Les marketplaces sont-elles désormais soumises au contrôle des produits vendus sur leur plateforme ?

Cette question a récemment été posée concernant la célèbre plateforme " Wish " qui a été mise en cause par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF), pour des manquements graves sur la sécurité des produits vendus sur son site.

Ces manquements et l’absence de mise en conformité dans le délai requis, ont permis à la DGCCRF de sanctionner la plateforme d’une manière inouïe, en ordonnant le déréférencement du site internet e-commerce et de l’application Wish des principaux moteurs de recherche et magasins d’application mobile, jusqu’à mise en conformité.

Or, cette sanction pose des interrogations eu égard, d’une part, au statut juridique de telles plateformes.

En effet, la place de marché en ligne est une plateforme numérique qui joue le rôle d’intermédiaire entre un acheteur et un vendeur pour la conclusion d’un contrat de vente ou la fourniture de services en ligne.

La question récurrente soulevée depuis quelques années est de savoir si ces plateformes doivent être considérées comme un simple hébergeur ou si elles supportent une responsabilité en qualité d'éditeur de contenu. Les solutions divergent en jurisprudence.

Une approche globale des juridictions françaises et européenne sur la responsabilité des plateformes en ligne tendent, à privilégier le régime de responsabilité des hébergeurs, qui est un régime atténué puisque la responsabilité de l’hébergeur ne peut être mise en œuvre que s’il a été averti du contenu illicite d’un site et qu’il n’en a pas suspendu promptement la diffusion, comme ça a été le cas concernant la plateforme eBay qui abritait des annonces proposant des produits de contrefaçon.

Il s’agit des cas dans lesquels la plateforme s'est cantonnée à un rôle passif de stockage des annonces ou de détermination des modalités de son service quand bien même elle percevrait une rémunération pour ces prestations.

En revanche, dès lors que la plateforme fournit une assistance au vendeur en intervenant dans la rédaction ou dans la promotion des annonces par exemple, le prestataire joue « un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données relatives à ces offres ».

Il perd alors son statut d'intermédiaire et, par conséquent, le bénéfice du régime de responsabilité atténué. Cette analyse a notamment été choisie par les juges dans des affaires opposant une fois encore eBay à plusieurs maisons de luxe.

Les juges avaient estimé l’existence d’une participation essentielle de eBay à la commercialisation de produits de contrefaçon, ce qui constitue une faute grave.

Il est donc reproché à eBay, d'avoir manqué à son obligation de surveillance, qu’elle aurait dû respecter eu égard à son activité de courtage aux enchères, en s'abstenant de mettre en place des mesures efficaces de lutte contre ces pratiques de contrefaçon et d'avoir favorisé, et même amplifié à l'échelle mondiale, la commercialisation de produits contrefaits.

Si la plateforme eBay a pu être considérée comme un intermédiaire technique tiers à la conclusion de la vente, dont intervention se limitant à héberger les annonces, et que son activité relevait bien du statut d’hébergeur, pour autant, les juges estiment que cette qualification ne la dispense pas de veiller, dans la mesure de ses moyens, à ce que son site ne soit pas utilisé à des fins répréhensibles.

Ainsi, peu importe leur qualification, les plateformes semblent être, en tout état de cause, tenues à minima à un devoir de surveillance.

Et, si ce devoir n’est pas respecté, la DGCCRF dispose désormais de marges de manœuvres particulièrement étendues.

Concernant Wish, la plateforme considère avoir un statut d’hébergeur, ce qui engendrerait pour elle, la simple obligation de retirer les produits de la plateforme en cas de signalement. En revanche, le statut d’hébergeur n’oblige, selon elle, aucunement à effectuer des contrôles et tests sur tous les produits proposés par la plateforme.

Néanmoins, la DGCCRF estime que la plateforme n’est pas un simple hébergeur mais agit à contrario comme un distributeur, éditeur de son site. Elle explique cela par le rôle actif que joue Wish en intervenant en amont, par la mise à disposition des produits sur la plateforme, et en aval, par la gestion des retours clients des produits.

Avec la multiplication des marketplaces de e-commerce, il paraît fondamental que les procédures judiciaires à venir concernant cette affaire tranchent ces questions et délimitent définitivement la frontière entre hébergeur et éditeur.

Quels sont les pouvoirs offerts à la DGCCRF et dans quelle mesure ?

Eu égard aux nouveaux pouvoirs de protection des consommateurs en ligne prévus par le droit européen et transposés dans notre Code de la consommation (article L521-3-1), l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut désormais, dans certaines conditions :

-          Notifier aux opérateurs de plateforme en ligne les adresses électroniques des interfaces en ligne dont les contenus sont manifestement illicites afin qu’ils prennent toute mesure utile destinée à faire cesser leur référencement ;

-          Notifier aux opérateurs de plateforme en ligne et aux personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne, les adresses électroniques des interfaces en ligne dont les contenus sont manifestement illicites afin qu'ils prennent toute mesure utile destinée à en limiter l'accès.

