Anne-Laure Constanza (Envie de Fraise) "Pour nous assurer une croissance rentable à l'étranger, nous avons opté pour des modèles BtoB"

La marque en ligne de vêtements de grossesse, en croissance de plus de 50% en 2015, signe des partenariats retail et média pour doper son acquisition à l'international, explique sa PDG.

JDN. Que s'est-il passé en 2015 chez Envie de Fraise ?

Anne-Laure Constanza, PDG d'Envie de Fraise © S. de P. Envie d Fraise

Anne-Laure Constanza. Nous avons connu une année phénoménale, que nous clôturerons avec plus de 50% de croissance par rapport à 2014. Nous avons aussi multiplié par trois notre taux de rentabilité, ce qui nous permet d'autofinancer notre expansion internationale.

Sur notre core business français, nous enregistrons une croissance très soutenue. Nous avons réalisé un énorme travail de rebranding – à l'occasion duquel Envie de Fraises a d'ailleurs perdu son S –, de revamping du site et de restructuration des collections, ce qui nous a permis de renforcer notre territoire de marque. Notre stratégie multicanale fonctionne également très bien, ainsi que les catalogues que nous avons lancés début 2014.

 

Quel est le rôle de ces catalogues ?

Un premier catalogue de 96 pages, inséré dans tous les colis, met en scène la marque et ses clientes dans un objectif de fidélisation. Le second, de 24 pages, est un outil d'acquisition, que nous diffusons dans toutes les maternités. Dans les deux cas, un code donnant droit à des frais de port gratuits nous permet de tracker les ventes déclenchées par les catalogues et de constater d'excellents résultats.

 

Que vous a apporté votre partenariat de distribution avec Natalys ?

Notre marque est commercialisée dans 31 points de vente de l'enseigne et nos ventes y ont doublé en un an. Depuis que Natalys commercialise nos produits, ils ont arrêté leur propre ligne pour femmes enceintes mais vendent considérablement plus qu'avant sur ce segment. Et  le partenariat ne s'arrête pas là, puisque nous travaillons ensemble sur les collections, les vitrines… Nous avons beaucoup appris d'eux, par exemple sur la façon de construire une collection pour le retail.

 

En quoi est-ce différent ?

Sur Internet, il y a beaucoup de détails qu'on ne voit pas alors que ce sont ceux qui attirent en magasin : de la dentelle au dos, de tous petits imprimés… De plus, certaines tonalités comme l'orange passent très mal. A l'inverse, les basiques sont parfaits pour le Web car ils sont portés et mis en scène, alors qu'ils marchent mal en boutique. Le retail se prête bien mieux à l'exceptionnel qu'aux basiques ou aux couleurs unies.

"Notre présence à l'international s'accélère"

Tout ceci nous a conduits à beaucoup enrichir notre offre. Jusqu'à il y a un an et demi, nous n'étions pas très forts sur les détails. Nous nous sommes améliorés et avons trouvé comment mieux les mettre en valeur sur Internet. Reste que la lourdeur du retail ne doit pas risquer d'entraver notre agilité, donc les ventes physiques demeureront très minoritaires. Notre stratégie, c'est le digital avant tout.

 

Après être longtemps restés français, vous avez depuis deux ans attaqué plusieurs pays. Comment vous y prenez-vous ?

Notre présence à l'international s'accélère en effet, en étant toujours guidée par notre exigence de croissance rentable. Or lorsqu'on s'implante sur dans un pays, c'est l'acquisition qui est la plus difficile. Ainsi, sur les pays très matures que sont le Royaume-Uni et l'Allemagne, nous ne pourrions pas adresser le marché en BtoC de façon rentable. Nous nous appuyons donc sur des acteurs locaux déjà dominants.

Au Royaume-Uni, nos produits ont d'abord été commercialisés sur le site de Mothercare, un des leaders mondiaux de l'univers du bébé, puis, à partir du printemps 2015, dans 15 de leurs points de vente. Aujourd'hui, nous disposons de shop-in-shop dans 55 magasins Mothercare outre-Manche. Envie de Fraise est donc très visible sur un marché très complexe et très mature. Ce partenariat a contribué à ce que notre site britannique, ouvert en 2013, fasse 100% de croissance cette année.

 

Et en Allemagne ?

L'Allemagne est vraiment un marché à part. Tout le monde le sait et nous l'avons vécu : vendre en BtoC s'est révélé catastrophique, en particulier pour absorber des taux de retour de l'ordre de 50%. En outre, les goûts des consommatrices sont totalement différents de ceux des autres Européennes. Cependant, l'Allemagne est un gros marché. Donc là encore, nous procédons maintenant en BtoB.

