Romain Raffard (Bergamotte) "Le dispositif anti-crise de Bergamotte perdurera jusqu'à l'apparition d'un vaccin"

Le JDN poursuit sa série d'interviews de dirigeants face au coronavirus. Le co-fondateur et CEO de Bergamotte raconte le violent impact du Covid-19 sur le marché des fleurs, comment sa société s'était préparée dès février et confie son pessimisme pour le futur.

Romain Raffard, co-fondateur et CEO de Bergamotte. © Bergamotte

JDN. Comment a évolué l'activité de Bergamotte depuis la mi-mars ?

Romain Raffard. Notre chiffre d'affaires a dévissé de plus de 50% la semaine du 16 mars et nous avons enregistré une baisse de 30% la deuxième semaine. Cette période a été particulièrement anxiogène car notre secteur a vécu un événement presque impensable : le crash du marché des fleurs d'Amsterdam, alors que 80% des fleurs qui sont achetées et vendues transitent par Amsterdam. Les prix ont été divisés par 9. Le 16 mars, une rose qui s'échange habituellement à un euro valait 16 centimes au cadran (vente par système d'enchères électroniques, ndlr).  Le crash du marché hollandais représente 800 millions d'euros de perte à date pour un marché qui représente 8 milliards d'euros par an.  Cette situation est survenue à la pire période, en pleine saison des tulipes et des plantes en pot qui trouvent leur place dans les jardins et sur les balcons. On s'est retrouvé confronté au risque de ne plus disposer de fleurs et que celles-ci ne soient plus autorisées à franchir les frontières hollandaises et belges. Nous avons vécu la crise de plein fouet avec une angoisse maximale.

La situation s'est-elle améliorée en avril ?

L'activité a redémarré après quinze jours de confinement, dès le 1er avril. Problème, nous sommes limités par notre capacité de production de commandes car nous interdisons la présence de plus de 40 personnes en même temps dans notre atelier contre 70 personnes en temps normal. La période n'est donc pas à l'euphorie, même si nous avons rétabli nos volumes de ventes d'avant-crise. 

"Notre secteur a vécu un événement presque impensable : le crash du marché des fleurs d'Amsterdam"

Quelles dispositions avez-vous prises en termes d'organisation du travail ?

Nous avons anticipé cette crise car nous étions inquiets pour nos équipes dès le 15 février. A cette date, nous avons initié un plan de continuité d'activité, le plan corona, qui comprend notamment une gestion de notre approvisionnement en emballages et cartons, nécessaires à l'exécution des commandes, et des stocks plus conséquents. Nous avons commandé des masques avant le début du confinement pour garantir une sécurité sanitaire dans nos ateliers. Nous avons mis en place le télétravail dès le 9 mars. Nous avons fermé notre atelier parisien et nous avons déménagé le matériel dans notre deuxième atelier, à Clichy, afin que les équipes de fleuristes travaillent sur un seul lieu. Nous avons calqué toutes nos prises de décisions sur le modèle italien.

La crise ne frappe-t-telle pas plus fort avec un produit comme la fleur qui n'est pas considérée comme un achat indispensable ?

C'est ce que nous avons pensé au départ mais c'est le contraire qui se produit finalement. En confinement, le fait de disposer d'une fleur fraîche chez soi est une véritable puissance émotionnelle. Paradoxalement, la plante est le produit de décoration indispensable. Ce n'est pas de la première nécessité mais c'est un besoin et une invitation à l'évasion. D'ailleurs, nous constatons que les termes de recherche liés aux fleurs et aux plantes n'ont pas été dégradés depuis le confinement. 

"Nous avons mis en place le télétravail dès le 9 mars et fermé notre atelier parisien"

Vous avez ouvert une boutique à Hambourg le 1er février. Comment ont évolué les ventes sur la version allemande du site Internet ? Comment gérez-vous la dimension internationale de votre activité dans ce contexte ?

Nous projetions aussi d'ouvrir une boutique à Berlin le 1er mai, heureusement nous avons pu nous rétracter dans les temps. Notre boutique située à Hambourg est actuellement fermée. En Allemagne, nous observons une tendance tout à fait différente. Les volumes de ventes ont explosé dès la première semaine de confinement avec des chiffres de l'ordre de 30 à 50% de croissance contre le mois précédent et l'année dernière. Il y a eu très peu d'angoisse au sein de la population. La capacité à généraliser les tests et à rassurer a grandement joué sur le taux de psychose nationale. 

Même si nous sommes satisfaits des résultats outre-Rhin, notre modèle de développement repose à la fois sur le e-commerce et la présence de nos pop-up stores en Europe. Etant donné le contexte, nous avons annulé notre tournée jusqu'à fin juillet. C'est très difficile à gérer car ce sont des événements qui génèrent de la rentabilité et permettent de communiquer sur notre image de marque

En tant que DNVB, vous revendiquez votre engagement social. Quelles actions avez-vous mené en ce sens depuis le début de la crise ?

Dès le 13 mars, nous avons mis en place un partenariat avec l'AP-HP consistant à reverser 2 euros par commande passée sur le site. Nous avons collecté plus de 23 000 euros pour le fonds d'urgence Covid-19. L'idée était de soutenir dès le départ le personnel soignant grâce à cet apport financier mais aussi en offrant chaque semaine jusqu'à 5 000 fleurs et plantes au réseau de l'AP-HP. Nous avons réalisé l'importance que notre démarche RSE pouvait revêtir en ces temps de crise. Par ailleurs, lorsque le marché des fleurs s'est effondré, des milliers d'horticulteurs européens ont perdu leur récolte. Le 16 mars, nous avons décidé de mettre en place un prix minimum garanti pour chacun de nos producteurs afin de les soutenir financièrement. 

"Nous anticipons une deuxième vague de confinement en espérant qu'elle n'arrive pas"

Bergamotte n'a jamais pris part à la vente de muguets, le 1er mai. 2020 sera-t-elle aussi une année exceptionnelle sur ce point ?

Sur Internet, nous avons toujours pensé que nous n'avions pas de réel valeur ajoutée à vendre du muguet à nos clients par rapport aux fleuristes de quartier. Cette année, nous avons été contactés par un producteur basé dans le Vexin, propriétaire de 25 000 plants de muguets. Il n'était pas certain d'en vendre 2 000 alors que la fleur doit être récoltée car elle ne se conserve pas. Pour la première fois, nous allons donc vendre des pots de muguets sur notre site. 

Quel type de scénario envisagez-vous chez Bergamotte pour les prochaines semaines ?

Notre scénario est plutôt pessimiste. Nous anticipons une deuxième vague de confinement en espérant qu'elle n'arrive pas. Nous avons un point d'inquiétude sur la fête des mères, début juin. C'est l'événement phare de l'année dans notre secteur. Pourra-t-elle se dérouler dans de bonnes conditions ? Est-ce que nous disposerons d'une capacité de livraison suffisante chez nos transporteurs ? Y aura-t-il assez de fleurs du fait que les producteurs ont réduit leur niveau de récoltes ? Nous sommes très prudents sur le redémarrage et je pense que notre dispositif anti-crise de perdurera jusqu'à l'apparition d'un vaccin. 

Romain Raffard est diplômé de Kedge Business School et de l'Essec. Il a commencé sa carrière dans le tourisme chez Evaneos et Voyageurs du Monde, avant de fonder sa première start-up Localers.com en 2012. Il est le cofondateur et CEO de Bergamotte depuis 2015. 

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