Le 11/11 d'Alibaba : un record de ventes... et un aperçu du commerce du futur

Le 11/11 d'Alibaba : un record de ventes... et un aperçu du commerce du futur En 24 heures de consommation débridée, le géant chinois a fait la démonstration d'un e-commerce qui réconcilie online et offline en misant sur le divertissement.

17,8 milliards de dollars : tel le total des achats réalisés sur les plateformes d'Alibaba ce vendredi 11 novembre 2016 à l'occasion de son Global Shopping Festival. Avec ce nouveau record, en hausse de 32% par rapport à la même journée l'an dernier, les consommateurs de l'empire du Milieu viennent de laisser sur place le Cyber Monday américain (3,1 milliards de dollars en 2015) et d'offrir au géant chinois de l'e-commerce, en l'espace de 24 heures, l'équivalent du quart du chiffre d'affaires 2015 de l'e-commerce français.

Il faut reconnaître qu'Alibaba n'a pas mégoté pour donner une ampleur nouvelle à son événement. Il a d'abord confié à David Hill, producteur hollywoodien du Super Bowl et des Oscars, le soin de concocter les quatre heures spectaculaires de show télévisé qui, jeudi soir, ont mené, compte à rebours à l'appui, au début de l'opération à minuit. Point d'orgue de trois semaines de lancements de produits et d'événements organisés par les marques pour faire monter la mayonnaise, la soirée organisée au Sports Center de Shenzhen a vu se succéder des stars chinoises et internationales, du couple Beckham à One Republic en passant par Kobe Bryant et Scarlett Johansson.

Gala du Global Shopping Festival 2016 au Sports Center de Shenzhen. © F.Fauconnier/JDN

C'est que le Singles' Day chinois (la date du 11/11 semble figurer quatre célibataires), jour de fête apparu en 1993 sur un campus universitaire, a depuis lors pris une toute autre ampleur. Récupéré par les entreprises ciblant les jeunes, il devient peu à peu une grande fête de la consommation. Et donc une journée cruciale pour la première plateforme marchande du pays, qui se l'approprie à partir de 2009 en orchestrant 24 heures de promotions. Se nourrissant de l'essor du commerce électronique chinois, le "Double 11" est rapidement devenu un succès. Pas étonnant que le groupe de Jack Ma décline maintenant l'opération – le 9/9 sera dorénavant dédié au vin - ni qu'Amazon tente le même tour de force avec son Prime Day du début juillet.

Démonstration technique

Cette année, Alibaba a franchi un nouveau cap. Le volume d'affaires total enregistré par ses diverses marketplaces laisse déjà songeur, ainsi que les 82% de ventes réalisées sur mobile. Mais le démarrage en trombe, à minuit dans la nuit de jeudi à vendredi, est également frappant : le premier milliard de dollars a été atteint en moins de 5 minutes et plus du quart du volume d'affaires du Double 11 2015 en moins d'une demi-heure, grâce à des paniers préparés à l'avance par les consommateurs et à la frénésie entretenue par le show TV. Au-delà des chiffres, ce lancement tonitruant en dit long sur les capacités techniques de l'e-commerçant, qui aura absorbé jusqu'à 175 000 commandes et 120 000 transactions par seconde pendant les pics. Une démonstration de la robustesse de sa solution de paiement et de son cloud, qu'il propose à ses partenaires marchands d'abord pour gérer des volumes de ventes multipliés par 10, 15 ou 20 ce jour-là, mais bien sûr aussi le reste de l'année.

Media center du Global Shopping Festival 2016 d'Alibaba. © F.Fauconnier/JDN

La fièvre du démarrage retombée, les indicateurs qu'Alibaba égrène aux 700 journalistes couvrant l'événement depuis le media center installé à deux pas du Sports Center de Shenzhen étalent toujours sa démesure. A la fin de la journée, 657 millions de commandes ont été passées depuis 235 régions du monde auprès des marchands de la marketplace chinoise, à comparer par exemple aux moins de 50 millions de colis que livre UPS en une année. Une prouesse également en matière de big data, puisque Alibaba a personnalisé les contenus présentés aux centaines de millions de visiteurs de ses plateformes pour produire plus d'un milliard de variations de ses pages.

Or cette année, vendre beaucoup n'était pas le seul enjeu. Le groupe, qui compte actuellement 450 millions de clients pour la plupart chinois, ambitionne de servir 2 milliards de consommateurs dans le futur. Pour ce faire, sortir de l'Empire du Milieu s'impose. Et quelle meilleure façon de se faire connaître qu'avec une journée d'exubérance, de records pulvérisés, de paillettes et de grands noms ? Le Singles' Day est donc devenu le "11/11 Global Shopping Festival". Pour la première fois, il est organisé aussi à Taiwan et Hong-Kong. L'Asie du Sud-Est suivra en 2017, puis le reste du monde.

