Deezer racheté par Orange : mauvaises frites, mauvaise musique

La reprise de Deezer par Orange pose un grave problème de concurrence aux autres acteurs de la musique en ligne. Orange aurait du mettre en valeur la diversité des offres disponibles. Et par ricochet, l’ex-monopole va favoriser iTunes sur le marché français ! Il ne manquait plus que ça…

Les bans publiés de Deezer avec Orange signent, nous dit-on, la fin d'une époque d'échecs dans la musique en ligne légale, et figurent un modèle français de streaming * massifié grâce aux bons soins de l'opérateur historique, qui fera payer la musique à la volée à ses clients, en bonus à ses abonnements divers. Ah bon ?

Deezer a eu depuis trois ans une action constamment dévastatrice sur l'ensemble des autres acteurs français d'un marché de la musique en ligne en formation, et aura constitué la véritable plaie de ce métier. BlogMusik devenu Deezer, ce fut d'abord le vol pur et simple des contenus des producteurs. Puis une "légalisation" intervenue par signature d'un accord avec la seule Sacem.

Deezer, ce fut ensuite la filouterie de parvenir à convaincre des investisseurs sur l'idée fausse qu'il était possible d'imposer, par la présence sur Deezer des contenus principaux indispensables, la validité du modèle gratuit pour le client, financé par la publicité.
 
La légalisation auprès des producteurs a conduit au versement d'avances aux seules majors au détriment des indépendants, invités à placer sur Deezer leurs contenus sans avances, au prétexte que cela leur ferait de la publicité. L'argument du "sortir du piratage" a fait mouche auprès des pouvoirs publics et des politiques de bonne volonté, de droite comme de gauche, convaincus que Deezer était un modèle vertueux. Mais ce modèle Deezer du "gratuit publicitaire" a montré qu'il n'est pas viable.

Les majors ont supporté le gratuit de Deezer en touchant des avances et ne pas ôter leurs beaux rêves aux politiques : il fallait  avancer sur Hadopi. Elles ont finalement imposé à Deezer des abonnements payants. Jusque là on nous expliquait que c'était un franc succès. On nous avoue maintenant que c'était un échec. Les menteurs ont toujours raison ! Hélas, les illusions colportées par Deezer n'ont pas cessé depuis trois ans de tirer ce marché naissant de la musique en ligne vers la débilité, alors qu'il fallait le structurer de manière vertueuse et qualitative pour faire face aux sites internationaux. Imaginez-vous essayer de vendre ce qu'on autorise votre concurrent à donner gratuitement !
 
Et qu'Orange nous explique ce qui l'autorise à vouloir formater ce marché, en usant de sa puissance au détriment d'autres acteurs, sans compétition. Puisque Orange prétendait "sortir des contenus", son devoir et sa puissance devait le conduire à offrir aux acteurs français les conditions d'une vraie place de marché, afin d'exprimer la variété des choix qui s'offrent en France au public. Politique de gribouille en outre : Deezer fait du streaming, c'est-à-dire de la musique à la demande, et renvoie pour le téléchargement ses visiteurs vers iTunes, en affiliation. De la sorte, Orange va, à présent, contribuer à renforcer s'il était besoin la puissance de iTunes. Y-a-t-il quelqu'un pour se préoccuper de la diversité culturelle et de la variété des offres ? 
 
Il faut  dissiper la perspective selon laquelle à l'avenir tout le monde paiera 5 ou 10 euro et pour ce prix bénéficiera de toute la musique du monde et de toutes les nouveautés. Un tel schéma peut se justifier pour la grosse cavalerie de la variété. Mais la musique enregistrée est une culture et son corpus historique un patrimoine culturel encore insoupçonné, aujourd'hui exploité de manière misérable. Ne comptez pas sur Deezer et semblables pour s'en occuper : ils sont plus intéressés par leurs partenariats avec McDonalds ! Mauvaises frites, mauvaises musiques !
 
Aujourd'hui la musique vendue en ligne est compressée, malmenée, compilée n'importe comment. Elle est mal préparée par les maisons de disques, mal présentée, mal promue. Elle est vendue, merci iTunes, sans livrets, sans information, sans rien. Elle n'a pas la mémoire de son passé et se contente de photographier l'état final du CD. A tous égards nous sommes à la traîne, non pas sur les pratiques, mais sur les contenus eux-mêmes. Mais déjà des sites étrangers ou internationaux offrent ce que les sites français se voient refuser. Qui s'en soucie ? Il faut sortir de l'idée qu'il existe UNE solution ou UN modèle pour TOUS et TOUS les genres et TOUS les publics.
 
Artistes , producteurs, services de musique en ligne indépendants, la cause est commune à tous ceux qui ne se satisfont pas et ne se satisferont pas des sites sans disquaires, hangars à Terra-Octets sans un humain derrière, rien que des chefs de publicité ! Il faut forger forger de nouvelles entreprises de distribution musicale orientées sur d'autres enjeux que le mainstream à prix cassé. Puisqu'il n'est jamais trop tard et que nous en avons besoin, il reste à le faire. Que du moins l'on cesse de mettre des bêtons dans les roues de ceux qui veulent penser la diffusion musicale autrement que par le mainstream le plus vulgaire !


PS : Cette tribune est l'adaptation d'un texte plus long publié entre autres sur le site Qobuz.com