Vie privée sur Internet : que retenir des vrais-faux « communiqués » sur Facebook

Tant de disclaimers publiés sur Facebook par des milliers d'utilisateurs, mais avec quelle efficacité ? C'est ce que cet article tente d'explorer.

Le plus vaste réseau social du monde a vu fleurir par milliers des « communiqués » (1) placardés sur les sites de réseaux sociaux par certains de ses utilisateurs, soudainement inquiets que leur vie privée soit utilisée à mauvais escient.
La gravité du ton employé par les internautes a certes pu, dans un premier temps, émouvoir certains professionnels qui auraient pu, comme Facebook, en être destinataires. Pourtant, comme l'ont justement fait remarquer certains commentateurs, brandir aussi solennellement soit-il, des articles de lois américaines inapplicables et des droits inexistants, ne forcera jamais personne à rien.
Pour autant, dans ces communiqués réside toute l’ambiguïté des internautes vis-à-vis de la protection de leur vie privée sur Internet: alors qu’ils rendent spontanément accessibles au public des informations parfois particulièrement intimes, ceux-ci n’en éprouvent pas moins le désir farouche de les protéger.
La question est donc de savoir, quelles données, quels contenus, un réseau social peut  collecter, dans quelles conditions et comment-peut il les utiliser, les diffuser? C’est ici que certaines précisions et clarifications méritent certainement d’être apportées.
Trois grands ensembles de règles relatives respectivement aux données personnelles, à la vie privée et à la propriété intellectuelle s’imposent à tout professionnel acteur sur Internet. Au regard de la crainte parfois démesurée éprouvée par les internautes et de la propagation virale des contre-vérités qu’elle suscite, il n’apparaît pas inutile d’en rappeler les grands principes avant de se convaincre qu'un professionnel consciencieux n’aurait pas eu à s’inquiéter des communiqués diffusés par les utilisateurs.

1. Quels sont les grandes principes juridiques à respecter afin d’être en conformité avec la loi ?

1.1 Établir des conditions générales d’utilisation 

L’établissement de conditions générales d’utilisation constitue un  préalable fondamental à la mise en ligne d’un site Internet.
Tout entrepreneur doit en effet avoir une conscience aigüe de la nécessité impérative d’établir des conditions générales, puisqu’elles définiront les termes et conditions d’utilisation du service proposé et encadreront juridiquement les relations « site-utilisateur ». Comme tout contrat, les conditions générales ne peuvent être modifiées que par la volonté commune de chacune des parties - telles Facebook et son utilisateur.
Pour autant, la liberté dont jouit le professionnel dans la rédaction des conditions générales n’est pas absolue. On ne peut pas tout mettre dans des conditions générales et il faut rappeler que certaines dispositions impératives de la loi primeront sur toute disposition contractuelle contraire. Ce sera plus fréquemment le cas dans un rapport B to C et pour ce qui concerne la protection des données à caractère personnel.
Or, de nombreux sites ne prennent pas la mesure de l’importance fondamentale des conditions générales d’utilisation et soit n’en proposent pas, soit commettent l’erreur d’utiliser des conditions générales « types » - par définition souvent mal adaptées à leur situation particulière. Nous n’insisterons jamais suffisamment sur ce point : rédiger des conditions générales circonstanciées, s’appliquant aux problématiques de chaque business s’avère le préalable indispensable à toute entreprise sur internet.

Respecter la vie privée d’autrui

Les conditions générales permettront notamment au réseau social de publier les contenus fournis par ses membres ainsi que les aspects de vie privée que ces derniers publient volontairement.
A cet égard il est important de rappeler que lorsqu’une personne publie une photo, une vidéo ou un commentaire la concernant ou concernant ses amis, elle diffuse des éléments relatifs à sa sphère privée (son image, certains éléments de sa vie privée, intime, etc).
Or, sauf exceptions, toute personne a le droit au respect de sa vie privée et des attributs de sa personnalité, en application de l’article 9 du Code civil. Dès lors, sans le consentement exprès des intéressés, il ne sera pas possible de diffuser tout élément lié à sa vie privée, ou à son image.
Les conditions générales devront donc impérativement s’assurer du consentement des membres quant à la diffusion de tout type de contenu impliquant des aspects de leur vie privée.

Posséder les droits de propriété intellectuelle nécessaires

Les réseaux sociaux offrent le plus souvent à leurs utilisateurs la possibilité de diffuser des photos, vidéos, musiques.
Or, tout contenu est susceptible d’être protégé par des droits de propriété intellectuelle de sorte que toute diffusion sur Internet n’est pas libre. La diffusion de contenu protégé est ainsi régie par des  règles strictes, édictées au sein du Code de la propriété intellectuelle.

