Bientôt la fin du ticket papier : attention aux pièges

Bientôt la fin du ticket papier : attention aux pièges Entre QR code, e-mail et SMS, les solutions se multiplient pour les commerçants face à la fin du ticket de caisse papier. Mais gare à la vigilance de la Cnil et aux coûts à absorber.

Initialement prévue le 1er avril 2023, la fin de l'impression systématique des tickets de caisse papier a été une nouvelle fois décalée par le ministère de l'Economie et des Finances en raison de l'inflation au 1er août ou 1er septembre 2023. La mise en place de cette mesure, qui fait partie de la loi Agec du 10 février 2020, devait se faire au 1er janvier 2023 mais a dans un premier temps été repoussé de trois mois par un décret publié le 15 décembre 2022 pour donner le temps de s'adapter aux commerçants. "Les grandes enseignes sont globalement en place et les commerçants sont prêts. Quand on se rend dans ces magasins, on nous demande déjà si l'on veut le ticket ou non", remarque Maxime Dupont, senior manager RSE chez Bartle, un cabinet de conseil. Les petits commerçants semblent, eux, moins bien préparés à la mesure. Pour Olivier Chiono, le directeur de l'offre retail pour l'éditeur de logiciel lyonnais Cegid, "les gros PSP sont à jour mais ce n'est peut-être pas le cas des plus petits, certains commerçants utilisent encore des logiciels vieillissants et plus forcément mis à jour".

Twilio a publié en mars 2023 une enquête réalisée en février 2023 par Opinéa auprès de 1 004 consommateurs français. Ils sont 41% à constater que les commerçants demandent de façon systématique à leurs clients s'ils souhaitent avoir la version imprimée du ticket. 51% des consommateurs constatent aussi la présence de nouvelles solutions qui offrent la possibilité aux clients de recevoir leurs tickets de caisse sur des supports alternatifs. Parmi les Français interrogés et prêts à délaisser le ticket papier, ils privilégient des supports tels que l'email (53%), le SMS (17%) et 5% d'entre eux souhaitent avoir une application dédiée aux tickets de caisse.

Que prévoit la loi Agec ?

La loi Agec interdit donc aux commerçants d'imprimer systématiquement les tickets de caisse. Les clients peuvent toujours en demander l'impression et les commerçants peuvent proposer une version dématérialisée reçue par mail, par SMS, par scan de QR code. Ce changement prévu par la loi Agec est motivé par la lutte contre les substances dangereuses présentes dans les tickets de caisse et le fait de remédier à un gaspillage important : d'après le gouvernement, 30 milliards de tickets sont imprimés chaque année. Des exceptions existent à cette loi, comme l'impression de ticket de caisse pour les achats dits durables ou en cas d'annulation de l'opération.

Les solutions proposées online

Pour Olivier Chiono, différents types d'e-mail contenant les tickets de caisse dématérialisés sont possibles. "Il peut s'agir d'un simple envoi par le logiciel de caisse sans marketing. Il peut aussi s'agir d'un envoi par e-mail avec l'ajout d'éléments marketing dans le corps du mail. Des partenaires spécialisés se connectent sur le logiciel de caisse et apportent cette brique supplémentaire". La seconde solution a l'avantage que "le consommateur reçoit les communications de la marque depuis le même outil, elles sont tracées via l'outil et le mail à le même look : la relation client est homogène", continue le directeur de l'offre retail de Cegid.

Mais le mail n'est pas la solution la plus écoresponsable : "Un mail avec un PDF et une image lourde parcourt en moyenne 15 000 kilomètres et est stocké dans des serveurs qui ne sont pas optimisés dans 95% des cas", affirme Léna Crolot, la CEO et cofondatrice de Biliv, une solution de ticket de caisse dématérialisé par scan de QR code. Chez Biliv, le paiement se fait de manière classique et le client scanne un QR code sans fournir son adresse mail pour s'inscrire. "Une page web s'ouvre et la personne récupère son ticket de caisse dessus, nous sommes sur un format texte 70 fois plus léger. Nous avons aussi des options autour de la fidélisation, des avis client et du marketing digital", continue Léna Crolot. D'autres entreprises proposent le ticket de caisse par SMS ou NFC. Chez Meta, Whatsapp pourrait donner la possibilité de recevoir des tickets de caisse dématérialisés dans le futur, selon nos informations.

