Emery Jacquillat (Matelsom-Camif) "En 3 ans nous avons relancé Camif et entièrement réorganisé Matelsom"

En parallèle de la relance de Camif, Matelsom s'est totalement réinventé : outil informatique, déménagement à Niort, refonte des sites... Son fondateur et PDG détaille les multiples projets et les ambitions de son groupe.

JDN. Quelle démarche avez-vous adoptée pour rebâtir l'image et l'activité de Camif ?

Emery Jacquillat. Au moment de la reprise de Camif par Matelsom, actée par le tribunal de commerce de Niort en mars 2009, nous nous sommes d'abord demandé ce que nous pouvions apporter. La réponse était double : d'une part notre savoir-faire Internet, d'autre part un positionnement sur l'équipement durable de la maison, en nous appuyant sur les valeurs historiques de la marque Camif, réputée pour la qualité de ses produits. Nous avons travaillé à partir de ces deux piliers.

Nous sommes repartis de l'offre catalogue diffusée par Camif quelques mois avant sa faillite puis avons entièrement refondu cette offre, ce qui a pris un an. Aujourd'hui, 70% des produits commercialisés par Camif sont fabriqués en France. Nous favorisons les démarches durables et éthiques, en travaillant par exemple avec un fournisseur de lits près de Pau qui œuvre à l'insertion de personnes handicapées, ou encore avec un fabricant de couettes et d'oreillers qui pratique la compensation carbone. Ce positionnement durable et non discount est nouveau sur Internet et permet à notre offre de se démarquer.

De quelle façon avez-vous abordé les anciens clients Camif ?

La relance s'est déroulée en plusieurs étapes. Nous avons d'abord communiqué auprès des clients lésés par la faillite de Camif, dès sa réouverture en juillet 2009, en leur envoyant un courrier d'explications et en leur proposant 7% de remise. Fin 2009, nous avons relancé tous les anciens clients dont nous possédions l'adresse e-mail et nous avons acheté une base d'e-mails. Ces deux axes nous ont apporté notre chiffre d'affaires en 2010 et 2011.

Nous avons également rouvert le magasin Camif de Niort, qui historiquement bénéficiait du meilleur trafic du réseau, puisque certains consommateurs n'hésitaient pas à rouler 200km pour s'y rendre. L'objectif était de montrer que nous ne sommes pas que des pixels, de permettre aux conseillers du centre Téléperformance installés juste en face de connaître nos produits, mais aussi de pouvoir convaincre certains fournisseurs fonctionnant avec des contrats de distribution sélective de resigner avec Camif. Nous avons par ailleurs installé nos bureaux en plein centre du magasin.

Avez-vous essayé de toucher les anciens clients Camif pour lesquels vous ne possédiez pas d'adresse e-mail ?

Tout à fait. Pour ce million et demi d'anciens clients, nous avons créé un "magalogue" de 80 pages, au lieu des 800 pages de l'ancien catalogue, qui vise précisément à créer de la frustration pour pousser les gens vers le site Web. Nous en avons envoyé 250 000 exemplaires en plusieurs vagues sur plusieurs segments. Nous sommes parvenus à orienter vers le Web la moitié de notre cible, qui a acheté en ligne ou s'est abonnée à une newsletter. Pour l'autre moitié, que nous désignons sous le terme de "seniors sans intention d'achat sur Internet", nous continuons à éditer un magazine papier. La reconquête sur cette seconde cible est plus longue, plus prudente et coûte plus cher, donc nous ne travaillons pas au même rythme que sur la newsletter, notre principal driver.

Maintenant que vous couvrez tous les anciens clients Camif, quel est votre plan de route ?

Aujourd'hui, la Camif bénéficie d'un positionnement fort qui mérite d'aller à la conquête de nouveaux clients. Nous avons donc entamé il y a quelques mois un programme de marketing online, pour lequel nous actionnons tous les leviers habituels : Google, affiliation, comparateurs... Et nous avons réalisé une première prise de parole au moment de l'élection présidentielle, en proposant aux internautes de redécorer l'Elysée sur Pinterest.

De plus, nous avons lancé cette année une innovation que nous nommons "conso'localisation". Sur le site, l'internaute peut voir où est fabriqué chaque produit et en faire un critère de choix ou de tri. Ceci permet de favoriser la production locale et de réduire les émissions de CO2, l'essentiel des flux étant livré directement par les fabricants. Les consommateurs se sont révélés très réceptifs, puisque la région de production est maintenant le deuxième critère de sélection utilisé par nos visiteurs, après les promos et devant la marque et le prix. Ils sont conscients qu'avec leur pouvoir d'achat, ils peuvent favoriser l'économie de leur région et réduire leur empreinte écologique.

