Le reconfinement, la goutte de trop pour le secteur de la distribution ?

Invité dimanche 1er novembre du journal de 20 heures de TF1, le Premier ministre Jean Castex a confirmé, dans le cadre du reconfinement, la fermeture des petits commerces "non essentiels". Biens culturels, petit électroménager, vêtements, fleurs… par soucis d'équité, ces produits ne sont désormais plus disponibles en grandes surfaces depuis le 3 novembre.

Cette mesure intervient alors que les commerçants français accusent encore le coup du premier confinement. En effet, cette première phase avait mis le doigt sur une double lacune structurelle de la distribution : son insuffisante conversion au cross-canal et à la culture de la donnée. Une conversion qui permettrait pourtant aux enseignes de fusionner leurs différents modes d’interaction avec la clientèle pour faire preuve de davantage de souplesse et rester disponibles indépendamment du point de contact.

Alors que le secteur de la distribution était déjà bouleversé par une concurrence impitoyable et un contexte défavorable (grèves des transports, manifestations, premier confinement…), comment les structures fragilisées par ces derniers mois vont-elles faire face aux mesures imposées par le reconfinement ?

Entre deux vagues épidémiques, maintenir la tête hors de l’eau

La première vague de la pandémie a changé de façon soudaine et durable les habitudes des consommateurs en France. Du jour au lendemain, les distributeurs ont dû revoir et adapter leurs modes de vente pour répondre aux besoins de leurs clients et poursuivre leur activité. Selon une étude réalisée par la FEVAD sur les nouvelles habitudes d’achat, 42% des Français ont augmenté leurs achats en ligne pendant le confinement. En effet, ils ont plébiscité la livraison, le drive et le click & collect pour faire leurs courses, conduisant les acteurs de la distribution à trouver rapidement des solutions pour s’adapter à cette nouvelle ère du tout digital.

Un paradigme qui a conduit bon nombre de commerces à déclarer faillite. Déjà mal en point avant la crise en raison d’une déconnection avec les desideratas du consommateur (consommation responsable, déconsommation du textile, …) beaucoup d’enseignes ont accusé le coup, durant ce premier confinement, d’une transformation numérique parfois menée à reculons. Dans le secteur de la mode, c’est notamment le cas de Celio, ébranlé par la crise sanitaire, qui envisage de fermer pas moins de 102 magasins sur les 478 que compte l'enseigne dans l'Hexagone. Cet exemple est loin d’être une exception : La Halle, André, Naf Naf ou encore Camaïeu ont tous perdu des collaborateurs.

A l'approche de la période des fêtes de fin d'année qui représente plus de 20 % du chiffre d'affaires annuel des enseignes, comment ne pas trembler en songeant aux conséquences du second confinement ? 

Conjurer le sort… et les potentielles menaces du reconfinement

Si le reconfinement fait trembler plus d’une enseigne, ces dernières partent néanmoins avec un avantage certain en comparaison avec la première vague de mars : elles ont pu tirer des leçons de ce premier épisode et s’adapter à la nouvelle situation. Dès lors, tout laisse présager que cette seconde vague sera moins fatale aux distributeurs.

Premièrement, grâce à l’analyse des données du premier confinement, les enseignes sont en mesure de ne pas se laisser piéger par les dangers d’une pénurie. Par exemple, Franprix, qui au printemps dernier avait été pris de court par un afflux massif en magasin, a anticipé depuis de nombreuses semaines des stocks de familles de produits jugés indispensables afin de ne pas tomber en rupture. En prenant les devants, l’enseigne est aujourd’hui prête pour pallier d’éventuelles surconsommations. Cet exemple prouve ainsi que, pour améliorer leur aptitude à s’adapter au contexte, les commerçants devront faire évoluer leurs écosystèmes pour en accroître la fluidité, grâce à des connaissances approfondies de leurs produits et fournisseurs.

Ensuite, pour préserver la sécurité des individus et respecter la distanciation physique, les marques ont également dû s’adapter à des usages en perpétuelle évolution, privilégiant les mesures favorables au désengorgement des magasins telles que le sans contact et le click and collect. Par exemple, Rakuten a lancé récemment ‘Rakuten Ready’, un service de précommande et de paiement en ligne. En privilégiant des stratégies axées sur le digital, ces enseignes ont et pourront reprendre le contrôle de leurs canaux de communication et de distribution — et libérer des ressources afin de se concentrer sur leurs clients.

Enfin, lors du premier confinement, les acteurs de la distribution ont été confrontés à une double problématique : l’incapacité à pivoter rapidement leur modèle opérationnel et à réallouer dynamiquement les ressources là où elles étaient nécessaires. Une problématique sous-tendue par le manque de processus efficaces pour former et recruter rapidement le personnel pour les postes en tension (click & collect, logistique, drive…). Depuis, la plupart de distributeurs ont pu tirer des leçons et mettre en place des processus rapides de formation/recrutement cet été. Ils disposent donc aujourd’hui des bonnes compétences aux bons endroits et aux bons moments, mettant par conséquent toutes les chances de leur côté d’affronter cette seconde vague avec plus de flexibilité. 

Si « les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise »*, la pandémie que nous traversons aura poussé les distributeurs à enclencher une transformation radicale du secteur, qui connaît plus que jamais sa grande révolution. Cette accélération des projets de modernisation des process et de digitalisation de l’expérience client devrait permettre aux enseignes de gagner en agilité mais aussi en résilience et d’enfin positionner le client comme le centre de gravité de la distribution. Dès lors, gageons que les entreprises françaises du secteur ne revivent en cette fin d’année les effets délétères de la première vague, mais qu’elles sortiront grandies de cette crise !

*Jean Monnet, Mémoires, 1976