-          Ordonner aux opérateurs de registre ou aux bureaux d’enregistrement de domaines de prendre une mesure de blocage d’un nom de domaine, d’une durée maximale de trois mois renouvelables une fois, suivie, si l’infraction constatée persiste, d’une mesure de suppression ou de transfert du nom de domaine à l’autorité compétente.

Concrètement, cela signifie que la DGCCRF pourra ordonner l’affichage de message d’avertissement lors de l’accès à un site ou une application, mais aussi et comme c’est actuellement le cas pour Wish, demander le déréférencement d’une plateforme, voire, solliciter le blocage de l’accès à un site ou le blocage provisoire d’un nom de domaine.

Si l’infraction persiste, la DGCCRF peut alors délivrer une injonction de suppression ou de transfert du nom de domaine. Le non-respect de ces mesures est puni d’une sanction pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement et 250 000 € d’amende ; le juge civil ou administratif pourra également être saisi en vue de la cessation de la pratique.

Dans le cas de Wish, si certains moteurs de recherche ont immédiatement appliqué cette directive, d’autres, résistent encore au déréférencement de Wish.  

Pour le moment, la plateforme reste accessible en France et il sera toujours possible de se rendre sur le site internet en tapant directement l’adresse, mais le ministre de l’Économie a évoqué le fait d’interdire la présence de Wish sur le territoire français, si la plateforme ne se met pas en conformité.

Est-il possible d’ordonner le blocage des noms de domaine dans le monde entier ?

Eu égard à l’article du Code de la consommation précité, il est en effet possible, d’ordonner aux opérateurs de registre ou aux bureaux d'enregistrement de domaines de prendre une mesure de blocage d'un nom de domaine, d'une durée maximale de trois mois renouvelables une fois, suivie, si l'infraction constatée persiste, d'une mesure de suppression ou de transfert du nom de domaine à l'autorité compétente.

En France, l’Association française pour le nommage Internet en coopération (Afnic), a pour mission de gérer les domaines Internet nationaux de premier niveau de la France (.fr), La Réunion (.re), des Terres australes et antarctiques françaises (.tf), Mayotte (.yt), Saint-Pierre-et-Miquelon (.pm) et Wallis-et-Futuna (.wf).

Cette association coopère bien évidemment avec l’ICANN (Internet Corportation for Assigned Names and Numbers) qui coordonne l’attribution de domaines dans le monde entier.

L’ICANN coordonne principalement l’attribution des TLD de premier niveau comme l’extension générique (gTLDs), dont les plus courantes sont .com, .net, .org et .info, mais aussi les nouvelles extensions TLDs comme .web ou .shop.

L’ICANN est responsable de l’approbation de toutes ces extensions de domaine et définit ainsi les critères d’attribution. Se pose ainsi la question de savoir quelle sera la marge de manœuvre de la DGCCRF auprès de l’ICANN. Alors que les registres ccTLD (comme .fr, .de ou .uk) doivent respecter les exigences relatives à leurs pays respectifs, les registres gTLD, doivent seulement suivre les critères de l’ICANN. A ce titre, les registres ccTLD peuvent décider de manière indépendante des critères d’allocation des domaines, ainsi que di blocage des noms de domaine. Ainsi, si le blocage des noms de domaine paraît envisageable par l’Afnic, il apparaît très incertain, de pouvoir contraindre l’ICANN de bloquer les noms de domaine du monde entier.

Or, le seul blocage de noms de domaine gérés par l’Afnic romprait en premier lieu, l’égalité avec les autres extensions gérées par l’ICANN, mais élargirait considérablement le champ d’application de la loi française en permettant un blocage pour le monde entier. Quant au blocage d’accès au site internet, il s’agit pour les fournisseurs d’accès à internet, de bloquer l’accès du site en question à tous les internautes en France.

S’il apparait que le blocage d’accès est une sanction lourde, elle est, en tout état de cause, moins contestable que le blocage du nom de domaine pour le monde entier. Quant au contrôle préalable du juge, et à la question de savoir si l’État peut communiquer aux fournisseurs d’accès à internet et aux moteurs de recherche une liste de sites à bloquer ou à déréférencer, sans qu’un juge administratif ou judiciaire ait confirmé au préalable l’illégalité du contenu des URL en cause, le Conseil d’État a déjà eu l’occasion de répondre à cette question en estimant qu’il « ne résulte pas des stipulations de la convention européenne des droits de l’homme que les mesures de blocage et de déréférencement en cause ne puissent être ordonnées que par un juge ».