Le droit à l'image des biens se réduit comme peau de chagrin

A la fin des années 1990 s'est développée une jurisprudence relative au droit à l'image des biens. Schématiquement, les juges considéraient que le propriétaire d'un bien (mobilier ou immobilier) disposait d'un droit sur l'image de ce bien et pouvait donc empêcher des tiers d'exploiter cette image sans son autorisation.

Cette jurisprudence n'était pas fondée sur un droit de propriété intellectuelle (droit d'auteur, marque ou dessin et modèle), mais uniquement sur le droit de propriété matériel, énoncé à l'article 544 du Code civil.

L'arrêt emblématique dans cette matière est celui rendu par la Cour de cassation le 10 mars 1999 dans l'affaire "Café Gondrée". Selon cet arrêt, le propriétaire a seul le droit d'exploiter son bien, sous quelque forme que ce soit. Il était donc possible au propriétaire d'un café de s'opposer à la vente de cartes postales représentant ce café, la photographie ayant été prise sans son autorisation, bien qu'elle eût été réalisée à partir du domaine public. La Cour jugeait que l'exploitation du bien sous forme de photographies portait atteinte au droit de jouissance du propriétaire.  

Cette jurisprudence a été source de tracas pour de nombreuses entreprises qui exploitent l'image de biens, par exemple les éditeurs d'ouvrages consacrés à l'architecture. Elle a connu un reflux sensible dans les années 2000, et même dès l'année 2001, les juges considérant désormais que le propriétaire d'un bien ne peut s'opposer à l'exploitation de l'image de ce dernier par un tiers que si cette exploitation lui cause un "trouble anormal" (Cass. 1re civ., 2 mai 2001). Il a d'ailleurs été jugé que l'exploitation de l'image d'un biais ne causait pas nécessairement un tel trouble même si elle était effectuée à titre commercial (TGI Clermont-Ferrand, 1re ch. civ., 23 janv. 2002).

La notion de trouble anormale n'est guère aisée à définir et elle est en outre rarement abordée en jurisprudence. C'est dire l'intérêt de cet arrêt rendu par la Cour de cassation le 28 juin 2012, dans une affaire opposant deux sociétés spécialisées dans le domaine viticole. Les deux commercialisaient un vin provenant de deux domaines différents, mais sous la même appellation d'origine et sur un territoire proche. Or l'une de ces deux sociétés utilisait sur ses bouteilles une photographie du château de son concurrent…

Ce dernier avait engagé une action en concurrence déloyale et a obtenu gain de cause sur le fondement de l'article 1382 du Code civil. L'intérêt de cette décision réside dans l'utilisation, à titre assez anodin, de la notion de "trouble anormal".

En effet, pour approuver la Cour d'appel d'avoir condamné le concurrent, la Cour de cassation indique que "l'utilisation par la première de l'image du château de Mareuil, propriété de la seconde, causait à cette dernière un trouble anormal". Cette motivation rejoint donc expressément celle relative au droit à l'image des biens, mais sur un autre fondement, puisque l'article 1382 du Code civil a remplacé la référence à l'article 544.

Ceci signifie que le droit à l'image des biens n'est plus une prérogative tirée du droit de propriété, ainsi qu'il avait été conçu initialement, mais n'intervient que de manière incidente, au soutien de l'action en concurrence déloyale, laquelle suppose la démonstration de manœuvre de nature à créer une confusion dans l'esprit du public entre des produits ou des services offerts par des concurrents.

C'est dire que le champ du droit à l'image des biens se réduit comme une peau de chagrin et qu'il n'existerait plus de manière autonome. Il reste à voir si cette tendance se confirme à l'avenir.