Le Parlement s'essaye à l'encadrement des influenceurs

Jugeant le cadre existant insuffisant autour des influenceurs, l'Assemblée nationale s'y essaye par une proposition de loi adoptée jeudi 30 mars dernier. Retour sur cette volonté de régulation.

Le développement des réseaux sociaux s’est accompagné de l’émergence d’une nouvelle position, celle « d’influenceur ». Pour autant, les profils et les pratiques des 150.000 influenceurs actifs sur les réseaux sociaux français sont divers. De l’unboxing à la promotion de formations en passant par les vidéos de bébés tout de neuf vêtus, cette disparité rend difficile la mise en place d’un encadrement général : comment réguler en même temps des pratiques si diverses, mises en œuvre tantôt par des nano-influenceurs (44% des influenceurs actifs en France ont moins de 5.000 abonnés), tantôt par des personnes suivies par des millions d’autres ?

Jugeant le cadre existant insuffisant, et alors que Bercy vient juste de dévoiler son Guide de bonne conduite des influenceurs, l’Assemblée nationale s’y essaye par une proposition de loi adoptée jeudi soir.

Un encadrement aujourd’hui disparate

La proposition de loi ne vient pas combler un vide juridique. Divers textes légaux étaient déjà mobilisables – et le sont toujours – contre certains abus des influenceurs tant issus du droit de la consommation (pratiques commerciales trompeuses essentiellement) que du droit pénal, des condamnations pour escroquerie ayant d’ailleurs d’ores et déjà été prononcées. Toutefois, la mobilisation de certaines de ces dispositions peut s’avérer difficile, notamment lorsque le caractère professionnel de l’influenceur est un prérequis pour caractériser l’infraction.

Parallèlement, et bien qu’elles ne puissent pas justifier à elles seules une condamnation par les tribunaux, des règles déontologiques ont été mises en place par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Celle-ci, qui promeut une influence « responsable », a créé ses propres critères de définition : seules les collaborations qui promeuvent le produit ou le service, mais sont également être réalisées dans le cadre d’engagements réciproques, l’influenceur bénéficiant d’une contrepartie, et imposent la validation du contenu par l’annonceur avant publication, peuvent être qualifiées de publicitaires

Enfin, la loi du 19 octobre 2020 avait déjà mis le pied dans la régulation de l’influence sur Internet, en encadrant l’exploitation commerciale des enfants influenceurs de moins de seize ans sur les plateformes vidéo.

Avec la nouvelle loi, le droit français ambitionne une régulation plus claire, à la fois plus large, puisqu’elle concerne tous les influenceurs sur tous types de plateformes, et plus spécifique, puisqu’elle vise explicitement « l’influence commerciale » et non l’ensemble de la publicité.

Une définition spécifique de l’influence commerciale

Pour que l’activité d’influence commerciale par voie électronique soit retenue, il faudra démontrer à la fois :

  • La mobilisation de la notoriété de l’influenceur par voie électronique
  • La promotion, même indirecte, de biens, de services « ou d’une cause quelconque »
  • En contrepartie d’un bénéfice économique ou d’un avantage en nature (par exemple, des produits de la marque), et ce sans minimum de valeur. Il n’est pas nécessaire en revanche de caractériser un engagement réciproque des parties, les députés ayant fait expressément le choix d’exclure cette notion.

L’influence commerciale est donc retenue même si l’annonceur ne valide pas le contenu avant publication, et sans besoin de qualifier une sollicitation initiale de l’annonceur. Ainsi, dans la mesure où le simple envoi de produits constitue une contrepartie, l’influenceur décidant, de lui-même, de promouvoir les produits reçus, est alors soumis à la nouvelle loi.

Les principales obligations des influenceurs au titre de la proposition de loi

Trois types de nouvelles dispositions sont adoptées :

  • Soumission de l’influence commerciale aux encadrements déjà applicables à la publicité, sauf exception à venir par décret. Le texte vise d’ailleurs expressément la loi Evin concernant l’alcool, le tabac et le vapotage, et élargit la loi de 2020 sur les enfants influenceurs à tous les supports, et non plus à la seule vidéo.
  •  Interdiction de la publicité de certains secteurs. Chirurgie esthétique, certains produits financiers ou actifs numériques, … Certains secteurs ne pourront plus faire l’objet d’une promotion par des influenceurs. D’autres sont encadrés, à l’instar des jeux d’argent et de hasard, dont la promotion ne pourra être faite que sur des plateformes permettant d’exclure de l’audience les utilisateurs mineurs, ou les boissons sucrées, que les influenceurs de plus de seize ans ne pourront plus promouvoir.
  • Ajout de mentions obligatoires. Le texte précise l’obligation, pour tous les influenceurs, d’indiquer le caractère sponsorisé de la publication. Des mentions, tantôt générales – sur le caractère promotionnel – tantôt spécifiques à certains secteurs (formation, boissons sucrées…) doivent être obligatoirement indiquées. La mention du caractère sponsorisé, déjà appliquée avant cette loi, connaît un changement de taille : elle doit être visible sur l’image ou la vidéo pendant toute la durée de la promotion, ce qui laisse présager que la pratique actuelle (non remise en cause par l’ARPP), qui consiste à l’indiquer dans la description de la publication, ne serait plus conforme.

Mais les influenceurs ne sont pas les seuls à être visés par de nouvelles obligations : leurs agents le sont aussi, puisque le contenu des contrats entre un influenceur et une agence est désormais précisé. Le texte a même procédé à quelques ajouts significatifs ne se limitant pas à la sphère de l’influence commerciale :

  • Malgré une formulation maladroite, les débats parlementaires laissent comprendre que tous les dropshippers, qu’ils correspondent ou non à la définition d’influenceur, devront, lorsqu’ils promeuvent les produits qu’ils font livrer directement, donner l’identité de leur fournisseur, et s’assurer en outre de la disponibilité des produits et de leur licéité, notamment quant à l’interdiction des contrefaçons.
  •  Les pouvoirs de la DGCCRF sont renforcés, puisque cette dernière peut désormais, en cas de manquement au code de la consommation, assortir ses injonctions d’astreintes, alors que cette sanction était jusque-là limitée à certains types d’infractions au code du commerce.

Néanmoins, pour que la loi soit définitivement adoptée, le Sénat doit encore se prononcer à son sujet. Le texte est donc susceptible d’être modifié. Affaire à suivre… en patientant devant les réseaux sociaux ?