 1,61 Casino
5 Air France 1,48 Ecommercemag
6 Auchan 1,4 JDN
7 ex aequo Carrefour + Rueducommerce 1,1 JDN
7 ex aequo Vente-Privée 1,1 JDN

Ensuite, avec Rueducommerce, Carrefour met la main sur l’une des "semi-grandes" marketplaces françaises. Avec 122,7 millions d'euros de volume d'affaires 2014 (+12%), la Galerie de Rueducommerce lui a apporté 11,1 millions d'euros de commissions l'an dernier (+17%). Pas encore de quoi inquiéter Amazon, mais comme Carrefour est en retard en la matière, pour lui, cette compétence vaut cher. Quant aux deux segments principaux de vente en propre de Rueducommerce, le high-tech et l’équipement de la maison, ils font précisément partie des domaines non-alimentaires que souhaite relancer Georges Plassat depuis son arrivée à la tête de Carrefour en 2012. Ils renforceront donc utilement cette activité du groupe.

Qu'est-ce qui va changer pour Rueducommerce ?

Positionnement différent de Carrefour.com, excellent nom, pas de risque de dédoublonnage des clients : le site de Rueducommerce a toutes les chances d’être conservé, tout comme son petit frère TopAchat. Comme c’est l’usage dans ce type d’acquisition, Carrefour s'engagera aussi très probablement sur la préservation de l'emploi. A moins d’être reclassés dans le groupe, les 330 salariés de l’e-commerçant peuvent donc dormir sur leurs deux oreilles.

Où en est Rueducommerce actuellement ? En le rachetant, Altarea ambitionnait de porter le volume d’affaires du site à 800 millions d’euros en 2015. On en est donc loin, puisque l’e-marchand a encore vu ses ventes stagner l’an dernier, à 438,3 millions d’euros de volume d’affaires. Certes, Altarea lui a ouvert les portes de plusieurs grands noms – Alinea, Bricorama, Diesel, Dunlopillo, Dyson, King Jouet…– qui ont rejoint sa marketplace. Pourtant les ventes n’ont pas décollé. Et selon nos informations, Altarea aurait chaque année épongé entre 10 et 20 millions d’euros de pertes de Rueducommerce. Ces trois années passées dans le giron du promoteur immobilier auront donc surtout permis au site marchand de survivre, le temps qu’un vrai spécialiste de la distribution s’intéresse à lui.

Les exercices 1999 à 2011 courent du 1er avril au 31 mars de l'année suivante.
L'exercice 2012 court du 1er avril au 31 décembre.
Les exercices 2013 et 2014 courent du 1er janvier au 31 décembre. © JDN

Comme Cdiscount avec son propriétaire Casino, Rueducommerce bénéficiera sûrement à l'avenir de la puissance de négociation de Carrefour vis-à-vis de ses fournisseurs. De quoi acheter moins cher, baisser ses prix et améliorer ses marges. On imagine très bien aussi que puisse être mis en place un click&collect à grande échelle mettant à contribution les 5 680 magasins de Carrefour en France, toujours suivant le modèle de Cdiscount et Casino. D'autant que Carrefour pratique déjà lui-même le retrait en magasin des commandes en ligne, y compris sous 2 heures. Autant dire que sa logistique est au point et, plus largement, que le retailer constitue pour Rueducommerce un bien meilleur toit.

Côté Altarea, le bilan n’est pas si sombre

Conclure qu’Altarea n’aurait pas dû le racheter serait toutefois exagéré. La foncière a en effet beaucoup appris de l’e-commerçant. Auparavant, elle ne possédait ni site, ni application, ni CRM. Ce sont les compétences de Rueducommerce qui l’ont fait passer à l’ère du digital. Comme le disait Albert Malaquin, DG d'Altarea France, au JDN en mai : "Vu les pertes, si c'était mon argent je le vendrais... Sauf que le site n'est pas là pour gagner de l'argent, mais pour nous donner de l'avance sur nos concurrents dans notre métier de foncière". Et aujourd’hui, elle se défait d’un site qui lui coûte cher et dont le chiffre d’affaires ne progresse pas.

Preuve parmi d’autres que dans l’intervalle, Altarea a beaucoup progressé : elle collecte aujourd’hui des données sur les parcours clients de ses centres commerciaux. Et a même fini de bâtir une DMP dans laquelle elle déverse aussi bien ces datas physiques que celles de Rueducommerce. [Mise à jour du 25/08] Contrairement à ce que nous écrivions hier, la DMP et sa technologie restent entre les mains d'Altarea, précise au JDN Albert Malaquin. Lequel tient à tirer un bilan positif de la page Rueducommerce : "Rueducommerce nous a permis de faire une avancée technologique significative dans nos centres commerciaux, ce qui se traduit déjà au Qwartz. Nous avons franchi une étape dans la compréhension de nos clients physiques. C'est clé d'une part vis-à-vis de nos enseignes partenaires et d'autre part pour mieux cerner nos forces et nos points d'amélioration." Cela vaut-il les dizaines de millions d'euros investis dans le rachat de Rueducommerce ? Le dirigeant ne commentera pas.

Pixmania, dommage collatéral à prévoir

Bonne affaire pour Carrefour, pour Rueducommerce et peut-être aussi pour Altarea, ce transfert n’est en revanche pas une bonne nouvelle pour Pixmania. Au travers de sa filiale de délégation e-Merchant, l’éternel rival de Rueducommerce opère toute l’activité d’e-commerce non-alimentaire de Carrefour depuis trois ans. Lancement du site pure player en 2012, du site mobile et du retrait magasin 2h en 2014, de la marketplace en beta en juillet 2015, e-Merchant n’a d’ailleurs pas démérité. Mais Rueducommerce a beau ne pas faire de délégation e-commerce, cela ne suffira sans doute pas à convaincre Carrefour de laisser cette activité à la garde du concurrent direct de sa nouvelle filiale.

De plus, indépendamment de ce rachat, Pixmania est tout sauf en grande forme. Ceci même si son propriétaire Mutares vient de racheter GrosBill à Auchan pour doper un peu son activité, après avoir fortement envisagé de le vendre. Etant donné la mauvaise santé de son partenaire, Carrefour avait sûrement envisagé des solutions de repli. Quant aux compétences qu’il y perdrait, il devrait maintenant en bonne partie les retrouver chez Rueducommerce. Sans le groupe de distribution, e-Merchant, qui déjà en janvier reconnaissait dans le JDN sa "Carrefour-dépendance", n’aurait plus comme client qu’APC et… Pixmania.

Finalement, cette opération témoigne une fois encore de la montée en puissance des distributeurs physiques dans l’e-commerce. Mais elle démontre également que les pure players ne disparaissent pas pour autant, même adossés à des industriels. Ils continuent à vivre sous une autre forme, via leur expertise précieuse que s’approprient ou s’échangent leurs maisons-mères. Tout n’est peut-être pas perdu pour Pixmania.