Alain Sanjaume (Teads) "Beaucoup de fournisseurs de data ont fait le tri parmi leurs partenaires en vue du RGPD"

Le chief data officer de la plateforme publicitaire du groupe Altice revient sur son action en matière de data et analyse l'évolution du marché de la data 3d party.

JDN. Vous êtes chief data officer de Teads depuis près de 18 mois. Sur quoi avez-vous travaillé ?

Alain Sanjaume est chief data officer du groupe Teads. © S. de P. Teads

Alain Sanjaume. Durant ces 18 mois, nous avons travaillé sur deux chantiers principaux. D'abord, la segmentation de nos audiences. Ensuite, la création de KPI pour donner des retours aux annonceurs sur l'engagement des internautes vis-à-vis de leurs campagnes. Un chantier pharaonique vu notre audience : nous avons un reach de plus de 90% dans les 28 pays où nous sommes présents grâce aux partenariats noués avec les principaux éditeurs sur ces marchés.

Comment travaillez-vous aujourd'hui avec les fournisseurs de data ?

Exception faite d'Adsquare, nous sommes connectés aujourd'hui à tous les principaux data exchanges du marché : Oracle, Nielsen, Lotame, Eyeota et Liveramp. Les annonceurs qui utilisent notre réseau peuvent donc venir piocher dans près de 140 000 segments d'audience fournis par un total de 100 fournisseurs de data. Ces derniers apportent la donnée brute et nos équipes de data experts se chargent de la raffiner. Cela consiste à savoir, par exemple, quel fournisseur répond le mieux aux exigences du client sur tel marché voire de combiner différentes sources de data si nécessaire.

L'application du RGPD est prévue pour le 28 mai. Pensez-vous qu'elle portera préjudice à ce business de la 3rd data party ?

"Un acteur comme Drawbridge s'est retiré du marché européen car il estimait qu'il ne pourrait pas être en conformité avec le RGPD"

Je pense que le RGPD va surtout porter préjudice à ceux qui ne sont pas en conformité. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que nous travaillons seulement avec 100 des 160 data providers dans le monde. Nous nous assurons de ne travailler qu'avec des partenaires de qualité, et donc respectueux des réglementations en vigueur.

Il est clair que l'arrivée du RGPD va permettre de faire le ménage. C'est d'ailleurs déjà le cas. Un acteur comme Drawbridge s'est retiré du marché européen car il estimait qu'il ne pourrait pas être en conformité avec le règlement. J'observe également une baisse du reach de certains de nos partenaires car ils ont dû arrêter de travailler avec plusieurs "sous data providers" pour les mêmes raisons. Cette baisse peut atteindre près de 30% chez certains mais elle ne m'inquiète pas. Pas plus qu'elle ne gêne nos clients annonceurs dont la priorité est de travailler dans un environnement protégé. Et tant pis s'il y a une baisse des volumes de données disponibles.

Facebook a récemment annoncé qu'il allait couper l'accès aux données 3d party à des fins publicitaires, un peu pour les mêmes raisons…

C'est une décision un peu extrême pour les annonceurs qui ont l'habitude d'utiliser de la data tierce pour leurs campagnes. Il faut savoir que la moitié des campagnes qui tournent en digital aux Etats-Unis y ont recours. En France aussi c'est une pratique courante. Dans le secteur automobile par exemple, les annonceurs utilisent le fichier des immatriculations AAA, qui est vendu par Acxiom, pour cibler les internautes qui utilisent déjà leurs véhicules, ou au contraire une marque de concurrent. Bien sûr, cette décision de Facebook est aussi un moyen pour la plateforme de valoriser encore plus sa propre donnée, dans une logique de walled garden (plateforme fermée, ndlr).

Sur mobile, c'est la donnée de géolocalisation qui fait l'objet d'une bataille entre fournisseurs. Comment analysez-vous ce phénomène ?

Si la donnée socio-démo est la donnée reine dans le Web fixe, il est clair qu'en situation de mobilité, c'est la donnée de géolocalisation qui tire son épingle du jeu. Les annonceurs veulent pouvoir aujourd'hui adapter leur communication à la localisation des mobinautes, notamment dans une perspective drive-to-store. Tous les fournisseurs du secteur vont devoir, quelle que soit leur méthodologie (SDK, beacon ou autre), s'assurer qu'ils collectent bien l'opt-in de l'utilisateur. Certains ont carrément décidé de repartir à zéro à l'image de Factual, que l'on a consulté en Allemagne, et qui a décidé de tout reprendre du début pour être prêt dans trois mois.

Le règlement eprivacy va lui aussi avoir des conséquences pour le marché de la data en limitant considérablement la marge de manœuvre des intermédiaires dans la collecte et le traitement de la data cookie…

"Le règlement eprivacy est une aberration"

Ce règlement est une aberration et ne va faire que renforcer l'hégémonie de Google et Facebook qui captent déjà près de 90% des budgets pubs digitaux aujourd'hui. On voit d'ailleurs que les budgets de lobbying consacrés par ces deux acteurs auprès de l'UE, de l'ordre de la dizaine de millions de dollars, sont énormes. Eprivacy renforcerait la domination de ces deux acteurs qui ont déjà pour eux l'opt-in utilisateur et la donnée loguée. C'est très simple pour eux de récupérer un opt-in alors que pour les intermédiaires comme nous c'est beaucoup plus compliqué.

Alain Sanjaume est depuis début 2017 le chief data officer de Teads, la plateforme publicitaire rachetée par le groupe Altice en mars 2017 pour 285 millions d'euros. Figure du marché de la data en Europe, Alain Sanjaume a été de 2010 à 2015 le directeur Europe du fournisseur de data 3d party Exelate (racheté en par Nielsen en 2015). Il a été de 2007 à 2010 le patron Europe de Wunderloop, une plateforme de ciblage d'audience acquise par Audience Science en 2010.