Les retailers veulent surfer sur la digitalisation du trade marketing

Les retailers veulent surfer sur la digitalisation du trade marketing Marques et enseignes valorisent de plus en plus souvent la visibilité offerte par ces dernières sur leurs sites e-commerce dans les accords de trade marketing.

Le sujet du digital s'immisce de plus en plus dans les négociations qui se nouent chaque année entre distributeurs et marques de la grande conso. Des discussions qui portent sur le prix et les quantités qui seront achetés par les premiers, de même que l'ensemble des dispositifs de communication qu'ils mettront en place pour soutenir les ventes des seconds. Cette pratique nommée trade marketing évolue à mesure que l'e-commerce français prend du poids (près de 90 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2018, selon la Fevad).

Jusque-là, les accords se concentraient sur la mise en place de têtes de gondole en point de vente, la présence de la marque au sein du catalogue papier du retailer voire la diffusion d'une publicité commune. Mais l'essor du digital et le développement d'offres de "retail media" chez les principaux acteurs du secteur, Carrefour, Casino, Auchan, E-Leclerc et le pure-player Amazon, ont changé la donne. Chacun veut désormais valoriser dans les contrats la visibilité qu'il peut offrir au sein de son site Web.

Le secteur de l'électronique grand public est le plus actif en matière de trade marketing digital

Les marques ciblées y sont plutôt réceptives. "Elles voient que le canal de distribution online croît d'environ 10% alors que l'offline est atone, c'est naturel qu'elles y basculent une partie de leurs investissements trade marketing", analyse Alexandre Mahe, associé au sein du cabinet Fabernovel. Deux secteurs sont particulièrement concernés, selon le responsable de la practice commerce de Publicis Media, Frédéric Marty-Debat : les produits de la grande consommation, FMCG, et l'électronique grand public, consumer electronics. "Ce dernier est le plus actif en matière de trade marketing digital car près de 25% de son chiffre d'affaires est déjà réalisé via l'e-commerce, analyse Frédéric Marty-Debat. La récurrence d'achat est plus faible que chez les FMCG, ce qui explique également que les marques, qui ont beaucoup moins d'opportunités pour vendre, soient plus enclines à investir ce territoire."

Pour les marques comme les e-commerçants, les enjeux financiers sont conséquents. Morgan Stanley estime que les investissements en trade marketing vont représenter près de 178 milliards de dollars aux Etats-Unis en 2019. Quasiment autant que les 200 milliards qui seront investis en publicité la même année, selon eMarketer. Difficile en revanche de trouver des estimations pour le marché français. "C'est très compliqué de calculer le poids des investissements en trade marketing car il s'agit le plus souvent de quelques lignes dans des contrats de plusieurs pages, qui correspondent à des pourcentages", explique Antoine Champinot, patron de la division e-commerce France du groupe Seb.

Une certitude toutefois : les investissements en trade marketing sont moins digitalisés que ceux du marketing dans son ensemble. "Entre 20 et 40% des investissements marketing sont digitalisés contre moins de 10% des investissements en trade marketing", constate Alexandre Mahe. Frédéric Marty-Debat estime que la partie digitalisée du secteur ne pèse pas plus de 100 millions d'euros pour le moment en France.

"Amazon a une part de marché dans les investissements en trade marketing online bien plus importante que son poids dans l'e-commerce français"

Dans l'Hexagone comme aux Etats-Unis, c'est Amazon qui s'accapare la plus grosse partie du gâteau. Le géant de l'e-commerce a généré plus de 10 milliard de dollars de revenus dans le monde en 2018 via son offre de produits sponsorisés Amazon Marketing Services et son offre display Amazon Media Group. "Par sa donnée et l'efficacité de ses solutions technos, Amazon est loin devant tous les Français", témoigne Alexandre Mahé. Un constat partagé par Frédéric Marty-Debat : "Amazon a une part de marché dans les investissements en trade marketing online qui est bien plus importante que son poids dans l'e-commerce français". Le responsable e-commerce d'un poids lourd de l'électronique grand public confie investir plus de la moitié de ses investissements en retail média chez Amazon, alors que celui-ci ne représente pas plus de 30% de son chiffre d'affaires online. "Amazon peut compter sur une force de frappe commerciale au discours très rôdé qui met l'accent sur le ROI immédiat que retirera la marque si elle investit en média", explique-t-il.