La Cnil alerte sur la protection des données

"En e-commerce, nous donnons facilement nos données personnelles, mais c'est plus compliqué en magasin. Les retailers essaient de capter de la donnée client via ce processus. Mais il faut rester dans les clous du RGPD et gérer le consentement comme il faut", juge Olivier Chiono. La Cnil avertit les marchands sur son site : "Les solutions à privilégier devront chercher à minimiser, autant que possible, la collecte de données personnelles, voire à l'éviter. […] C'est notamment le cas de la récupération du ticket de caisse par l'intermédiaire du scan d'un QR code qui ne requiert que la collecte des données nécessaires à l'établissement de la connexion (web ou locale), comme l'adresse IP de l'utilisateur", note la Cnil sur son site. Dans le cas où la récupération passe par un serveur web, la Cnil recommande :

  • de sécuriser le système par un système de token ou un temps limitant la durée pendant laquelle le ticket est disponible ;
  • d'éviter l'utilisation de cookies ou d'autres traceurs sur le serveur web, qui pourraient permettre un suivi. Cela permettra également de ne pas faire apparaître de fenêtre pour recueillir le consentement des personnes, ce qui nuirait à la navigation et contribuerait à la fatigue du consentement des utilisateurs ;
  • de privilégier le simple téléchargement du ticket de caisse et prévoir une durée de péremption du jeton d'accès.

"Transmettre ses données personnelles pour recevoir un ticket de caisse ne vaut pas consentement", prévient Maxime Dupont. Même son de cloche pour Olivier Chiono : "Si il donne son e-mail uniquement pour le ticket de caisse, il n'y a pas d'opt-in car l'intérêt est légitime. L'adresse saisie n'est pas stockée. Si le commerçant souhaite aussi envoyer des campagnes marketing, il doit demander l'opt-in en caisse ou dans l'e-mail d'envoi du ticket de caisse".

Un surcoût à absorber

Si nous avons évoqué le ticket de caisse de manière générique, il ne faut pas non plus oublier le ticket de carte bancaire qui a demandé aux fournisseurs de terminaux de paiement de s'adapter. "Le ticket de carte bancaire peut être combiné avec le ticket de caisse et envoyé par email ou via le scan de QR code. Cela se travaille avec les partenaires de paiement comme Adyen", explique Olivier Chiono. Les acteurs du paiement ont modifié leurs logiciels et une question est maintenant posée à l'écran pour proposer l'impression ou non du ticket. Il n'y a donc pas de problématique technologique. En revanche ces options sont payantes. "Pour les gros commerçants, ces solutions nécessitent des millions d'euros pour leur mise en place. Chez les plus petits, toutes ces options ont aussi un surcoût qu'ils auront plus de mal à absorber", continue Maxime Dupont. La formation est aussi importante dans la mise en place de la mesure. "Le protocole est modifié et les caissiers vont devoir adopter un nouveau réflexe", ajoute Olivier Chiono. Il ne faut pas oublier de former le personnel externe à l'enseigne comme les vigiles par exemple.

Une écoresponsabilité dure à prouver

Le directeur de l'offre retail de Cegid conseille aux entreprises qui ont une sensibilité écologique de privilégier le QR code aux solutions d'e-mail. Pour Maxime Dupont, le ticket de caisse, qui n'était pas un outil, commercial pourrait le devenir. "C'est antinomique, on veut réduire l'impact écoresponsable du ticket de caisse mais on permet à des start-up de relancer la consommation derrière et par là-même de générer plus de déchets", dénonce le senior manager RSE de Bartle. Par ailleurs, l'impact sociétal n'est pas négligeable, les sociétés qui produisaient des tickets de caisse vont perdre une grande partie de leur volume d'affaires. "C'est une problématique d'emploi et de dynamisation du territoire également", ajoute-t-il. Pour lui, il est difficile d'analyser le cycle de vie des différentes options et l'impact de leur émission carbone pour déterminer la plus intéressante : "Tout va dépendre des infrastructures, des data centers, du mix énergétique du pays dans lequel nous sommes et cela n'est pas comparable d'un pays à l'autre. Si l'on compte le ticket dématérialisé et les effets de bord des envois marketing, l'environnement n'est pas gagnant", juge-t-il.