Conférence Connected Creativity : quel pont entre les contenus TV et le numérique ?

La première édition de la conférence Connected Creativity se tenait la semaine dernière à Cannes, dans le cadre du MIP-TV. Au centre des débats, l'avenir du secteur de la télévision avec l'arrivée des TV connectées.

Le MIP-TV qui se déroulait dans le fameux Palais des Festivals est le salon de la vente des droits d'émissions, séries TV et téléfilms. Les productions et les sociétés qui commercialisent les droits des contenus y exposent et rencontrent les acheteurs qui sont principalement les chaines de télévision du monde entier. La conférence Connected Creativity dont c'était la première édition visait à créer un pont entre ce monde des contenus et celui des usages numériques. On y trouvait une très belle brochette d'intervenants !


McLuhan avait tout prévu !

C'était le propos de Derrick de Kerckhove Directeur du McLuhan Program in Culture & Technology à Toronto. Le spécialiste des médias avait théorisé avec une acuité particulière les changements dans les usages, dans la société, dans les chaines de valeur qui seraient introduits des décennies plus tard. Impressionnant pour des textes du début des années 60, ses derniers écrits datant des années 70. Et c'est le centenaire de la naissance de McLuhan cette année !


L'industrie des contenus doit s'adapter plus vite

Cédric Ponsot de Vivendi Mobile Entertainment soulignait que l'environnement se transformait plus vite que le rythme de signature des contrats de diffusion de contenus. Groupon est ainsi apparu dans le radar en moins d'une année ! Le décollage de l'iPad a été encore plus rapide que celui de l'iPhone, qui était lui-même plus rapide que celui de l'iPod. L'industrie des contenus doit donc apprendre à travailler plus vite pour suivre ce rythme ! Un contrat ne devrait pas mettre plus de trois mois à être négocié et conclu, la moyenne étant pour l'instant située entre six et douze mois.

Pour se réinventer, il vaut mieux se cannibaliser soi-même pour rester en vie, la peur fait rater les opportunités des marchés et attention : un trou dans le marché ne veut pas dire qu'il y a un marché dans le trou en question. Il décrivait zaOza, un portail d'accès à des contenus musique et vidéo en SVOD (subscription VOD, abonnement de vidéo à la demande). L'idée qui rappelle la notion de licence globale consiste à simplifier la consommation et à réduire le stress financier associé pour le consommateur.

Rio Caraeff décrivait l'offre voisine Vevo qui est une joint-venture des majors de la musique pour la diffusion de clip vidéo en streaming, distribuée en marque blanche aux USA et au Canada, au travers des grands réseaux sociaux et sur tous les écrans. Dans le cas de Vevo comme de zaOza, l'inconvénient pour le consommateur est qu'il ne permet jamais d'accéder à tout le catalogue des contenus, mais seulement à une partie. Reste donc à inventer les solutions de SVOD multi-catalogues !

Sur ce thème, la présentation la plus marquante était celle de Matt Mason sur l'innovation induite par le piratage. Il évoque quelques exemples historiques : Edison était un "pirate" avec le disque microsillon pour les chanteurs, mais ses brevets sur le cinéma ont engendré la création de pirates qui ne voulaient pas les payer et se sont réfugiés à... Hollywood. L'émergence de pirates est le signe de l'apparition de nouveaux modèles économiques. La seule manière de "traiter" le piratage n'est pas de lutter contre mais d'adapter ses modèles économiques. Il cite aussi l'intérêt de la création incontrôlée de dérivés de produits qui créent tout un écosystème et peuvent renforcer une franchise.

Une table ronde sur les nouveaux usages de la TV mettait sinon en évidence le clivage entre les chaines traditionnelles et les nouveaux modèles. On y trouvait d'un côté Patrick Walker de Google EMEA et Sylvain Audigier de TF1. Avec une confrontation entre un acteur cherchant à protéger son modèle et un autre qui veut bousculer le jeu. Pour Google, la situation Européenne est simple : la TV connectée ne peut pas y décoller en l'état à cause des trop nombreuses régulations !