"En Espagne et en Italie, notre approche est 100% digitale"

Concrètement, nous avons aussi un partenaire retail, puisque nous sommes vendus depuis septembre dans 16 points de vente de l'enseigne MyToys. Mais nous sommes également présents sur Zalando. Nous avions commencé à travailler avec eux en vendant sur leur marketplace, mais nous avons arrêté toutes les marketplaces cette année. Cela diluait notre marque et nous étions très dépendants aux IT très différents de chaque place de marché. Nous nous sommes donc recentrés sur ce qui fait sens : notre marque. Maintenant, Zalando achète notre collection – comme Mothercare et MyToys – et la commercialise notamment en Allemagne.

 

Quelle est votre stratégie sur les marchés moins matures ?

En Espagne et en Italie, où il n'existe pas de marque de vêtements de grossesse, nous avons adopté une approche 100% digitale. Nous avons ouvert une filiale espagnole en janvier, qui travaille en partenariat avec Sera, une enseigne ultra-leader auprès des futures et jeunes mamans, filiale du groupe italien Corriere della Sera. Envie de Fraise bénéficie de tous leurs dispositifs médias, qu'il s'agisse des magazines diffusés dans les maternités ou de leur activité sur Internet. Autrement dit, cette approche nous permet également d'assurer notre acquisition de clients de façon rentable.

Après ces quelques mois d'activité, nous enregistrons déjà de très bons résultats. Certes tout s'arrête l'été, mais le mobile est par exemple plus fort qu'en France. Bref, nous nous sommes rendu compte que l'Espagne est un marché très dynamique. Quant à l'Italie, nous nous y sommes lancés il y a deux semaines, également avec Sera. Et d'autres pays sont prévus pour 2016.

 

Pourquoi tenez-vous à être rentable dans chaque pays que vous lancez, alors que nombre de start-up tiennent justement à prendre une position dominante le plus vite possible dans un maximum de pays, quitte bien sûr à le payer en marketing ?

Je ne veux plus ne pas être rentable. Aux débuts d'Envie de Fraise nous ne l'étions pas et je me sentais dépendante de tout le monde. Aujourd'hui, la croissance rentable, c'est notre stratégie. Qui d'ailleurs ne nous empêche absolument pas d'attaquer de nouveaux pays avec d'excellents résultats.

"Nous avons arrêté Scarlett"

C'est également cette exigence de rentabilité qui nous a poussés à arrêter Scarlett, la marque pour femmes rondes que nous avions lancée en 2012. Nous sommes dans une ère où il est facile de faire de la croissance. Mais ces dernières années, on a vu beaucoup d'acteurs souffrir. D'où notre décision de nous recentrer sur nos activités rentables.

Ceci dit, nous avons d'autres projets pour 2016, qui devraient voir le jour vers la fin du printemps. Nous allons continuer à innover, à prendre des risques. C'est d'ailleurs précisément le fait d'être rentable qui nous le permet.

 

Pourquoi Scarlett n'était-il pas rentable ?

Le marché de la femme ronde est un très bon marché, en très forte croissance. Nous voulions y accomplir la même chose qu'avec Envie de Fraise : créer une offre tendance, avec des imprimés et des produits de qualité. Sauf que la demande tire le marché vers le bas en termes de prix. Il aurait donc été très compliqué d'atteindre la rentabilité. Il aurait fallu perdre de l'argent pendant des années et je ne suis plus prête à cela. Nous avons donc arrêté d'investir.

 

Une levée fin 2011, une autre fin 2013… C'est donc fini ?

Oui ! Lever des fonds n'est pas du tout nécessaire pour Envie de Fraise aujourd'hui.

 

Lorsqu'un acteur en plein développement commence à peaufiner sa rentabilité, cela peut signifier qu'il cherche un acquéreur. C'est votre cas ?

Ce n'est pas le sujet aujourd'hui. Nous dépassons encore 50% de croissance pour notre neuvième année d'activité ! Et nous avons mis du temps à consolider la France avant de démarrer l'international. Donc nous débutons tout juste. L'international représente encore moins de 15% de notre chiffre d'affaires mais cela bouge très vite... et en France aussi ! Ce n'est vraiment pas le moment de vendre.

 

Anne-Laure Constanza a passé près de 10 ans en Chine où elle a travaillé pour des maisons de luxe françaises. En 2003, elle crée sa première société, Chinattitude, qui promeut le "Made by Chinese" en France. Fin 2006, suite à sa première grossesse, elle fonde Envie de Fraise, premier site de e-commerce pour les femmes enceintes en France, et une des toutes premières marques de prêt-à-porter créée et développée sur Internet.  Envie de Fraise lève 1,4 million d'euros en novembre 2011, lance le site de mode féminine grandes tailles Scarlett.fr en 2012 et boucle un nouveau tour de table en septembre 2013.