Geoffrey Bruyère (BonneGueule) "Etre une marque digitale est ce qui sauve BonneGueule"

Le cofondateur du site de mode masculine revient sur les difficultés du secteur et précise les atouts de sa marque pour affronter l'avenir.

JDN. Quelle est la situation de BonneGueule pour ce deuxième confinement ? 

Geoffrey Bruyère, cofondateur de BonneGueule. © BonneGueule

Geoffrey Bruyère. Contrairement au premier confinement, les consommateurs connaissent déjà le contexte et poursuivent leurs achats. On penserait donc que la situation est moins dramatique qu'au printemps sauf qu'en réalité, ce deuxième confinement a des répercussions fortes car il impacte les plus gros mois de l'année, surtout dans le secteur de la mode. Actuellement, nous réalisons -30% de nos objectifs à une période décisive qui représente le double du printemps. La mode féminine sur Internet se porte plutôt bien malgré le confinement car l'acte d'achat féminin est associé à un plaisir mais ce n'est pas le cas de la mode masculine. Chez l'homme, c'est l'usage du produit et le côté pratique qui prime. S'il est confiné chez lui, il ne voit pas l'intérêt de dépenser. A l'issue du premier confinement, notre but était de terminer l'année à l'équilibre. A présent, c'est davantage compromis et 2020 risque d'être la première année déficitaire de notre histoire. Malgré tout, le trafic du site reste stable. BonneGueule réunit 5 millions de visiteurs uniques par an, média et site e-commerce confondus. 

Vos quatre boutiques sont actuellement fermées. Avez-vous revu à la hausse vos objectifs sur l'e-commerce ? 

Nous ne constatons pas vraiment de report sur l'e-commerce lorsque nos boutiques sont fermées. Les marques qui développent un business constitué à 90% d'un réseau de boutiques observent un report sur leur site marchand en cas de fermeture. Chez BonneGueule, l'e-commerce représente les deux tiers de l'activité donc la différence n'est pas énorme en ce moment. En soi, la fermeture de nos boutiques n'est pas catastrophique et le fait d'être une marque digitale nous sauve.

Justement, dans quelle mesure est-ce avantageux d'être une DNVB comme la vôtre en ce moment ?  

"2020 risque d'être la première année déficitaire de notre histoire"

Je pense que notre modèle économique reste plus que jamais d'actualité. Toutes les évolutions que les retailers et acteurs traditionnels mènent au pas de charge en ce moment sont déjà natives chez nous. Nous pouvons citer l'usage du e-commerce, le web to store, la communication digitale, la transparence sur nos valeurs et pas seulement sur nos produits ou encore l'intérêt du volet RSE. Même si 2020 est une année blanche, nous sommes optimistes sur du moyen et long terme. Une fois que la situation sanitaire se résorbera, nous serons mieux placés que d'autres pour bénéficier de la croissance.     

D'autant plus que vous avez levé 6,5 millions d'euros trois jours après le premier confinement. Comment cette nouvelle trésorerie vous aide à préparer la suite et à planifier vos projets ? 

Plus que jamais, c'était le moment opportun pour mener cette levée de fonds. En période de crise, le but est de survivre et la seule question que l'on se pose est la suivante : combien a-t-on d'argent sur le compte en banque ? Cette levée de fonds qui nous finance pour cinq ans est une bouffée d'oxygène en ces temps particuliers. Nous avons également bénéficié des aides de l'Etat. Cela nous permet de ne pas empiéter sur nos réserves, de ne pas sacrifier nos investissements pour l'avenir et de soulager les pertes de cette année. C'est un confort inouï de ne pas être préoccupé par la survie mais par la rentabilité et la préparation du monde d'après. BonneGueule a toujours été rentable et nous ne voulons pas changer de doctrine. 

Concernant les projets, nous souhaitons revoir nos infrastructures. BonneGueule est né comme un média avant la création du site e-commerce. Nous les avons reliés par la suite mais l'approche n'est pas intégrée. Notre but est de créer une seule expérience autour de notre branding et notre charte graphique que nous allons également retravailler pour davantage communiquer nos valeurs. Nous voulons aussi proposer une collection destinée aux femmes d'ici un an ou deux. Enfin, il y a des opportunités fortes en région et nous allons continuer à ouvrir des boutiques, entre deux à trois par an. 

La crise sanitaire met à mal les boutiques mais vous souhaitez poursuivre le développement de votre réseau physique. Pourquoi ? 

Etre une marque digitale ne vient pas forcément à l'encontre d'un réseau physique. Les boutiques peuvent être le prolongement de l'expérience digitale. La plupart des DNVB américaines, à l'image d'Everlane qui était plutôt réticente sur la question, ont finalement ouvert des boutiques. Aujourd'hui, c'est aussi le cas de Casper, Glossier, Away et d'autres. Il ne s'agit pas non plus d'ouvrir des boutiques à tout prix, tout dépend du produit que l'on vend. 

Dans la mode haut de gamme où les clients doivent toucher les vêtements et les essayer, l'expérience en boutique est plus avantageuse que l'e-commerce sans compter que c'est un moyen plus direct pour communiquer sur les valeurs de la marque. Par ailleurs, le fait de vendre en ligne engendre des coûts fixes à chaque commande. Il faut compter environ une vingtaine d'euros avec les frais d'envoi, le picking logistique, les frais de stockage à l'entrepôt, l'emballage, et parfois les colis sont retournés ou perdus. A l'inverse, une fois que le loyer et les salaires sont amortis, chaque vente se fait à coût nul en boutique. A l'arrivée, si une marque fait du volume, une boutique est plus rentable qu'un site e-commerce. En boutique, les gens consomment également plus car ils ont accès à tous les produits sur place. Mécaniquement, le chiffre d'affaires est plus important et comme le client peut essayer l'article, on réduit aussi le nombre de retours. Enfin, les magasins permettent de capter une cible supplémentaire qui n'apprécie pas forcément de consommer en ligne, surtout de la mode. Je pense que la crise sanitaire met un coup d'arrêt au physique mais sans enlever sa pertinence. 

Après quelques années dans le conseil en stratégie marketing, Geoffrey Bruyère cofonde BonneGueule avec Benoît Wojtenka en 2007. Depuis sa naissance en tant que blog amateur, BonneGueule défend une mode responsable. En 2014, les deux associés lancent leur marque de vêtements pour hommes. L'entreprise compte quatre boutiques expérientielles en France et 45 collaborateurs.