Préparez-vous une marketplace sur Camif.fr ?

Nous y travaillons en effet. Elle nous permettra d'accroître notre offre sur les segments de marché hors de notre cœur de métier, comme les luminaires et la décoration, qui restent dans l'univers de la maison.  Aujourd'hui, notre chiffre d'affaires se répartit à 45% sur la literie, à 40% sur les meubles et à 12% sur le linge de maison, qui pèse près de 50% en volume. Or nous avons l'humilité de penser que nous ne pouvons pas tout faire nous-mêmes. La place de marché n'est pas un projet brûlant, il aboutira sans doute en 2013.

Relance de Camif mise à part, vous avez engagé de nombreux projets pour changer la nature du groupe Matelsom. En quoi ont-ils consisté ?

Entre 2009 et 2011, nous avons changé d'outils, de situation géographique et d'équipes. Cette période a représenté pour nous un véritable big-bang, sur tous les plans.

Notre principal projet ces trois dernières années a consisté à changer tous nos outils informatiques. Jusqu'en 2009, tout était fait-maison. Aujourd'hui, nous avons un ERP Generix et nous avons développé toutes les interfaces en EDI avec nos prestataires et fournisseurs. La migration nous a occupés pendant 12 mois, auxquels il faut rajouter les 18 mois passés à stabiliser nos systèmes. La migration informatique s'est achevée fin 2011 avec la mise en place de la solution Magento. Nous opérons désormais tous les sites du groupe sur cette plateforme unique.

Tout ceci a été mené en parallèle de notre migration géographique de Nanterre vers Niort, que 20% des équipes ont accompagnée. Et bien sûr nous avons repensé l'organisation de l'entreprise pour la recentrer sur l'e-commerce. Nous avons ainsi décidé de confier les pics d'activité à des prestataires dont c'est le métier. Nous avons ainsi externalisé la logistique de la literie chez Geodis et la relation client téléphonique, e-mail et bientôt réseaux sociaux à Téléperformance, qui a ouvert un centre à Niort.

Quels sont les chantiers actuels de Matelsom.com ?

La nouvelle version du site, mise en ligne suite à la migration sur Magento, affirme notre positionnement premium avec une ergonomie revue, des conseils pour bien dormir et des fonctionnalités propres à la literie. En effet, même ne magasin, choisir un matelas est très difficile : on l'essaie 5 minutes mais on ne sait pas sur quels critères baser son choix. Nous lancerons à la rentrée un nouveau configurateur qui aidera les internautes à trouver le produit que leur correspond. De plus, dès que les soldes seront finies, nous allons mettre en œuvre une solution de chat. Et plus largement, depuis la bascule sur Magento, nous avons enregistré une bonne progression du taux de conversion du site.

A combien s'élève votre chiffre d'affaires ?

En 2011 le chiffre d'affaires du groupe Matelsom s'élevait à 30 millions d'euros, réalisé au tiers sur Matelsom.com et aux deux tiers sur Camif.fr. En 2012, malgré l'environnement économique difficile et la concurrence accrue, nous prévoyons une croissance forte du fait que nous commençons la communication online sur Camif.fr. Cette année, nous visons donc pour le groupe des revenus compris entre 35 et 40 millions d'euros. En outre, notre "big bang" a généré beaucoup d'éléments exceptionnels dans nos résultats pendant trois ans, mais 2012 sera l'année du retour à l'équilibre.

Nous savons par ailleurs qu'autrefois, les très bons clients Camif commandaient 7 à 8 fois par an. Ce chiffre est bien moindre maintenant, mais nous pensons pouvoir retrouver ce niveau : nos très bons clients sont fidèles et attachés à notre marque.

Quels sont vos objectifs à plus long terme ?

En 2008, sur son dernier exercice complet, Camif a enregistré 230 millions d'euros de chiffre d'affaires, réparti à parts égales entre le catalogue, les 12 magasins et le Web. Nous voulons retrouver le plus vite possible le niveau du canal Internet, soit 80 millions d'euros. Nous pensons y parvenir rapidement.

Nous sommes heureux d'être enfin sortis de notre période de big-bang. Nous sommes sur un marché très dynamique. Certes, on y rencontre une concurrence nombreuse, entretenue par l'arrivée de nouveaux acteurs, de retailers et d'e-commerçants généralistes qui se lancent sur le meuble et la literie. Mais sur ce marché très bataillé, notre positionnement fort est un atout primordial.

