Nouvelles extensions : quel bilan à fin 2013 ?

La révolution pour les adresses Internet est annoncée depuis des années. En 2013, elle s'est enfin concrétisée avec l'activation des premières nouvelles extensions. Le point sur ces nouveaux espaces numériques, qui devraient commencer à vraiment fonctionner en 2014.

Décembre 2012. Il y a 22 extensions génériques (de type .COM) sur Internet. Pourtant, depuis 2005, on nous annonce l'ouverture de nouveaux "domaines de premier niveau génériques" ou gTLDs en Anglais. Faut-il arrêter d'y croire ? Avance rapide à décembre 2013 et la réponse est clairement non. Au 17 décembre, le régulateur technique du nommage sur Internet mondial, l'ICANN, a déjà activé 35 nouvelles extensions. Ces .GURU, .MENU ou .SEXY ne sont pas encore disponibles à l'enregistrement, mais ils sont d'ores et déjà fonctionnels (essayez donc avec www.nic.guru, www.nic.sexy ou encore l'extension de la région allemande de la Ruhr sur www.nic.ruhr). Hier encore au stade de projet, le programme de création des nouvelles extensions est aujourd'hui devenu concret.

Le 13 juin 2012, ils avaient été 1930. Aujourd'hui, il en reste 1794. Il s'agit du nombre de dossiers de candidatures déposés à l'ICANN. Toutes ne deviendront pas des extensions. Il y a d'abord les disparus : 132 dossiers ont été retirés par les demandeurs eux-mêmes et 4 refusés par l'ICANN. Il y a ensuite les contestés : 656 dossiers concernent des extensions qui n'ont pas fait l'objet d'une seule demande. Ils devront donc se départager, ou se voir attribuer lors d'enchères actuellement prévues pour février 2014.

Les réussites sont quand même d'ores et déjà nombreuses. L'ICANN a envoyé un contrat à 978 dossiers, et 201 contrats sont d'ores et déjà signés. Tout contrat signé devrait déboucher sur une extension active. Entre 2014 et 2015. Rendez-vous donc dans un an, date à laquelle bon nombre de ces nouveaux espaces d'expression sur Internet devraient être opérationnels, et déjà en train de modifier nos habitudes de navigation.


  Nouveaux caps  

Justement, comment va-t-on surfer demain ? Comment s'y retrouver avec tous ces nouveaux territoires numériques ? En ce qui concerne les moteurs de recherche, certains sont en avance sur d'autres. Paradoxe, Google, qui est l'un des candidats aux nouvelles extensions les plus prolifiques avec une centaine de dossiers déposés à l'ICANN, ne reconnaît pas encore les nouvelles extensions sur son moteur de recherche. Pourtant c'est déjà le cas avec Bing, le concurrent de Microsoft, et donc aussi avec le moteur Yahoo!, qui utilise aussi la technologie Microsoft. Cela marche également sur le réseau professionnel LinkedIn, qui accepte l'utilisation de nouvelles extensions pour sa fonction de partage de liens.

Si les utilisateurs du Net vont donc devoir changer leurs habitudes, les entreprises aussi. Certaines ont déjà des stratégies bien établies. C'est le cas du géant du consulting financier KPMG, qui a annoncé son intention d'abonner son www.kpmg.com au profit du .KPMG pour lequel la société a candidaté. L'opération se fera par phase, afin de ne pas désarçonner ceux qui n'auront pas encore l'habitude d'utiliser ces extensions 2.0. Sachant que la société emploie 155 000 personnes, opère dans 155 pays et a signé un chiffre d'affaire de plus de 23 milliards de dollars sur le dernier exercice complet, les enjeux de cette migration sont de taille.

Mais KPMG semble avoir une approche déjà très mûre. La firme met en avant les avantages technique et sécurité inhérents au fait de gérer sa propre extension. Plus besoin de dépendre de tiers opérant une extension sur laquelle on n'a aucun contrôle, le .COM géré par une société américaine par exemple. Avoir sa propre infrastructure Internet basée sur sa propre extension permettra aussi à KPMG d'accélérer les accès et les échanges en interne. Enfin, le .KPMG sera bien entendu utilisé par la firme comme l'étendard de son avance technologique et de son esprit novateur, avec effets positifs attendus pour son image.


