Comment Jules reprend les codes des DNVB

Comment Jules reprend les codes des DNVB Zéro déchet, démarche écoresponsable, recours à la data… Jules s'inspire des bonnes recettes des marques digitales natives pour coller aux nouvelles attentes des consommateurs.

Difficile d'imaginer une enseigne plus traditionnelle que Jules. Depuis plus de vingt ans, la marque détenue par la famille Mulliez incarne le prêt-à-porter masculin pour les 25-45 ans, à travers 600 magasins. Mais depuis trois ans, l'enseigne empreinte les codes des DNVB : lutte contre le gaspillage, préoccupations écologiques… Qu'arrive-t-il donc à Jules ?

Si l'on en croit Pingki Houang, président de l'éditeur de logiciels Fashion Data adossé à Fashion3, entité qui rassemble sept enseignes mode de la famille Mulliez dont Jules, la récente démarche de la marque devait survenir tôt ou tard. Si les sociétés évoluent, les marques doivent quant à elles s'adapter. "Le secteur de la mode subit de plein fouet la déconsommation affichée, à cause de l'image polluante du textile. Les intentions d'achat diminuent pour ces raisons, analyse Pingki Houang, par ailleurs directeur exécutif omnicanal de Fashion3. Au-delà du virage que nous empruntons, il s'agit avant tout d'une prise de conscience par rapport à l'environnement qui nous entoure. Nous devions réagir, d'où cette transformation en profondeur." Un motif somme toute suffisant pour enclencher la machine.

Sensibilité environnementale 

Mais la prise de conscience passée, comment Jules concrétise sa métamorphose au quotidien ? Dans ce nouveau chapitre où le zéro waste endosse le premier rôle, la stratégie économique est entièrement reconsidérée. "Nous devons produire ce que nous sommes en capacité de vendre et cesser le phénomène de surproduction. Bien sûr, ce cheminement est indéniablement vertueux pour les DNVB mais leurs volumes de production sont inférieurs aux nôtres. Nous ne pouvons pas décider, du jour au lendemain, de basculer d'une production poussée à une production sur demande, explique le président de Fashion Data. A notre niveau, nous misons sur une transition réussie pour nous améliorer jour après jour, d'où le slogan du nouveau Jules : Men in progress."

Côté transport aérien, Jules a réduit de 8% son empreinte carbone et les nouveaux jeans de la marque nécessitent 60% d'eau en moins qu'auparavant

Signataire du Fashion Pact présenté lors du G7 à Biarritz le 26 août 2019, Jules s'est engagé sur la voie de l'éco-responsabilité à horizon 2030 et 2050. Ce pacte, qui réunit plus de 150 marques de la mode et du luxe, ambitionne de limiter l'impact de la filière sur le climat, la biodiversité et les océans à travers différents objectifs tels que le non-recours à l'utilisation de plastiques à usages uniques d'ici 2030 et le cap de zéro émission nette de carbone à horizon 2050.

Des objectifs à long terme mais déjà visibles chez Jules. "Le but n'est pas de tomber dans des effets de communication mais d'agir pour de vrai, ce qui est beaucoup plus complexe et plus long", soutient Pingki Houang. Côté transport aérien, Jules a réduit de 8% son empreinte carbone et les nouveaux jeans de la marque nécessitent 60% d'eau en moins qu'auparavant. En revanche, pas question pour l'enseigne de vendre sur le marché ses jeans au prix fort : sa clientèle cible ne changera pas. "L'enjeu pour nous est d'associer notre cœur de métier avec notre nouvel environnement, abonde le président de Fashion Data. En même temps, c'est assez paradoxal car tout le monde prône l'écoresponsabilité et la production locale, or le consommateur n'est pas prêt à payer 30% plus cher."

La data, comme priorité

Comme son nom l'indique, Fashion Data, incubée 18 mois durant avant la création de l'entreprise en avril 2019, œuvre également dans la gestion des données. "On s'attache à développer les outils aussi bien que le font les DNVB.  Mais la transformation digitale des entreprises ne se passe pas toujours comme prévu. Les entreprises sous-estiment l'accompagnement et la formation des collaborateurs dans cette nouvelle façon de travailler", déplore Romain Chaumais, leader executive de Fashion Data, qui réunit une vingtaine de personnes issues de l'univers de la mode, du retail, et bien sûr de la data. A terme, la société espère devenir autonome pour créer sa propre valeur et ses propres données. "Les investissements de Jules dans la data seront ensuite perçus par l'enseigne sous forme de marge additionnelle mesurée via les dispositifs mis en place par Fashion Data," souligne Romain Chaumais. 

Loin de vouloir figer la mode, Fashion Data accompagne ses évolutions grâce à l'accumulation des données sur les réseaux sociaux via des analyses d'images sur Instagram avec des startup partenaires comme Heuritech. "Il s'agit d'une dimension macro pour capter les prochaines tendances de la mode", souligne Romain Chaumais. La dimension micro englobe quant à elle différents calculs selon les individus, leur rapport à la mode, afin de proposer, in fine, une mode individualisée et personnalisée. En ligne de mire, Jules vise un double objectif par l'intermédiaire de Fashion Data : la satisfaction des clients et l'exécution du zero waste. "Si nous proposons les bons produits aux bonnes personnes, nous saurons écouler nos stocks de façon optimum, sans craindre de frustrer un client pour lequel le produit existant ne sera pas disponible dans le magasin où il se rendra. Nous devons être à la pointe de l'IA pour continuer à exister", poursuit le leader executive de Fashion Data.  

Mais le souhait de personnaliser ses produits est davantage un challenge pour une enseigne classique telle que Jules que pour une jeune DNVB, maîtresse de ses données dès le départ."La data est plus facile à gérer pour une DNVB qui part d'une feuille blanche et qui débute souvent monocanal sur un secteur très vertical, rappelle Romain Chaumais. Le fait de proposer des produits personnalisés à la clientèle est alors plus simple dans cette situation. Le risque est que si nos données n'optimisent des quantités que pour Jules, par exemple, et que Celio continue à surproduire, les clients profiteront de -70% chez Celio durant les soldes et seulement de -20% chez Jules. Nous voulons permettre aux autres marques de baisser leur surcapacité et s'approprier nos outils en open source si elles le souhaitent. Ensuite, chaque enseigne doit jouer sa partition selon ses codes et sa culture de marque, car c'est ce qui prime pour le consommateur plus que la technologie."