Quels sont vos leviers de croissance ?

Auparavant, le principal driver de Camif était son gros catalogue. Désormais, nous nous appuyons sur plusieurs axes : les leviers d'acquisition du Web, notre base de clients historiques qui nous permet d'avoir des coûts d'acquisition plus bas que les autres e-commerçants, et enfin nous travaillons sur un outil de CRM qui nous permettra de mieux comprendre et segmenter nos clients. Nous misons aussi sur les jeunes seniors, qui sont à l'aise sur Internet et ont plus de temps que leurs cadets.

Enfin, nous travaillons sur les tablettes et le mobile. La tablette, en particulier, se manipule un peu comme un catalogue. La navigation est agréable, intuitive et très adaptée aux seniors. Le développement de ces nouvelles interfaces et de ces nouveaux usages va accélérer l'essor du marché. Je suis donc confiant aussi bien sur les leviers de croissance dont dispose le groupe Matelsom que sur l'avenir du marché du meuble en ligne.

Dans quel but avez-vous lancé l'an dernier une formation e-commerce en alternance ?

Niort est une ville de 60 000 habitants. On y trouve beaucoup de compétences, mais il est moins aisé d'y recruter des community managers, des online merchandisers et autres métiers très Web. Plutôt que de faire venir des gens d'autres régions, nous nous sommes dit qu'il serait plus intelligent d'en former sur place. Nous avons donc monté une formation avec Sup'TG Niort. Les étudiants sont en contrat de professionnalisation en alternance, trois jours chez nous et deux jours à l'école. Ils apprennent l'acquisition de trafic, le merchandising Web, Pinterest et Facebook, etc. Ils sont au milieu de nos équipes et reçoivent une rémunération. C'est aussi une façon, tout en jouant un rôle social, de créer un pool de gens formés qui connaissent nos métiers et l'entreprise et d'ouvrir un bassin d'emploi à Internet. Nous avons débuté l'an dernier avec 15 personnes, la promotion d'octobre 2012 devrait compter environ 25 étudiants. En outre, nous allons faire bénéficier nos salariés de certains modules de cette formation.

En 2009 à l'occasion de la reprise de Camif, vous avez ouvert votre capital à Finalp (du groupe Fournier, qui contrôle notamment Mobalpa), qui détient un quart du groupe Matelsom. Cherchez-vous à vous re-financer ?

Le projet qui nous occupe en ce moment est effectivement de rassembler les moyens nécessaires à notre croissance. Nous travaillons donc sur une levée de fonds qui devrait aboutir d'ici la fin de l'année. Nous sommes proches de la rentabilité et ne désirons pas nous développer de façon déraisonnable, son montant sera donc raisonnable aussi. Quant au type d'acteur que nous cherchons, nous n'excluons rien. Nous voulons ce qui est le mieux pour le groupe Matelsom.

Avez-vous des projets d'expansion à l'international?

De 2003 à 2008, Matelsom était présent au Royaume-Uni au travers du site Bedeezee.co.uk. Mais il n'y avait pas de place pour nous là-bas et nous avons arrêté. Dans la literie, le produit comme la logistique sont spécifiques à chaque pays : les standards et les marques ne sont pas les mêmes. Nous avons donc dû tout refaire en repartant de zéro. Bref, notre activité ne se prête pas à un développement européen.

En outre, il reste encore beaucoup de choses à faire en France, où la bataille se gagne maintenant. C'est d'autant plus vrai que Camif est très ancré sur la France, en termes de sourcing et de positionnement. Si nous retentons notre chance à l'étranger dans le futur, nous le ferons différemment, sans doute en rachetant un acteur local pour trouver avec lui des synergies marketing ou technologiques. Mais cela ne se produira pas avant au moins 2 ou 3 ans.

Emery Jacquillat, diplômé d'HEC, majeure HEC-Entrepreneurs, a d'passé dix huit mois à New-York avant de créer Matelsom, à 24 ans. Depuis 1995, il œuvre au développement du groupe Matelsom. Il fait partie du réseau d'entrepreneurs Oséo Excellence. En 2011, il a été sélectionné pour représenter la France au G20 YES (Young Entrepreneurs Summit) et a reçu le Prix du Manager de l'année (" Top des Entreprises " des Deux-Sèvres) pour son initiative de relance de la Camif sur Internet avec un ancrage développement durable.