« Expressions d’intérêt » pour les nouvelles extensions

Embourbé dans les complexités de son plan de création de nouvelles extensions Internet, l'ICANN semblait condamné à accumuler retard sur retard... Jusqu'à la mise en place des « expressions d'intérêt » (« expressions of interest » en V.O. temporaire), un moyen concret de lancer ce plan dès 2010.

Trop ambitieux, le programme de création des nouvelles extensions annoncé par l'ICANN en juin 2008 ? Peut-être... Car depuis, le régulateur de l'Internet va de retards en contretemps sans parvenir pour autant à fixer une date définitive pour passer de l'élaboration à la réalisation. Cette dernière se fera par le lancement d'un premier cycle d'appel à candidatures. A ce moment, les portes d'un nouvel Internet s'ouvriront enfin pour ceux dont l'ambition est de s'approprier le premier niveau de l'Internet.
 
Le défi : devenir l'égal des .COM ou autres .MOBI, deux des seuls 21 "gTLDs" (pour "generic Top Level Domain" ou Extension Internet de Premier Niveau générique) à avoir été autorisés depuis la création du Net. Ce n'est qu'une fois le feu vert donné à ce premier cycle  de création que des villes, des sociétés, des ONG ou encore des entrepreneurs pourront enfin déposer leur dossier de candidature à l'ICANN et briguer leur propre extension.
 
Mais quand le pourront-ils ? Initialement annoncée pour courant 2009, la date d'ouverture du premier cycle est depuis régulièrement repoussée, au gré des versions de travail successives d'un document appelé "manuel du candidat" fixant les règles du jeu. Nous en sommes aujourd'hui à la version 3 de ce manuel. Elle devait être la dernière, mais on sait maintenant qu'il y en aura deux autres.
 
Il reste des problématiques clefs à résoudre. Par exemple : comment, si demain s'ouvrent 1 000, 2 000 ou même 10 000 nouvelles extensions, éviter à ceux qui ont des marques ou des noms à protéger de devoir les réserver sous forme de noms de domaine dans chacune de ces extensions ? Ou encore : comment préparer l'infrastructure du Web à l'arrivée d'un si grand nombre d'extensions ? Des questions face auxquelles les experts de tous bords réunis au sein de l'ICANN discutent, trébuchent, se désunissent et hésitent.
 
Une nouvelle industrie
 
Pourtant, la promesse de nouvelles extensions à volonté, cette libéralisation sans précédent d'un niveau de l'Internet jusqu'alors inatteignable, a déjà fait naître une formidable attente. Et une nouvelle industrie : celle qui maîtrise les systèmes si spécifiques servant à "faire tourner" une extension Internet au quotidien, ou dont la connaissance du nommage Internet les rend indispensables pour accompagner un projet d'extension. Aujourd'hui, tout le secteur industriel se focalise sur les nouvelles extensions.
 
Le sujet est sorti du ghetto des initiés de l'ICANN. Il intéresse les médias généralistes, donne des idées à ceux dont le sens du business était jusque là plus développé que celui de l'Internet, attire des stars, des sportifs ou des politiques... Bref, c'est l'engouement autour du potentiel que représentent ces extensions personnalisées. A la fois en terme de business et d'innovation. Car elles promettent une nouvelle façon d'utiliser l'Internet.

Là où aujourd'hui plus de 80 millions de noms de domaine rivalisent sur le seul .COM, devenu plus botte de foin qu'autre chose, dans quelques années la navigation pourrait se faire plus ciblée. Elle serait plus proche des Internautes grâce à des extensions servant de véritables balises vers les types de contenu ou d'activité qu'elles représentent.
 
Alors comment concrétiser ? En octobre 2009, à Séoul, lors d'une des réunions internationales de l'ICANN, une sorte d'itinéraire bis est proposé au Conseil d'administration : appeler les candidats potentiels à faire expression de leur intérêt pour la création d'une extension. Un moyen simple (il ne s'agit pas d'un examen de dossier complet) et utile de faire avancer la création des nouvelles extensions. Un moyen visant à permettre aux candidats de se déclarer, rassurants ainsi investisseurs et autres soutiens à leur projet. Mais aussi de permettre à l'ICANN de mieux se préparer, puisque le nombre d'extensions qui seront demandées lors du premier cycle sera connu.

Depuis le 18 décembre, le brouillon du plan d'expressions d'intérêt a été publié par l'ICANN. Tout candidat potentiel se doit d'en connaître les grandes lignes.
 