Rappelons le, il est ainsi indispensable de posséder tous les droits de propriété intellectuelle nécessaires avant de diffuser une image, une vidéo, ou tout contenu de toute nature. Or, les droits de propriété intellectuelle attachés à ces contenus ne peuvent être transmis que de façon expresse, par voie contractuelle. Il n’existe aucun mécanisme de consentement tacite à la publication d’un contenu protégé.
Par conséquent les conditions générales devront prendre soin de contenir une clause autorisant le site à une telle publication/diffusion. Cette clause devra par ailleurs détailler précisément l’étendue exacte des droits transférés ou concédés au site par l’utilisateur à défaut de quoi le transfert de droits opéré sera inévitablement limité.
Inversement, il n’est pas possible de concéder ou transférer des droits que l’on ne possède pas.
Ceci explique qu’un utilisateur postant une vidéo musicale protégée par des droits de propriété intellectuelle ne puisse, par exemple, concéder au site de partage de videos Youtube le droit de la diffuser. Dans une telle situation Youtube devra par conséquent retirer sans délai la vidéo. Il en va de même pour tout réseau social ou site internet en général. Un professionnel diligent devra ainsi retirer tout contenu dont il n’aurait pas préalablement et explicitement bénéficié des droits de propriété intellectuelle.
1.2 Être en conformité avec la loi « Informatique et Libertés »

Lorsqu’un internaute s’inscrit sur un réseau social et y interagit, il renseigne un certain nombre d’informations personnelles qui sont collectées par le site en question. Une grande partie de ces informations seront considérées juridiquement comme des données à caractère personnel, que la loi définit comme : « toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement, par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments qui lui sont propres ». Le traitement de ces données personnelles est strictement encadré par la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés du 6 janvier 1978 dite « Informatique et Libertés ».
La loi « Informatique et Libertés » fait peser un certain nombre d’obligations impératives sur les entreprises opérant des traitements de données personnelles. Par traitement, il faut comprendre « toute opération ou tout ensemble d’opérations portant sur de telles données, quel que soit le procédé utilisé, et notamment la collecte, l’enregistrement, l’organisation, la conservation, l’adaptation ou la modification, l’extraction, la consultation, l’utilisation, la communication par transmission, diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l’interconnexion, ainsi que le verrouillage, l’effacement ou la destruction ».

Tout traitement devra impérativement respecter un certain nombre de contraintes comme n’être constitué que de données personnelles qui sont nécessaires, exactes, pertinentes, conservées pour une durée limitée et nécessaire, etc.

Dans de nombreux cas, il faudra aussi avoir obtenu le consentement des personnes intéressées pour collecter leurs données.

Mais surtout, les personnes dont les données font l’objet d’un traitement bénéficieront - même après avoir donné leur consentement - des droits suivants, auxquels il est impossible de leur faire renoncer : 

  • Droit à l’information : les personnes concernées doivent être informées sur leurs droits, l’objectif de la collecte de leurs données personnelles, etc ;
  • Droit d’opposition : toute personne peut s’opposer à figurer dans un fichier pour des motifs légitimes. Dans le prolongement de cette idée, tout utilisateur dispose également de la possibilité de s’opposer à l’utilisation commerciale ou à la transmission de ses données personnelles à des tiers ;
  • Droit d’accès : toute personne dont les données figurent dans un fichier peut à tout moment demander que lui soit communiquées l’intégralité des données la concernant ;
  • Droit de rectification : complément nécessaire du droit d’accès, le droit de rectification offre à tout utilisateur la possibilité de demander au responsable d’un traitement de données de rectifier, compléter, actualiser et même effacer ses informations personnelles. 

Tout professionnel sur Internet devra par conséquent garantir à toute personne concernée l’exercice de ces droits.