L'engagement du consommateur fait la différence

L'un des grands principes du web 2.0 est ainsi appliqué avec plus ou moins de retardement par les services médias. Le contenu ne peut plus être diffusé classiquement et consommé passivement. Il faut en-ga-ger le consommateur ! Avec toutes formes d'interactivités démarrant avec l'envoi de SMS pour voter sur une émission (le grand classique et un business mondial de $3B) jusqu'à des scénarios plus poussés (chat entre amis regardant la même émission, collaboration avec l'audience pour la conception même de contenus).

Auteur de 11 livres sur la mobilité (dont un gratuit de 507 pages sur Lulu.com), le tonitruant Tomi Ahonen nous faisait un "discours à la Nokia" rappelant que tous les consommateurs n'avaient pas de smartphones et que supporter uniquement l'iPhone laissait de côté 98% des mobinautes. Et de rappeler qu'il y avait plus de possesseurs de mobiles dans le monde que de brosses à dent. Le tout pour s'émerveiller de la taille du business des SMS et des MMS, et l'usage qui peut en être fait pour engager les téléspectateurs. L'émission "Deal or no deal" de NBC aux USA génère à elle seule $56m de chiffre d'affaire en SMS !


Facebook devient un portail média

Christian Hernandez Gallardo de Facebook exposait la manière dont Facebook se prépare à devenir un véritable portail de médias sachant que c'est déjà le sixième site en consommation de vidéo aux USA. Avec une expérience menée avec la Warner pour la diffusion de Batman - Dark Knight. Elle coutera 30 crédits Facebook. Pour lui, Facebook devient le "guide des programmes social" de l'Internaute, et pour tous les écrans.


Que faire de l'addiction au numérique ?

Cette thématique de l'addiction numérique était évoquée par Tiffany Shlain, Susan Greenfield ainsi que par Tomi Ahonen. Ce dernier sortait une statistique étonnante de son (légendaire) chapeau : on regarderait son mobile 150 fois par jour en moyenne et 82 en Afrique !

Tiffany Shlain expliquait le besoin de se déconnecter de temps en temps. Elle pratique maintenant cela une journée par semaine. Elle présentait en avant-première son documentaire "Connected : An Autoblogography about Love, Death, & Technology". Un bric à brac montrant que notre monde est de plus en plus connecté et interdépendant, et pas seulement du fait du numérique. Elle racontait sinon la fin de la vie de son père, Leonard Shlain, atteint d'un cancer du cerveau. A ceci près que celui-ci était justement un spécialiste du cerveau. Un topo très empathique et émouvant qui rappelle surtout les valeurs de la famille.

De son côté, la Baronesse Susan Greenfield d'Oxford montrait l'interdépendance entre le développement du cerveau et la richesse des stimuli reçus. Des animaux de laboratoires qui vivent dans une cage mieux équipée ont plus de synapses. Un environnement diversifié enrichit donc le cerveau. Ce qui explique pourquoi il faut aller dans des conférences même si on s'y ennuie parfois ! Les expériences uniques améliorent la configuration du cerveau ! A 11 ans, un enfant a passé 900 heures en classe, 1277 dans sa famille et 1934 devant un écran. Est-ce préjudiciable à son développement ? Selon elle, pas forcément, reprenant ainsi la thèse de Steven Johnson, auteur de "Everything Bad is Good for You". La culture de l'écran a plusieurs impacts : elle augmenterait le QI, elle réduit l'attention, elle augmente la sensibilité, elle est au premier degré et limite l'appel aux métaphores et concepts abstraits, elle réduit l'empathie et est aussi inhibitrice de prudence (la génération de dopamine inhibe le cortex préfrontal). Alors, bien ou mal ? Faut voir.

Au final, sachant que nous n'avons pas couvert tout le contenu de cette riche conférence, Connected Creativity était un bon cru avec une belle brochette de très bons intervenants : Tiffany Shlain, Tomi Ahohen, Matt Mason, Susan Greefield, Derrick de Kerckhove et Gavin McGarry. Il manquait juste un peu de monde, mais ce n'est que partie remise pour la prochaine édition.