La modification de notre perception par les usages technologiques

Jusqu’à présent notre perception, notre mouvement dans le monde, pouvaient être considérés comme le fruit de notre volonté, de notre éducation, de nos peurs ou encore pour certains de notre langage. Il nous faut désormais compter avec l’usage que nous faisons des technologies qui modifient considérablement l'appréhension du monde environnant.

Notre perception serait-elle désormais le fruit de nos seuls usages ?

Jusqu’à présent notre perception, notre mouvement dans le monde, pouvaient être considérés comme le fruit de notre volonté, de notre éducation, de nos peurs ou encore pour certains de notre langage.
Il nous faut désormais compter avec l’usage que nous faisons des technologies. Par usage nous entendons toute pratique s’inscrivant dans les lois de notre société et visant à atteindre un objectif, pratique on ne peut plus facilitée aujourd’hui par Internet (a).
Ces usages sont de toutes sortes et font parti de notre quotidien : commander un billet de train, faire des courses, consulter son compte en banque, envoyer un message…
Pour aller plus loin et reprendre les thèmes développés par le philosophe Stéphane Vial : « […] les appareils numériques ne pouvant être utilisés qu’à l’aide d’interfaces (qu’elles soient volumiques, logicielles, visuelles, tactiles ou gestuelles) la nature de l’expérience opérationnelle qu’ils offrent à l’utilisateur n’est pas de l’ordre mécanique, mais de l’interaction algorithmique » (b).
Tout cela, dans la joyeuse anarchie qui a régné au début d’internet, semblait libre, gratuit et accessible à tous. Cela paraît toujours l’être tant accéder à un service n’est qu’à quelques clics, mais il y a une contrepartie car Internet cherchait son modèle économique. Cette contrepartie est la commercialisation des données personnelles et plus généralement l’analyse de la navigation sur les sites. Notre comportement est donc décrypté, analysé, et encore ne s’agit-il ici que d’internet (b), car demain l’ensemble des objets nous environnant seront eux-mêmes connectés et pourront, par le biais de capteurs, photographier nos propres mouvements. En ce sens le très récent rachat de Nest, start-up californienne connue pour ses thermostats et ses détecteurs de fumée intelligents, par Google est éloquent,  la maison connectée devenant la prochaine étape de la collecte de données.
Ainsi, la facilité d’accès aux services n’a d’égale que les informations que nous laissons de nous-mêmes (c). Certains s’en offusqueront, d’autres diront que cela fait parti du jeu.

Pour autant quel rapport avec une quelconque modification de la perception des choses et des gens ? Comment peut-on se sentir influencé dès lors qu’Internet donne au contraire accès à un savoir que personne n’avait (d) ? Que tout est désormais accessible, et, grâce à l’internet intégré aux téléphones mobiles, en tout lieu (e).
En réalité nous avons oublié que derrière l’empathie générée par le net, en particulier sur les réseaux sociaux, une économie immatérielle se bâtissait et, comme toute économie, celle-ci cherchait son point d’équilibre ; point d’équilibre qu’elle commence à trouver à partir de nos usages sur ses propres services.
Pour autant les récentes affaires d’espionnage avérées nous ont montré à quel point Internet était l’enjeu du savoir et de la surveillance. Les frontières géographiques nous semblent dès lors bien poreuses et  l’on aurait plus à se méfier de sa messagerie e-mails que de la curiosité mal placée d’un voisin.
Néanmoins ce qui reste d’abord problématique, et cela d’autant plus vrai que nous sommes censés vivre en démocratie, c’est la restitution de ce que nous laissons, c’est  l’opacité autour de l’accès à nos propres données, à ce que l’on sait de nous en somme.
Malgré des tentatives comme OPEN PDS, on s’aperçoit désormais, à l’usage, des œillères qui nous sont petit à petit placés sur les écrans-mêmes que nous utilisons : des moteurs de collecte travaillent et nous restituent un monde qui paraît correspondre à nos propres requêtes. Cela est symbolisé parfois par une offre commerciale, parfois par une proposition d’article à lire, délimitant ainsi notre propre investigation, notre propre découverte (f).
C’est en voulant nous faciliter la vie que nous provoquons nos propres limites de perception et le monde n’est plus ce qu’il est mais devient ce que l’on nous recommande par l’analyse de notre propre navigation; nous ne voyons donc plus ce qui se présente à nous comme tel mais comme le résultat d’un algorithme.
Il nous faut dès lors travailler sur des produits, des solutions, des services qui aident concrètement les marques à répondre à leurs impératifs économiques en permettant de comprendre les comportements de leurs consommateurs mais surtout qui les réconcilie avec ceux-ci par un dialogue pertinent en leur laissant l’accès à leurs propres données, nous aurons ainsi atteint un certain degré de maturité dans la relation que peuvent entretenir les marques et les consommateurs.
Dans les attentes de rentabilités pour les uns, de services pour les autres, dans le respect de l’intégrité des données personnelles et surtout dans le respect du regard unique que chacun peut porter sur le monde.

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(a) Dans le livre de Serge Soudoplatoff  Le monde avec Internet  on trouve p.53 une définition d’Internet comme étant un réseau de réseaux, un ensemble de protocoles, et des services.
(b)’L'être et L’écran Stéphane Vial – 2013 – 333 pages – PUF (p.204 pour le passage cité)
(c) Cf à cet effet l’article du Monde du 02/11/2013 « les algorithmes qui nous gouvernent » qui aborde le sujet de la surveillance de nos données sur d’autres canaux tels que les péages par exemple ou de manière plus général l'Internet des objets qui fait référence à une structure dans laquelle tous les biens et objets sont connectés, de telle sorte qu'ils peuvent recevoir de l'information.
(d) Ainsi, on pourrait presque dire que Google avec l’historique de l’ensemble des requêtes et recherches des Français en sait plus sur leur profil psychologique que l’Insee elle-même.
(e) prenons l’exemple de Wikipédia qui permet à chacun de co-construire un savoir commun.
(f) Le terme Mobiquité comme tant d’autres néologismes a fait ainsi son apparition
g) Il serait intéressant de noter d’ailleurs à ce propos l’entrée remarquée à la bourse de New York de la société française Criteo spécialiste du ciblage publicitaire sur Internet le 30 octobre dernier quand La Redoute annonçait dans le même temps 700 suppressions d’emplois.