Loi sur la prévention de la délinquance : quelles implications pour le Web

Happy slapping, propos à connotation sexuelle à l'égard d'un mineur, jeux sur Internet sont les trois principales infractions en ligne retenues par la loi sur la prévention de la délinquance. Qu'encourent désormais les principaux acteurs du Web ?

A la veille de l'élection présidentielle, la loi sur la prévention de la délinquance a été publiée il y a quelques jours au Journal Officiel. Celle-ci comporte divers points importants en rapport avec l'Internet.

Nouvelles infractions
L'idée sous-jacente de la loi est qu'à de nouvelles formes de violence, violences dont le vecteur est l'Internet, le législateur se doit d'y réagir.  Ainsi, ce n'est pas l'Internet proprement dit qui est diabolisé (ce qui par le passé fut parfois le cas), mais c'est le fait qu'il puisse être détourné de son usage premier qui est stigmatisé.

1. La loi institue une première infraction. Il s'agit de la pratique du "happy slapping", punissable d'une peine de cinq ans de prison et d'une amende de 75.000 euros. Pour rappel, le "happy slapping" est une pratique consistant à filmer une personne victime de violences assénées à dessein par des complices du cameraman. Les images sont ensuite diffusées via Internet. La loi utilise les mots d' "enregistrement" et de "diffusion" d'images de violence, englobant ainsi toutes les formes de violence diffusées, allant donc au-delà du "simple happy slapping". Il est important de noter que si le preneur d'images est un professionnel ou que le tournage des images est réalisé afin de servir de preuve en justice, aucune infraction ne pourra être retenue.

2. La seconde infraction concerne le fait de formuler des propositions sexuelles à un mineur de plus de quinze ans au travers d'un moyen de communication électronique. Cette infraction est punissable d'une peine de deux ans de prison et d'une amende de 30.000 euros.

3. Enfin, la loi (article 38) entend punir d'une amende de 30.000 euros le fait de produire sur Internet de la publicité pour les cercles de jeux de hasard non-autorisés, les paris sportifs sur les courses de chevaux et les casinos.

De nouveaux moyens de lutte judiciaire
Aux nouvelles formes de violences, des nouvelles formes de police.

1. Les enquêteurs peuvent recourir à des pseudonymes pour jouer le même jeu de l'anonymat que les internautes et ainsi pouvoir constater des infractions.

2. Le ministère public (ainsi que c'était déjà le cas pour toute personne physique ou morale ayant intérêt à agir - article 50 de la loi du 29 juillet 1881) est en droit de requérir l'intervention du juge des référés pour lui demander de faire interdire un site à la source d'un trouble manifestement illicite.

3. La loi en ses articles 36 et 37 autorise le Ministre des Finances et le Ministre de l'Intérieur à faire interdire pour une durée de six mois renouvelable tout transfert de fonds de personnes qui organisent des jeux et paris en ligne tels que décrits précédemment. L'amende prévue alors par l'article 3 de la loi du 21 mai 1836 passe de 30.000 euros à 60.000 euros.

Les jeux en ligne dans la ligne de mire
Au moyen des articles 36, 37 et 38 précités, la loi sur la prévention de la délinquance s'attaque à un des phénomènes de l'Internet connaissant actuellement une des plus belles progressions jamais prédites. Il s'agit des jeux et paris en ligne.

Ce n'est pas tout. L'infraction ainsi que les nouveaux moyens de lutte qui viennent d'être évoqués ne sont pas la seule nouvelle arme du législateur contre ces jeux. On sait que ceux-ci ont tendance à se multiplier et tendent à remettre en question le rôle de l'acteur majeur et monopolistique qu'est la Française des Jeux.

Certes, les jeux et paris sont potentiellement dangereux et il y a lieu d'en informer la population. Une question demeure cependant : quelle est la véritable différence entre la Française des Jeux et les autres sites de jeux et paris en ligne ? La première provoquerait-elle moins de risques pour les internautes ? N'y a-t-il pas confusion entre licéité et dangerosité ? Cette question des dessous de la loi mérite qu'on s'y intéresse dans l'avenir.

Nouvelle charge contre les fournisseurs d'accès et les hébergeurs
2004 n'est pas loin et chacun se souvient de la Loi pour la Confiance en l'Economie Numérique. Celle-ci envisage un régime de responsabilité tout à fait spécifique pour les hébergeurs et les fournisseurs d'accès.

Pour les fournisseurs d'accès (LCEN article 9.I), le principe en est relativement simple : les fournisseurs d'accès ne sont pas responsables des contenus frauduleux qu'ils véhiculent à moins d'être la source de l'information, ou d'avoir sélectionné le destinataire de la transmission ou encore si le fournisseur d'accès connaît et modifie l'objet litigieux.

Les hébergeurs (LCEN article 6.I-2) ne sont pas responsables des contenus qu'ils stockent. Ils le deviennent si ayant été prévenus, ils ne prennent pas rapidement les dispositions nécessaires au retrait des contenus discutables.

A ces fins, la jurisprudence et le Conseil Constitutionnel se sont attachés à définir les types et le degré de l'illicéité sur Internet., laquelle doit être "manifeste". En clair, un contenu manifestement illicite relève de la pédopornographie, de l'incitation à la haine raciale ou de l'apologie de crimes contre l'humanité.

La loi de mars 2007 entend élargir ce cercle restreint de l'illicéité manifeste (article 40), en consacrant une définition de ce que peut être un contenu illicite : tout contenu qui invite à la violence ou qui porte atteinte à la dignité humaine.

Cette nouvelle obligation demandera des investissements en homme et en matériel. Ceux-ci seront-ils proportionnés au bénéfice que procurera le renforcement de la prévention de la délinquance ? Autrement dit, les résultats de la prévention de la délinquance que la loi fait reposer sur les épaules des fournisseurs d'accès et des hébergeurs pourront-ils être aussi importants que les moyens nécessaires à la mise en oeuvre des processus de collecte des dénonciations des internautes, de la vérification de celles-ci et de l'enlèvement de ce qui s'est effectivement avéré illicite ?