Des retailers français à la traîne

Les acteurs de la grande distribution ne restent pas les bras croisés. "Ils font face à un vrai enjeu : valoriser les emplacements pubs sur leurs sites et la donnée transactionnelle qu'ils détiennent", analyse Alexandre Mahé. La plupart ont donc lancé leur activité de régie à cette fin. Elles s'appellent 3W.relevanC chez Casino, Carrefour Media chez Carrefour, Conso Regie pour Leclerc et ImediaCenter pour Auchan. Le groupe Fnac - Darty a également lancé une structure dédiée en janvier 2017. Toutes planchent sur le lancement d'offres de produits sponsorisés, comme le propose Amazon, et la commercialisation d'emplacements publicitaires qui seront boostés par l'utilisation de leurs données commerciales.

Certains comme Carrefour, Auchan ou Darty s'appuient sur la technologie de la start-up française récemment rachetée par Criteo, Storetail. D'autres, comme Casino, adoptent différentes stratégies selon les sites. Cdiscount s'était adjoint les services de Mabaya pour développer une offre de produits sponsorisés… mais veut désormais développer sa propre technologie. Monoprix est de son côté le premier e-commerçant à tester l'offre de Google. Ce dernier permet aux annonceurs d'enchérir depuis Google Ads, pour accoler leurs annonces auprès des résultats de recherche de certains sites e-commerce. Preuve que Google ne prend pas la hype "trade marketing" à la légère, la plateforme a également lancé Cofunded Ads, un format qui permet à une marque de financer une partie du budget dépensé par un retailer dans le cadre d'une campagne SEA commune.

Ce format de pubs partagées online est amené à prendre le relais des campagnes de co-marketing que marques et retailers déployaient en affichage outdoor ou sur catalogue papier. Chez Monoprix, on a d'ailleurs décidé de supprimer les catalogues papiers fin 2018. Le retailer propose désormais aux marques de basculer ces investissements vers des dispositifs 100% digitaux. "Nous transformons ce contenu qui alimentait les catalogues papier en campagnes de publicités online géolocalisées et ciblées, grâce à la donnée de 3W.relevanC et à l'expertise de la plateforme SaaS Armis", explique Florence Chaffiotte, directrice marketing de Monoprix. Cette nouvelle offre, diffusée sur Google, Facebook et d'autres plateformes médias, n'est pas sans conséquence pour l'organisation du retailer. "Il nous faut décloisonner nos équipes achat et marketing pour réussir."

"C'est un confort pour Amazon d'intégrer du média non ciblé à nos accords contractuels car c'est un budget sur lequel il n'a aucune pression de résultat"

Le marché est encore en pleine structuration et les deals se négocient au cas par cas. Chez certains retailers, les accords de trade marketing comprennent déjà une enveloppe dédiée à la diffusion de campagnes de produits sponsorisés online. "Cela permet aux enseignes de booster leurs activités de régie, analyse Frédéric Marty-Debat. Mais les équipes commerciales des marques ne sont pas toujours partantes pour s'engager sur des volumes précis." Les accords engloberont alors plutôt des packs de visibilité sur site, comprenant des bannières non ciblées et la mise en avant des produits de la marque en haut des résultats de recherche organique (offre baptisée "Boost search" chez Cdiscount par exemple).

Il n'y a pas non plus de règle précise chez Amazon, même si les investissements consacrés à Amazon Marketing Services sont le plus souvent négociés en marge des accords de trade marketing. Ces derniers porteront plutôt sur la diffusion de campagnes média non ciblées au sein du site. "C'est un confort pour Amazon de les intégrer à nos accords contractuels car c'est un budget sur lequel il n'a aucune pression de résultat", explique notre responsable e-commerce anonyme. Même le géant de la data ne dit pas non aux avantages qu'offre le trade marketing…