L'Internet fait sa révolution sexuelle

L'Icann vient de légaliser la première extension dédiée au contenu "pour adulte", le .XXX. Projet opportuniste et hypocrite ou moyen efficace d'identifier les contenus pornographiques ?

San Francisco se targue d'être la plus libre des villes américaines, voir la plus libertine. La "ville au bord de la baie", comme la surnomme affectueusement ses habitants, aime les libertés. Y compris sexuelles. Les homosexuels n'y sont pas montrés du doigt. L'industrie pornographique s'y prendrait presque pour un business comme un autre. La semaine dernière, elle y a même manifesté ! Contre une extension qui lui semble pourtant toute destinée, le .XXX.

Il est question d'ouvrir ce .COM du sexe depuis des années. En 2005, l'ICANN a même donné son aval à la candidature d'ICM Registry, une société basée en Floride qui postulait pour gérer le .XXX. Son patron Stuart Lawley, un homme d'affaire anglais tantôt affable, tantôt roublard, a alors lancé les démarches pour activer le .XXX. Création de l'infrastructure technique, recrutement des équipes, actions commerciales et marketing...

Mais les travaux lancés ont vite dû être interrompus. Les gouvernements ont témoigné leur forte désapprobation, et pour la première fois de son histoire, l'ICANN s'est vu opposer un véto de l'administration américaine ne lui laissant d'autre choix que d'inverser sa précédente décision. Sans surprise, Stuart Lawley l'a plutôt mal pris. Depuis, entre l'ICANN et ICM, on s'est beaucoup menacé, on a fortement sollicité les avocats, et un panel indépendant à même décidé en faveur d'ICM. Six ans après, Lawley estime avoir dépensé 12 millions de dollars rien qu'en frais d'avocats et en procédures ! Heureusement pour lui, il a le portefeuille résistant. En mars 2000, il a vendu le FAI britannique Oneview, coté sur le marché AIM de Londres, pour plus de 200 millions de dollars...
 
Le 18 mars 2011, Lawley a donc enfin obtenu gain de cause dans le dossier .XXX. Réuni à San Francisco, le Conseil d'administration de l'ICANN a validé l'extension. Elle va maintenant pouvoir s'ouvrir, et prendre sa place sur Internet au côté des .COM et autres .EU...
 
Label... 
A écouter le promoteur du .XXX, "labelliser" le contenu pornographique sur le Web relève quasiment du service public. "L'Internet regorge de contenu de ce type," indique Stuart Lawley. "Mais nombreux sont les Internautes qui ne souhaitent pas y être exposé. Le .XXX permet de rendre ce type de contenu facilement identifiable, pour ceux qui veulent y accéder en toute connaissance de cause, comme pour ceux qui veulent l'éviter. Car quoi de plus reconnaissable sur le Web qu'une extension, c'est à dire la partie complètement à droite de l'adresse Internet ?" .

L'argument se tient. Aujourd'hui, tomber par hasard sur de la pornographie est très facile. Si les professionnels du secteur ne se cachent pas, certains acteurs moins bien intentionnés tentent de leurrer l'Internaute vers des sites dont seul le nom est innocent. Parmi ces victimes peuvent se trouver des enfants. L'idée d'une extension faite pour le contenu adulte est donc d'ouvrir un "territoire de confiance" sur le Net dans le but d'accroître la confiance pour tous, les clients légitimes comme les autres.

"Aujourd'hui, il est impossible de différencier un site pornographique qui respecte un vrai code de conduite commercial d'un autre qui infecte ses utilisateurs avec des virus,"
affirme Stuart Lawley. "Le .XXX permet aux opérateurs de sites pornographiques de mettre en avant leur respect des bonnes pratiques." ICM y veillera, en validant les sites sous .XXX pour garantir, par exemple, qu'ils ne contiennent pas des virus ou qu'ils ne spamment pas leurs utilisateurs une fois ces derniers enregistrés.

 
...Ou ghetto ? 
Des avantages qui, pour l'industrie pornographique américaine, tiennent plus du ghetto. Cette industrie ne veut pas du .XXX. Elle l'a fait savoir la veille du vote en faveur du .XXX, en organisant une manifestation devant l'hôtel du congrès ICANN (seulement une vingtaine de personnes y ont participé, tous se revendiquant professionnels du porno). A l'origine de cette initiative, la "Free Speech Coalition" ou FSC (coalition pour la liberté de parole). Un doux nom pour une association qui se revendique comme l'organisme professionnel de l'industrie pornographique. "A première vue, le .XXX semble être une bonne idée," argumente la FSC. "Mais nous ne voulons pas d'une extension qui risque d'être facilement bloqué ou censurée."