Etape obligatoire
 
Ce projet, baptisé EOI en version originale (pour, respirez bien, "Expressions Of Interest and Preregistrations for new gTLDs"), deviendrait passage obligé pour ceux qui souhaitent postuler dès les premier cycle. Son nom anglais est d'ailleurs très révélateur de la façon dont l'ICANN voit ce plan. Ce n'est pas juste une vague étape de plus pour faire patienter jusqu'à la finalisation du programme. Non, il s'agit véritablement, du premier pas, celui du pré-enregistrement.
 
Vu dans ce contexte, rendre l'EOI obligatoire est logique. Si ce n'était pas le cas, pourquoi certains candidats choisiraient-ils de se dévoiler alors que d'autres n'auraient pas à le faire ? Et comment l'ICANN pourrait être certain d'avoir une vision réaliste du volume de dossiers à traiter afin de mieux dimensionner ses équipes et ses systèmes pour le faire ? Attention, l'EOI ne sera obligatoire que pour le premier cycle. Les appels à candidature suivants (l'ICANN en envisage un par an) seraient ouverts à tous.
 
Été 2010
 
A n'en pas douter l'EOI change tout. Car le candidat souhaitant participer dès le premier cycle (une sage décision : les premières des nouvelles extensions seront certainement celles dont on parlera le plus et qui auront la plus grande visibilité) a maintenant une date concrète à laquelle il lui faut être prêt.
 
Le projet EOI sera en effet présenté au Conseil d'administration de l'ICANN en février 2010. Si ce dernier l'avalise, s'ensuivra 4 mois de campagne de communication mondiale organisée par l'ICANN pour s'assurer que le maximum de personnes soit au courant du programme.
 
L'ICANN précise par ailleurs que l'EOI ne pourra être lancé avant la publication de la 4e version du manuel du candidat. Or nous pouvons révéler ici que cette version doit sortir pour la réunion ICANN de Bruxelles, en juin 2010. Toutes les dates concordent donc (février plus 4 mois de campagne de com, cela nous donne aussi juin) : l'EOI devrait démarrer à l'été 2010, probablement en juillet.
 
Dossier de candidature allégé
 
Juillet 2010, c'est finalement peut de temps pour se lancer dans un projet de nouvelle extension. Nombreux sont les candidats qui y travaillent déjà. Tant mieux pour eux, ils risquent moins d'être pris de cours. Pour les autres, ceux qui en sont encore au stade d'évaluation d'un projet de ce type, il va falloir accélérer. Entre les budgets à définir, les contours de l'extension à tracer, les assistants, consultants et sous-traitants à trouver, le temps va vite passer.
 
Car si l'EOI est en quelque sorte un ticket que le candidat prend afin de pouvoir ensuite se présenter au guichet des nouvelles extensions lorsque l'ICANN lancera son premier cycle, il faudra néanmoins être en mesure de remplir le formulaire. Ainsi l'EOI serait un "dossier light", le postulant devant remplir les 14 premières cases du formulaire de candidature complet (qui en compte 50). S'il n'a pas à détailler le business plan de son extension à ce stade, le candidat devra néanmoins montrer sa solidité administrative et financière. Et surtout payer la taxe de soumission de dossier EOI.
 
On notera enfin que dans sa proposition d'EOI, l'ICANN s'engage pour la première fois  sur un délai maximum pour le lancement du programme complet.  Le premier cycle devra être ouvert au maximum 18 mois après l'EOI. Mais il semble aujourd'hui probable de voir le premier cycle arriver plus tôt, vers mi 2011.
 
Avance sur frais
 
L'EOI sera payant. Un tarif de USD 55 000 est actuellement à l'étude. Désamorçons immédiatement les inévitables critiques : ce montant ne représente en aucun cas des frais supplémentaires pour le candidat, mais plutôt une avance sur les frais déjà prévus. Les USD 55 000 sont en effet l'engagement minimum pour tout candidat à une nouvelle extension. La taxe pour soumettre un dossier lors de l'appel à candidature sera de USD 185 000, comme annoncé. Ensuite, si un candidat souhaite se retirer après soumission de son dossier, le remboursement maximum accordé par l'ICANN sera de 70% du montant payé, soit USD 55 500. Soit le tarif de l'EOI.
 
Ce dernier a donc été calculé pour être suffisamment élevé, afin de dissuader les plaisantins, mais également assez raisonnable (et dans la logique du programme de l'ICANN) pour ne pas décourager les postulants légitimes.
 
Cette approche pragmatique sur le tarif est à l'image du plan dans son ensemble. L'EOI est la première avancée palpable vers les nouvelles extensions depuis l'annonce du programme en 2008. Avec ce plan, la situation s'est éclaircie d'un coup : pour espérer avoir sa nouvelle extension en 2011, il faudra être prêt à soumettre son EOI dès l'été 2010. En clair, l'EOI marque le vrai coup d'envoi des nouvelles extensions, enfin.