Corporate shopping : un nouveau modèle d'e-commerce est né

Corporate shopping : un nouveau modèle d'e-commerce est né Très répandus aux Etats-Unis, les achats en ligne réalisés au travers d'un portail réservé aux salariés d'une entreprise sont en train d'arriver en France.

Aux Etats-Unis, se développe depuis plus de dix ans une forme d'e-commerce encore relativement inexistante en France : le corporate shopping. Les employeurs proposent à leurs salariés d'accéder à un portail qui regroupe de très nombreuses offres discountées. Deux acteurs se partagent ainsi les plus grandes entreprises américaines.

Né en 1999 à New York, Corporate Shopping (pourquoi faire compliqué) fournissait initialement des offres de shopping à divers grands programmes de fidélité. Après s'être fait la main sur un portail dédié à American Express, la société a lancé en 2004 une plateforme permettant de créer des portails personnalisés par entreprise. Aujourd'hui, Corporate Shopping compte des centaines d'entreprises et organisations clientes et plus de 250 partenaires marchands, qui proposent des offres valables toute l'année ou sur une période limitée.

Des millions d'utilisateurs aux Etats-Unis

C'est sur une idée similaire que s'est lancé Next Jump. Créée plus tôt encore, en 1994, la société s'est rapidement positionnée sur les discounts aux salariés avant de prendre le tournant du Web en 1997. Next Jump est longtemps resté en mode furtif puisque avant fin 2009, aucun journal n'en avait encore parlé. Dans l'intervalle, il a amassé suffisamment de données d'entreprises, de clients et de transactions pour apprendre à déterminer ce que chacun est susceptible de vouloir acheter et à quel prix. Aujourd'hui, fort de plus de 30 000 marchands et marques partenaires, il opère des portails de corporate shopping pour 70% des entreprises du classement Fortune 1000, le portail personnalisable Corporate Perks pour les PME, mais alimente aussi les programmes de fidélité clients de Hilton, Dell, Mastercard…

Au total, ce sont donc des millions d'Américains qui réalisent leurs achats en ligne via de tels portails d'entreprise, sur lesquels la rotation d'offre est véritablement colossale.

Un nouvel acteur en France

En France, où les avantages pour les salariés sont surtout proposés au travers des comités d'entreprise, l'offre se limite en grande partie à de la billetterie et aux accès aux parcs de loisirs, par ailleurs souvent subventionnés par les employeurs. Pourtant, un nouvel acteur a décidé d'investir le créneau l'an dernier, One4You, qui propose aux CE et aux entreprises des offres mode, beauté, déco, voyage et lifestyle de marques et de marchands heureux de pouvoir cibler aussi précisément leur clientèle. Lancé début 2015, One4You a engrangé plus de 100 entreprises clientes en moins d'un an, dont LCL, la Société Générale, Bain, Mazars, KPMG, Deloitte, Orange et Shell. Soit One4You leur construit une boutique dédiée pour 190 euros par mois, soit il fournit gratuitement un portail bâti en fonction du profil de leurs effectifs (part de cadres, de consultants, secteur d'activité…).

Les marques décident à quelles entreprises elles veulent vendre

Dans tous les cas, ce sont les marques qui décident si elles veulent vendre à telle entreprise, en fonction du profil des effectifs que leur fournit la start-up. "Cette sélectivité est la seule façon de faire rentrer les marques de luxe", souligne son fondateur Christophe Jacquet. La colonne vertébrale de l'offre est commune à toutes les boutiques One4You, mais la part des offres spécifiques, fonction de l'entreprise, est amenée à croître, car "l'annonceur veut contrôler absolument qui en est le bénéficiaire".

