Le Web au centre de la prochaine guerre froide ?
Après deux semaines d'intenses tractations, une conférence onusienne sur les télécommunications s'est soldée par un échec. Parmi les pays ayant refusé de signer le traité, la France.
Le WCIT
n'a finalement pas généré de consensus (WCIT kesako ? lire nos explications). Un
nouveau traité a été rédigé à la dernière minute, mais de nombreux
pays ont refusé de
le signer.
Deux
camps se sont formés, et ils rappellent ceux de la triste époque de la guerre froide.
D'un côté la Russie, menant un groupe
dont la volonté est
d'inclure l'Internet dans le traité. De l'autre, les US, à la tête d'une coalition effrayée à cette idée et affirmant qu'elle menace
de censure et d'ingérence gouvernementale une toile qui doit justement son
essor à la
relative indépendance
gouvernementale dont elle jouit.
La
"position russe" a
d'abord été plus extrême. Mais pendant plusieurs
jours de négociations
et de réunions
fermées,
le "camp américain"
menaçant
de quitter la table des discussions, elle a été adoucie. Tout ça pour quand même essuyer le camouflet final
de voir certains des plus importants pays du monde (au niveau économique) refuser de signer.
Parmi ces
pays et en plus des US, l'Angleterre, le Canada, la Pologne, la Suède, la Hollande, l'Australie,
la Nouvelle Zélande,
la République
Tchèque,
le Japon, l'Italie, le Portugal et... la France.
"Internet
est un bien commun, qui doit rester libre et ouvert," a expliqué Fleur Pellerin, ministre
chargée de l’Économie Numérique
au sein du gouvernement Hollande, pour justifier la non signature française. "Nous ne pouvions
pas signer un texte qui soulevait de telles inquiétudes auprès des organisations
non-gouvernementales et des acteurs du numérique. Pour autant, la gouvernance de l'Internet est
perfectible et nous devons travailler à ce qu'elle soit véritablement internationale et inclusive. Je souhaite que la
Conférence
de Dubaï soit
l'occasion de relancer ces travaux."
Choc des cultures
Pas
certain que ce vœu soit exaucé de sitôt. Selon certains connaisseurs de l'univers onusien, parce
que le camp américain
a refusé de
signer malgré les
concessions consenties par le camp adverse, ce dernier risque fort d'aborder la
prochaine conférence
de ce type avec un esprit d'intransigeance et de vengeance. En effet, si de
toute façon
les traités ne
sont pas signés, pourquoi
perdre son temps à négocier ? Autant rester sur les
positions les plus dures et voir venir.
Alors de
réelles divisions vont-elles
apparaître
et menacer l'unicité mondiale de l'Internet ? Pas encore. Car le nouveau traité RTI a beau exister, il ne
veut pas dire grand chose pour l'instant sachant qu'il ne sera effectif qu'en
2015… et
que pour les pays signataires. Comme prévu, le WCIT n'aura donc que très peu de conséquences immédiates.
Mais plus
loin ? Lorsque le précédent RTI était entré en vigueur en 1988, l'Internet n'était pas un sujet.
Aujourd'hui, le monde des télécommunications "traditionnelles" et celui de
l'Internet s'entrechoquent. Les opérateurs télécoms sont aussi ceux qui gèrent l'infrastructure par
laquelle passe Internet. Les gouvernements sont souverains sur leurs réseaux de téléphonie nationaux, mais se
sentent impuissants face à ce "machin sans frontières" qu'est l'Internet.
A chacun de défendre ses intérêts. Oui, derrière les propositions du camp russe se cachent peut-être des velléités d'augmenter le contrôle des États sur le Net. Mais il ne faudrait pas faire preuve d'excès de naïveté vis-à-vis de l'autre camp non plus. Par leur mainmise technique et commerciale, les Américains contrôlent de fait l'Internet aujourd'hui. Le statu quo leur va donc très bien.
Pour cette fois, ils ont réussi à le préserver. Mais au prix de l'apparition de véritables clivages idéologiques qui risquent fort de rendre les prochaines conférences onusiennes sur ce type de sujet encore plus difficiles.