Les avis clients : à consommer avec modération ou à modérer ?

Malgré un arsenal juridique qui se densifie, la question des faux avis reste complexe tant pour les commerçants que pour les acheteurs.

L’automne 2021 a marqué la première condamnation d’une entreprise par la Direction générale de la concurrence au motif d’avoir acheté et mis en ligne de faux avis de consommateurs. Une première en France.

Cette situation souligne à quel point les avis de consommateurs deviennent une véritable manne pour les commerçants et distributeurs, un vrai attrait en termes de conversion. Une étude de 2021* indique que pour 43 % des consommateurs en France, la présence d’avis est le troisième motif d’achat d’un produit en ligne, après le prix et la présence d’une promotion. D’où le fait que certaines sociétés frauduleuses se soient créées pour rédiger et vendre de faux avis à des entreprises.

Dans ce contexte, depuis le 28 mai 2022, l’ordonnance qui transpose en droit français la directive communautaire Omnibus** est applicable : c’est une nouvelle étape dans la protection des consommateurs notamment en ligne. Ici, l’enjeu est de garantir que les avis proviennent de consommateurs ayant effectivement acheté le produit, de poursuivre la lutte contre les faux avis et les avis déformés, où qu’ils soient diffusés - en ligne, en magasin, sur les réseaux sociaux et les plateformes d’achat etc.

Il est aussi plus facile d’infliger des sanctions. Plus besoin de prouver une distorsion de concurrence pour pouvoir sanctionner un fraudeur. Ces sanctions, appelées à devenir plus sévères, pourront se porter jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires annuel.

Si l’arsenal juridique se précise, la question de la lutte contre la fraude aux avis reste plus complexe que l’on peut le penser de prime abord. Le prérequis pour toute réflexion à leur sujet est de comprendre que les avis négatifs – tant redoutés par les marques - ne sont pas un problème en soi. Explications.

Changer de regard sur les avis négatifs

Il faut avant tout réinterroger le regard que l’on porte sur les opinions négatives. Car, si la filière illicite intéresse autant, c’est parce que les entreprises vivent dans la crainte de la mauvaise note. À tort, car un avis négatif permet de renforcer la crédibilité des avis positifs laissés sur la page ou le site, par pure logique de contraste et parce que c’est le jeu.

Cela peut surprendre, mais l’une des manières de s’assurer que les avis sont crédibles consiste à ne pas balayer du revers de la main les contenus négatifs. Plus de la moitié des consommateurs mondiaux (60 %)*** disent que les avis négatifs sont aussi importants que les positifs dans la décision d’achat. Et les consommateurs sont intelligents. Ils savent bien que la présence d’avis uniquement positifs est suspicieuse. Donc, en plus de donner aux consommateurs un retour authentique sur un produit ou un service, les avis négatifs fournissent une opportunité pour une marque d’interagir avec les consommateurs sur les différentes manières d’améliorer les produits, les procédés ou le marketing. Les marques qui répondent et qui prennent acte des avis négatifs sont celles qui bâtissent des liens de confiance et de loyauté avec leurs clientèles. Mais par-dessus tout, il faut comprendre que le contenu négatif doit être affiché dès le début.

Cela étant dit, il faut tout de même souligner que les visages de la fraude aux avis vont au-delà du simple rejet des avis négatifs. Il y a une réalité plurielle en matière de faux avis qu’ils soient positifs ou négatifs.

Différentes façons de léser le consommateur mais aussi les enseignes

 Les faux avis positifs consistent à ne retenir que les avis élogieux qui arrangent une marque ou un distributeur : c’est une pratique commerciale trompeuse contraire au code de la consommation. On distingue a contrario les faux avis négatifs, qui viennent au contraire miner la réputation d’une marque en dévalorisant ses produits et son offre, souvent de la part de concurrents mais aussi de consommateurs mécontents qui noircissent leur mauvaise expérience avec une marque.

La fraude aux avis peut aussi passer par la duplication à grande échelle d’un avis, qu’il soit élogieux ou non, afin de faire gonfler certaines tendances en faveur ou défaveur d’un produit, de manière trompeuse.

Enfin, si les faux avis peuvent découler d’une démarche consciente et malveillante, ils peuvent aussi être véhiculés de manière involontaire : typiquement, une entreprise qui n’a pas identifié qu’un avis spécifique était faux et le laisse visible sur son site Internet, bien que non-consciente de son erreur, enfreint la règlementation.

Humains et technologie main dans la main contre les faux avis

En matière de lutte contre la fraude, différents acteurs apportent leur pierre. Le régulateur tout d’abord, en l’occurrence l’AFNOR, qui délivre, après audit, des certificats aux plateformes de collecte et gestion des avis, pour trois années, afin qu’elles puissent exercer leur activité.

Vient ensuite ce que l’on appelle la modération des avis via ces dites plateformes. Elles peuvent être tenues pour responsables légalement si elles laissent leurs clients se lancer dans de telles pratiques. Ainsi, d’une part, il faut tout d’abord évacuer les avis qui comportent des propos haineux, des insultes, des brimades, intimidations ou du harcèlement. Dans un second temps, il faut démasquer les fraudeurs en identifiant notamment les erreurs grammaticales ou orthographiques. Ou encore la présence d’une même adresse IP ou d’un même pseudonyme sur plusieurs avis différents. Mais encore, il faut déceler les fraudes, même infimes, en étant capable de suivre l’évolution des tactiques de fraude, car une fois démasquées, de nouvelles méthodes sont trouvées.

Précision importante, la modération ne peut porter que sur le contenu rédigé de l’avis, la notation étoilée qui l’accompagne ne peut pas être revue : le sentiment éprouvé par un consommateur ne saurait faire l’objet d’une quelconque modération.

En la matière, la technologie de détection des fraudes – via l’intelligence artificielle - aide l’humain mais ce dernier garde un rôle capital et prend seul la décision d’acceptation ou de rejet d’un avis en cas de doute. Ces techniques de modération sont également renforcées pour certains produits sensibles. Les produits de santé ou de parapharmacie connaissent des délais de modération plus longs et plus rigoureux avec l’implication de services juridiques pour vérifier le degré de véracité des propos tenus.

Les échanges entre consommateurs

Les faux avis blessent tant les consommateurs que les entreprises. Ils trompent les acheteurs qui prennent de mauvaises décisions d’achat, ils érodent la confiance dans la marque et au final, ils provoquent la perte de parts de marché pour la marque. Quand un consommateur fait une telle expérience, très souvent il ne réitère pas ses achats et n’hésite pas à témoigner de son expérience négative auprès de ses amis, famille et sur les réseaux sociaux.

Les consommateurs veulent s’écouter les uns les autres et s’intéressent à la marque auprès de laquelle ils souhaiteraient consommer. La meilleure chose que les marques et distributeurs peuvent faire est de faciliter ces conversations légitimes, avec la possibilité pour les consommateurs de poster et de lire des avis en ligne. Le fait d’encourager et d’amplifier la voix des clients est déterminant pour le marketing d’aujourd’hui et ceci dépend du degré de confiance que les acheteurs peuvent avoir dans ce qu’ils lisent.

*Étude Bazaarvoice conduite en mars 2021 via l’institut Savanta interrogeant 1529 consommateurs français.

** La directive omnibus est relative à une meilleure application et une modernisation des règles en matière de protection des consommateurs et de commerce en ligne. L’ordonnance qui la transpose en droit français a été publiée le 23 décembre 2021 et sera applicable à partir du 28 mai 2022.

*** Source Etude Bazaarvoice : https://www.bazaarvoice.com/resources/consumers-call-for-action-on-fake-reviews/