Si l'intérêt pour les entreprises de ce genre de programme pousse maintenant aussi leurs directions de la communication à les prendre en main pour apporter davantage de bien-être à leurs collaborateurs, la valeur apportée aux marques est en effet plus évidente encore. "Après avoir vu dans Internet un eldorado, elles ont perdu le contrôle sur la distribution et les prix de leurs produits, analyse Christophe Jacquet. On voit très bien qu'elles cherchent maintenant à reprendre ce contrôle, parfois en quittant les marketplaces ou les sites de ventes événementielles, parfois en développant leurs propres outlets online ou offline. Cependant, elles ont beaucoup à gagner, en trafic en particulier, d'acteurs multimarques. Et elles sont à l'affut de data qualifiées pour acquérir et fidéliser elles-mêmes leurs clients. Notre outil leur permet de faire tout cela."

La clé réside dans la sélectivité

Pour l'entrepreneur, les marques courent depuis des années derrière le corporate, notamment pour diminuer leurs coûts d'acquisition, mais il n'existait pas jusqu'ici de technologie leur garantissant le contrôle de leur distribution et sa bonne exécution. L'e-commerce étant un business de volume, One4You a tout intérêt à grandir rapidement, notamment pour permettre aux marques d'être plus sélectives. En un an, le service compte déjà 30 000 membres actifs et en vise 400 000 fin 2016. Quant au volume des ventes générées chez les partenaires, de 500 000 euros en 2015, il devrait quintupler cette année.

Christophe Jacquet, PDG de One4You © One4You

Une accélération possible grâce à une évolution du business model de la start-up apportée l'été dernier. Alors que One4You fonctionnait beaucoup sur un système de ventes flash, elle s'est transformée en grand magasin en ligne, dont quelques deals limités dans le temps sont mis en avant sur la homepage. Et si elle réalise encore quelques ventes en direct, elle privilégie un modèle d'affiliation, redirigeant le visiteur vers le site marchand du partenaire et se rémunérant à la performance sur les ventes générées (pour un taux de transformation moyen de 3,5 à 4%). L'acheteur doit encore le plus souvent renseigner dans son panier le code promo fourni par One4You, mais de plus en plus fréquemment, il est reconnu automatiquement par un système de tokens. Enfin, la start-up se rémunère aussi sur le trafic qu'elle génère en boutique en organisant des événements privés pour les marques, souvent dans leur flagship. "Autant d'outils permettant à une marque de limiter à certains clients prescripteurs les avantages sur ses lancements de produits et, en cas de sur-stock, de cibler les entreprises éloignées de sa clientèle affinitaire pour ne pas abîmer sa marque", explique Christophe Jacquet. Donc de reprendre le contrôle en utilisant à leur compte l'arme du prix, seule capable de faire bouger les acheteurs aujourd'hui.

Créer un nouvel usage

Le secteur du corporate shopping est encore balbutiant en France. Kalidea et Meyclub de ProWebCE se positionnent pour leur part comme des éditeurs de solution, qu'ils facturent au nombre de salariés. Du côté des géants américains, Corporate Perks a bien mis un pied au Royaume-Uni, mais les spécificités françaises des comités d'entreprise et l'absence d'habitude de consommation au travers de l'employeur risquent de ne pas les allécher avant longtemps. Restent des entreprises qui, très habilement, ciblent le corporate pour se faire une place, comme l'Allemand BestSecret sur les ventes événementielles, mais doivent encore faire leurs preuves en matière d'offre face aux acteurs dominants.

Le premier défi de One4You – et de ses futurs concurrents – consistera donc probablement à créer un nouvel usage chez les consommateurs français, qui ne disposent d'aucun équivalent aujourd'hui. La valeur apportée aux marques et aux employeurs devraient aider la start-up, qui compte aussi investir beaucoup pour peaufiner l'expérience utilisateur et le parcours client entre son portail et le site du partenaire. Pour ce faire, elle a déjà levé 600 000 euros en juin 2014 auprès de business angels, puis 150 000 euros en juin 2015 pour pivoter vers un business model scalable en termes de relations avec les marques et les entreprises. "Au premier semestre 2016, nous aurons accumulé suffisamment de metrics démontrant notre traction pour aller voir un fonds et le convaincre de nous aider à prendre le marché maintenant", anticipe Christophe Jacquet.