2. A quoi un professionnel tel Facebook serait-il juridiquement contraint en réponse au « disclaimer » ? Rien !

Soyons clair et direct : les prétendues « déclarations de droit » unilatéralement publiées par certains internautes sur Facebook ne changent rien – ou si peu - à leur situation juridique.
Reprenons pour nous en convaincre les principaux points invoqués par la plupart des déclarations diffusées par les internautes en appliquant les principes juridiques évoqués plus  haut.
Dans ces déclarations, les internautes : 
 

  • requièrent que leurs informations soient tenues « privilégiées et confidentielles » : il y a un paradoxe manifeste à publier volontairement des informations sur un site tout en souhaitant les garder confidentielles. Les conditions générales autorisent d’ailleurs généralement les réseaux sociaux à diffuser les informations des utilisateurs. Par ailleurs, dans le cas de Facebook, il n’est pas inutile de rappeler que le degré de confidentialité de ces informations est entièrement  entre les mains des utilisateurs, lesquels peuvent le régler grâce à un outil prévu à cet effet, leur permettant de décider qui aura accès à quelles informations.
  • s’opposent à la diffusion de quelque manière que ce soit de commentaires et autres « tag » les concernant : lors de l’inscription sur un site participatif, comme Facebook, les internautes souscrivent à ses conditions générales qui les lient au site et dont les clauses autorisent expressément le site à diffuser lesdits commentaires. Cette règle du jeu ne peut nullement être modifiée par la seule volonté d’une seule des parties. Dès lors, déclarer s’y opposer unilatéralement est sans incidence. Une solution existe néanmoins pour les internautes : rompre le contrat les liant au site, à savoir les conditions générales, ce qui implique nécessairement de se désinscrire.
  • ne renoncent pas à leurs droits d’auteur : là encore, les conditions générales régissent généralement cette question : les internautes concèdent tous droits pour diffuser leurs contenus. Pour éviter de concéder leurs éventuels droits d’auteurs, les utilisateurs ne peuvent que se désinscrire.
  • s’opposent à l’utilisation « commerciale » de leurs textes, photos, données, etc : il s’agit là de la seule revendication qui pourrait avoir un impact - relatif. En effet, la loi « Informatique et Libertés » donne droit à tout intéressé de s’opposer à certaines utilisations de leurs données personnelles, notamment commerciale. Pour autant, et pour une meilleure efficacité, peut être faudrait-il mieux adresser directement une demande à Facebook plutôt que d’en parler à ses amis virtuels.  

En clair, rien de bien nouveau sous le soleil, tout ce que demandent ces utilisateurs est déjà régi par la loi ou stipulé par des conditions générales consciencieusement rédigées, comme c’est le cas pour Facebook. Tous ces communiqués ont donc une utilité limitée, voire nulle, en tous cas en droit français.
Il n’en reste pas moins que l’ampleur de la diffusion virale des communiqués met en exergue la volonté – un peu paradoxale - des internautes de protéger leur vie privée et la nécessité pour les professionnels d’en entendre l’écho. Elle rappelle aussi que les professionnels sont tenus à de nombreuses règles relativement à la vie privée des internautes, qu’il leur appartient de respecter.

(1) Deux exemples de communiqués diffusés sur Facebook :

 1.     « Conformément à l'AGBG, en raison de la nouvelle politique sur Facebook, je refuse par la présente l'utilisation commerciale de mes données personnelles c'est à dire : mes textes, mes photos, mes photos personnelles, mes données personnelles, mes photos de profil ainsi que toutes les autres images, etc. Rien de ce qui me concerne ne devra être commercialisé ou divulgué sans mon consentement écrit. ...AVERTISSEMENT : ......À toute personne et/ou institution et/ou agent et/ou organisme de toute structure gouvernementale, publique ou privée au sujet de mes photos, et/ou des observations faites à mon propos, au sujet de mes photos ou de toutes les autres images ou informations postées sur mon profil par mes contacts (amis) Facebook : Vous êtes avisés qu'il vous est strictement interdit de divulguer, copier, distribuer, diffuser les images ou informations qui apparaissent sur mon profil Facebook, que j'en sois l'auteur ou non.
Cette interdiction s'applique également aux employés, agents, étudiants ou membres du personnel sous votre direction. Le contenu de ce profil est privé ; les informations qu'il contient sont privilégiées et confidentielles ; le fait par moi de les poster sur mon profil ne signifie pas que je souhaite les rendre publiques, ou que je renonce à mes droits d'auteurs ou à tout autre droit à leur sujet, mais seulement et uniquement que je souhaite les porter à la connaissance de mes contacts ("amis") Facebook. La violation de la vie privée est une infraction punissable par la loi. Il vous est recommandé d'afficher un avis semblable à celui-ci (ou vous pouvez copier et coller cette version). Si vous ne publiez pas cette déclaration au moins une fois, alors vous autorisez implicitement et indirectement l'usage public des éléments tels que les photos et les informations contenues. »
 

2. “In response to the new Facebook guidelines I hereby declare that my copyright is attached to all of my personal details, illustrations, comics, paintings, professional photos and videos, etc. (as a result of the Berner Convention). For commercial use of the above my written consent is needed at all times!

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