La FSC semble ainsi confirmer que la valeur du .XXX réside dans son effet balise. Le contenu pornographique sera plus facile à identifier, donc également plus facile à bloquer. Il y a des endroits sur terre qui n'affichent pas un esprit aussi libéral que celui qui règne à San Francisco. Certains pays menacent d'ailleurs déjà de bloquer les sites en .XXX. L'industrie du porno américaine ne veut donc pas de cette étiquette encombrante, préférant continuer à opérer incognito sous une extension existante.
 
Un bon business 
Autre point de désaccord entre l'industrie et ICM, le prix. Le gestionnaire du .XXX annonce un "prix registre" élevé. Ce tarif est en quelque sorte le prix de gros d'une extension Internet. Les bureaux d'enregistrement (registrars) achètent à ce prix. Sachant que pour le XXX, un nom leur en coûtera environ 60 dollars, les prix publics seront au minimum le double, tout dépend des services que le registrar en question proposera avec le nom de domaine.

Le tarif ICM fait grincer les dents de ceux qui accusent la société de n'avoir aucune légitimité par rapport à la pornographie mais de vouloir juste en profiter pour faire fortune. Pour autant, depuis le début, Stuart Lawley n'a jamais eu honte de l'aspect lucratif du .XXX. "Cette extension valait 150 millions de dollars en revenus potentiels si l'ICANN avait tenu ses engagements et nous avait permis de la sortir en 2005," m'avait-il affirmé il y a quelques mois, à un moment où la validation du .XXX semblait plus qu'incertaine. "Aujourd'hui, le temps a passé et le marché n'est plus le même. Sa valeur non plus, mais cela reste un projet intéressant sur le plan financier."


Lawley espère commercialiser 500 000 noms dès le lancement de l'extension, prévu cet été. Un chiffre qui paraît ambitieux, même si ICM accumule déjà près de 250 000 pré-demandes (certes gratuites) pour des noms en .XXX. Un demi million de noms, c'est 30 millions de dollars de recettes. De quoi récupérer l'investissement déjà concédé et financer le lancement de l'extension.
 
Ouverture prévue pour la rentrée 2011 
Un lancement déjà en cours. Sans même attendre la décision de San Francisco, ICM Registry travaille depuis plusieurs mois avec les registrars, c'est à dire son réseau de vente. Le programme de lancement passe d'abord par une période prioritaire pour permettre aux détenteurs de droits de se protéger. Propriétaires de marques ou d'autres droits pourront donc bloquer leurs noms et en rendre l'utilisation en .XXX impossible.

Cette période prioritaire doit durer 30 jours. Elle sera suivie d'une période d'enregistrement de 45 jours. Cette période sera sans priorité, mais plus chère pour éviter la spéculation à la revente. Enfin, le .XXX ouvrira complètement, sur la base du premier arrivé, premier servi. Mais uniquement pour les demandeurs éligibles, c'est à dire les professionnels du secteur pornographique.


ICM ayant l'ambition de démarrer la période d'enregistrement prioritaire dès le mois de juin. L'ouverture générale du .XXX pourrait donc avoir lieu en septembre ou octobre prochain.
Avant la fin de l'année, on devrait donc commencer à voir si le concept du .XXX est valable. Stuart Lawley n'en a aucun doute, et entend rassurer ses détracteurs au sein de l'industrie porno. "La décision de l'ICANN est historique," dit-il. "Pour la première fois, l'Internet va avoir une zone clairement définie pour le contenu adulte. Un territoire virtuel qui protègera les mineurs et qui sera aussi dégagé que possible des risques de fraudes, d'abus et de virus. Les consommateurs y seront certainement plus en confiance pour y faire des achats enligne, sachant qu'ils s'adressent à des fournisseurs de services validés et vérifiés. Pour ces derniers, le .XXX devrait donc permettre de rassurer et de fidéliser la clientèle, tout en affichant une présence sur le Net plus responsable."