En Europe et aux Etats-Unis, Alibaba reste relativement inconnu du grand public comme des marques locales. En France, où il a ouvert des bureaux il y a un an, le Chinois affirme qu'une quarantaine de marques ont rejoint Tmall (sa plateforme BtoC) en 2016, mais ne peut encore citer que La Roche Posay, Caudalie, Sandro, Paul&Joe, Beaba, Agatha et De Buyer. De même que son introduction à la bourse de New York en 2014, ce Double 11 et les prochains vont être mis à contribution pour développer sa notoriété. D'où la participation de célébrités occidentales, la retransmission en direct dans plusieurs pays, le suivi des ventes en temps réel pour entretenir la pression, mais également la participation de grandes marques internationales. Apple, Guerlain, Maserati ont notamment accepté d'offrir des remises importantes sur des produits phares, tout comme Nike, Adidas, New Balance, Bosch, Unilever… Et la demande est au rendez-vous : "Au total, les 14 943 marques internationales ayant participé au Global Shopping Festival 2016 ont séduit plus de 47 millions d'acheteurs et représenté 27% du volume d'affaires de la journée", souligne Daniel Zhang, directeur général d'Alibaba.

Pendant le gala, Jack Ma fait un tour de cartes à sa guest star Scarlett Johansson © F.Fauconnier/JDN

En occident, où des Macy's, Sears, Vivarte ou Marks&Spencer ferment des magasins à tour de bras, le besoin de trouver de la croissance se fait cruellement sentir. L'attrait de 600 millions de cyberacheteurs chinois à l’affût de bonnes affaires ne peut donc laisser indifférentes les marques mondiales déjà présentes dans le pays. Le Global Shopping Festival constitue pour elles une opportunité en or d'engager ces consommateurs et de consolider leur notoriété. Mais plus qu'un nouveau bassin d'acheteurs, Alibaba leur apporte aussi le fruit de son travail sur l'avenir du shopping.

Allié de la distribution physique ?

"Le Double 11 sert de vitrine pour notre technologie et notre capacité à travailler avec les enseignes physiques, mais sert aussi à montrer qu'en Chine, le shopping est devenu un divertissement, résume Joe Tsai, vice-président exécutif du groupe. Aux Etats-Unis, quand vous allez sur le site d'Amazon, vous voulez en sortir le plus vite possible. Ici, faire du shopping est amusant." En prévision du 11/11/2016, Tmall a par exemple organisé le 23 octobre à Shanghai un défilé de mode de 8 heures diffusé en direct, durant lequel les internautes pouvaient commander ce qu'ils découvraient sur les podiums. Burberry, Trussardi, Paul Smith, La Perla ou Gap se sont jetés sur l'occasion de montrer leurs dernières créations. Alibaba a aussi profité du Double 11 pour promouvoir Buy+, une technologie très aboutie de shopping en réalité virtuelle. En immersion dans les rayons d'un magasin, l'utilisateur se promène, affiche les caractéristiques des produits et achète en fixant simplement sur des boutons d'action le centre de son champ de vision. Sont déjà partenaires Macy's, Target, Costco et des enseignes japonaises et australiennes.

Parmi les innovations de cette édition, le online-to-offline a aussi été mis à l'honneur, prenant la forme d'un jeu en réalité augmentée à la Pokémon Go, qui incitait les consommateurs à suivre le chat noir mascotte d'Alibaba à la recherche de discounts, aussi bien sur la plateforme qu'en points de vente physiques. Le jeu a enregistré 1,6 milliard d'interactions dans la journée, notamment chez Starbucks, KFC et dans des centres commerciaux.

En 24 heures, 120 milliards de yuans de volume d'affaires, soit 17,8 milliards de dollars. © F.Fauconnier/JDN

Ces partenariats se prolongent ensuite toute l'année sous diverses formes. Mondelez vend par exemple sur Alibaba des biscuits Oreo personnalisés qui ne seraient pas rentables dans la distribution physique, mais utilise également la plateforme pour accéder aux bassins de consommation considérables des zones rurales. Bosch Siemens Hausgeräte retire des tombereaux de données de ses ventes sur Alibaba et interagit avec les acheteurs pour peaufiner leur utilisation de ses équipements. Gap utilise la plateforme pour booster son click&collect et indique en boutique quels articles se sont le plus vendus pendant le Double 11.

Si l'omnicanal est si central dans ces initiatives, ce n'est pas un hasard. En Chine aussi, les marchands se plaignent de ce que la vente en ligne mine leur business. Or Alibaba déploie beaucoup d'énergie à réinventer le commerce pour fournir aux consommateurs une expérience d'achat multicanale sans couture… sans pour autant détruire la distribution physique. Le fait qu'Alibaba ne soit pas lui-même un marchand joue déjà en sa faveur. Sans stock en propre, il fonctionne uniquement sur des modèles de marketplaces et laisse à ses vendeurs la propriété de leurs données clients. Aucune schizophrénie chez lui, par conséquent, à vouloir aider les marchands quels qu'ils soient. Une caractéristique apte à séduire aussi bien les acteurs à la recherche d'un portail cross-border pour attaquer l'Asie que ceux qui tâtonnent pour marier leurs activités online et offline. Pour beaucoup de marques, le Global Shopping Festival marque donc la possibilité de monter dans le train qu'Alibaba emmène vers un commerce global réinventé, vers une ère que le directeur marketing du groupe, Chris Tung, annonce comme celle de l'"upgraded consumption".

"We are the future", conclut Alibaba à l'issue de son Double 11. © F.Fauconnier/JDN