  Nouveaux modèles  

Sans aucun doute, KPMG prend de l'avance. Car l'ère des nouvelles extensions amène de profonds changements. Sur la façon dont les utilisateurs et les gestionnaires d'extensions vont fonctionner, comme nous venons de le voir, mais également pour toute la chaine de distribution des noms de domaine.

Auparavant, avec une vingtaine de "registres" (le nom donné à l'entité en charge de gérer une extension Internet), faisant face à environ 500 "registrars" accrédités (ces sociétés ayant signé un contrat avec l'ICANN pour avoir le droit de commercialiser des noms de domaine), la concurrence entre extensions était finalement assez réduite. Mais en passant à mille extensions, ou plus, les business modèles vont pousser comme des champignons.

Se posent alors au moins deux problèmes.

Le premier touche les registrars. Même si elles sont virtuelles, leurs vitrines ne sont pas extensibles à l'infini. Là où auparavant elles accueillaient une vingtaine de produits, il faudra maintenant en caser des centaines. Difficile d'y parvenir sans noyer le client, ou ses propres équipes et systèmes informatiques.

Ainsi les nouvelles extensions devraient favoriser la concurrence entre registres et paradoxalement, pourraient l'étouffer au niveau des registrars. Les gros seront en effet bien mieux armés pour absorber tous ces nouveaux produits, et on peut s'attendre au mieux à des vagues de consolidation sur ce marché, au pire à voir de nombreux registrars de moyenne taille disparaître.

L'autre problème se posera aux utilisateurs. Ils devront comprendre une foultitude de nouvelles structures de vente. Un exemple, l'un des candidats au .SUCKS (ils sont trois en tout), terme anglais bien connu des internautes qui veulent critiquer un produit ou une société, a déjà annoncé ses tarifs. Ils font frémir. Une marque voulant se protéger dans cette extension pourrait avoir à payer jusqu'à 25 000 dollars par an et par nom de domaine ! A l'opposé, certains modèles devraient permettre d'enregistrer des noms gratuitement. D'autres extensions seront tout simplement fermées au grand public.

Tout cela ne va pas favoriser la simplicité, pour le réseau de vente comme pour les clients finaux.


  Fin du tout .COM  

Arlésienne hier, le programme des nouvelles extensions risque donc de se faire lame de fond demain. Début décembre, un des responsables de l'ICANN a estimé qu'un deuxième appel à candidatures pourrait être ouvert dès 2016. Vu le succès du premier appel (l'ICANN s'attendait à ne recevoir que 500 candidatures dans le cadre de cette première fenêtre de tir qui s'est clôturée en 2012), on peut raisonnablement envisager que ce deuxième "tour" génèrera encore plus de demandes.

En attendant, 2014 sera l'année des premiers grands changements. Le .COM règne en maître absolu sur une planète noms de domaine en croissance quasi interrompue depuis le début des années 2000. A la fin du 3e trimestre 2013, on comptait un total de 265 millions de noms de domaine dans le monde, soit 8% d'augmentation annuelle. 110 millions de ces noms sont des .COM, le reste étant distribué sur les quelques 270 extensions qui restent (extensions génériques, mais aussi les nationales, comme le .DE pour l'Allemagne ou le .US pour l'Amérique).

Depuis deux ans, on observe un glissement de la part de marché du .COM. Jadis à plus de 50%, elle est donc aujourd'hui tombée à 41% du parc mondial des noms de domaine. L'arrivée en masse de nouvelles extensions, et surtout les changements de modèles et de possibilités de contrôle que cette arrivée va provoquer, risque fort de mettre encore plus à mal ce qui était pourtant un état de fait depuis les débuts de l'Internet pour tous : la domination du .COM.


  Autres pays, autres mœurs  

Dernier chamboulement majeur : les extensions à caractères non latins. Hier techniquement proscrits sur un Internet construit en anglais, les alphabets du monde ont depuis quelques années droit de cité. Mais pour ces extensions à l'apparence parfois indéchiffrable chez nous, le programme des nouvelles extensions sera aussi le catalyseur d'une nouvelle époque.

Ce type d'extension est en effet prioritaire dans ce programme. 116 d'entre-elles ont été demandées dans le premier tour, dont un dossier .CATHOLIQUE en caractères chinois déposé par le Vatican ! Là aussi, les habitudes des internautes vont être bousculées. Pour les utilisateurs d'alphabets chinois, arabes, cyrilliques ou autres, c'est une excellente nouvelle.