Telco 2.0 : la nouvelle ère de la convergence

Alors que les opérateurs télécoms développent continuellement de nouveaux services avec les acteurs Web, le succès d’Apple (iTunes, App Store) illustre le tournant que prend l’économie digitale. La lutte pour capter la meilleure part de valeur est âpre.

Dans un contexte de convergence des réseaux, les opérateurs ne peuvent se contenter de rester focalisés sur la convergence des activités fixes, mobiles et Broadband. Chaque segment des offres quadruplay regroupant l'Internet haut-débit, la télévision numérique, la téléphonie fixe et la téléphonie mobile est désormais confronté à des problèmes de revenus (concurrence accrue) ou à des enjeux concernant les coûts liés à ces services (offres illimitées de plus en plus coûteuses).  Non seulement ces marchés, en phase de commoditisation croissante, voient leurs revenus s'éroder, mais ils sont de surcroît soumis à la concurrence féroce d'acteurs qui n'appartiennent pas à la famille des traditionnels fournisseurs de services de communication (ceux issus du développement Internet tels que Google ou Yahoo).

 

Face à cette double contrainte, la réponse des opérateurs passe par l'adaptation de leurs modèles économiques sur une dynamique dite « Telco 2.0 ». Un lien informel lie le Web 2.0 à la notion « Telco 2.0 ». Deux dimensions peuvent être mises en évidence. Tim O'Reilly cite tout d'abord l'importance des données utilisateurs (les opérateurs disposent de gisements largement inexploités), et ensuite l'interconnectivité des services (mashups) entre les partenaires tiers, et les services télécoms. Ainsi Orange permet à ses clients l'inscription en un clic à l'offre musicale Deezer, ou encore le remplissage simplifié du formulaire d'expédition sur le portail de Chronopost via une synchronisation avec le carnet d'adresses personnel.

 

Sur le plan organisationnel des tensions sous-jacentes s'instaurent entre le modèle traditionnel des opérateurs, basé sur une intégration verticale forte, et celui des nouveaux entrants Internet et de services Web 2.0 plus souple et très opportuniste. L'une des caractéristiques des acteurs venus de l'Internet est en effet d'introduire des services autonomes vis-à-vis des réseaux des opérateurs. C'est le cas, par exemple,  de Fring sur le marché de la messagerie instantanée. Celui-ci propose un service peer-to-peer de voix sur IP offrant des services de communication et de téléphonie via Internet.

En termes d'impact sur le chiffre d'affaires ces  tensions sont atténuées par la formidable croissance des offres broadband et de la data sur mobile ; mais ce dernier levier ne sera hélas pas éternel. Chez les opérateurs, l'abandon d'une forte intégration pose des difficultés de plusieurs ordres et des risques de cannibalisation d'offres, de gestion de la marque, ou encore d'impacts sur le SI (par exemple de l'offre webmail mis à disposition pour l'heure aux seuls clients opérateurs).


Très agiles, les nouveaux entrants issus de l'Internet se positionnent sur les services à valeur ajoutée, ce qui entraîne le risque pour l'opérateur traditionnel d'être confiné à un rôle de commodité, à faible valeur économique, et la désintermédiation avec le client final. L'âpreté de la compétition sur les « applications stores », un marché dominé par Apple avec son App Store, témoigne de cette perte de contrôle dans la distribution mobile. Sur ce point, la réponse des opérateurs a été tardive, devancée par celle des fabricants de terminaux tels Nokia (OVI Store) ou des éditeurs de logiciels tels Microsoft (Microsoft Marketplace). Les opérateurs peinent pour l'heure à s'imposer leurs applications stores, bien qu'ils disposent d'atouts indéniables : un accès privilégié aux données clients sur leur localisation, et des moyens aisés de les facturer sans intermédiaire.


Sur d'autres marchés, notamment émergents, des services de
substitution se sont imposés. C'est le cas de MXit en Afrique du Sud, un service de messagerie instantanée dont le protocole permet d'agréger ses contacts Yahoo, ICQ, Google Talk, AIM, ou Windows Live Messenger, et de supplanter ainsi les  offres SMS classiques. Autre illustration de ce mouvement de substitution : les services de type Skype sont de plus en plus utilisés par les petites entreprises sur les appels longue distance ou les services de conférence téléphonique. Ces services demeurent pour l'heure à la périphérie du marché, mais sont en croissance rapide. La compétition gagne donc de nombreux segments de marché, et le positionnement de l'opérateur sur la part la plus rémunératrice de ces chaînes de valeur est menacé.

Par ailleurs les services de vidéo d'IPTV et de diffusion de contenu, souvent présentés comme des leviers de croissance majeurs, ne parviennent pas à générer les profits escomptés par les opérateurs. Les marges sont de plus grevées par une faible appétence des utilisateurs à payer pour ces services média (culture du gratuit). Sur les services d'IPTV, l'orientation récente est à un recentrage sur le coeur du business et des partenariats avec des tiers (services TV de rattrapage MyTF1 et M6 Replay) dont les fameuses Box constituent le point d'ancrage pour la distribution. Côté musique, la position d'Apple est dominante sur les offres de téléchargement mais pas sur celles de streaming (écoute directe sans téléchargement) qui sont encore soumis à une compétition intense. Les opérateurs se tournent vers ce modèle, à l'image d'Orange et de son accord avec Deezer. Ce type de partenariat leur permet d'offrir aux abonnés mobiles des offres premium pour un prix moyen de 5 euros pas mois. D'autres initiatives sont attendues côté opérateurs et nouveaux entrants,car la répartition de la valeur entre les acteurs (dont les ayants-droits) fait encore aujourd'hui peser de fortes incertitudes sur le marché de la musique en ligne.


La convergence des réseaux et services trouve dans la dynamique Internet des usages 2.0 un puissant catalyseur dans l'évolution des activités coeur de métier opérateur, mais aussi un puissant aiguillon concurrentiel. Les opérateurs sont ainsi engagés dans une course contre la montre avec de nouveaux entrants (Google, Facebook, Microsoft, Blackberry ou Samsung...)  afin de capter la valeur des services convergents (au sens fixe/mobile) tels les services portail ou les applications stores.  Ces nouveaux services sur les applications stores mettent en lumière les changements rapides institués dans les rapports de force entre les acteurs.


L'avènement du réseau IP à large bande offre aux opérateurs traditionnels l'occasion de valoriser leurs actifs historiques, via l'accès aux plateformes des services (SDP  - Services Delivery Platform) et de déployer de nouvelles offres attractives, comme c'est le cas des modèles dans l'IPTV. L'un des défis majeurs pour eux va résider dans la manière dont ils vont réinventer l'organisation de leurs équipes et de leurs systèmes afin de se positionner en capitaines sur ces nouveaux business modèles.

 

Henri Tcheng, Associé BearingPoint, Michael Tartar, Senior Manager, Jean-Michel Huet, Senior Manager et Vincent Vaudour, Consultant