L’intelligence Artificielle sur les bancs de l’école

L'Intelligence Artificielle fait les gros titres des médias mais les applications qu'elle offre dans le domaine de l'éducation restent méconnus. Bien comprise, cette technologie pourrait modifier de fond en comble notre rapport à l'éducation et individualiser l'enseignement.

L’Intelligence Artificielle surpassera-t-elle l’Homme ? Si la science-fiction a longtemps rêvé sur ce thème, l’actualité semble parfois lui donner raison. Lee Sedol, champion du monde au jeu de go, est battu par Alphago, une machine de Google ; Gary Kasparov, joueur légendaire d’échecs,  s’incline devant Deep Blue, la machine d’IBM, en 1997, et note : « la machine n’a pas calculé, elle a pensé ! » Or, derrière ces faits impressionnants mais anecdotiques, se cachent des applications plus profondes qui peuvent changer notre rapport à l’éducation.

Alors que l’Intelligence Artificielle améliore de manière fulgurante des pans entiers de la société (médecine, transport, entreprise…), les acteurs de l’éducation semblent encore réticents. Pourtant, si un domaine nécessite renouveau et inventivité, c’est bien celui de l’éducation. Car un problème complexe se pose aux pédagogues et réformateurs : comment adapter les cours dans des classes bondées où le niveau des élèves est souvent très hétérogène ? Les petites et grandes réformes s’enchaînent mais le constat est le même : des performances de moins en moins satisfaisantes, des inégalités de plus en plus fortes. Toutefois, depuis le début des années 2010, le mariage entre Intelligence Artificielle et Big Data laisse entrevoir la possibilité d’un nouveau continent pédagogique. Un continent plus si méconnu.

Il n’y a qu’à considérer le cas des Learning Analytics. Les Learning Analytics, c’est le Big Data appliqué à l’éducation. Cette technologie permet de collecter, d’analyser et d’interpréter les traces laissées par les élèves quand ils utilisent leurs appareils. Et plus ces traces seront nombreuses, plus les portraits des élèves seront précis. Les conséquences d’une telle collecte anonymisée (on ne connait pas le nom de l’élève mais juste un numéro qui lui est attribué et préserve son anonymat), sont particulièrement prometteuses. Les Learning Analytics permettront à terme de suivre très précisément le parcours des élèves. L’identification des étudiants en difficulté aura lieu dès les premiers signes, et le professeur saura exactement à quel type d’intervention pédagogique il pourra procéder. Le professeur deviendra alors une sorte de médecin, un médecin des savoirs, possédant des outils puissants qui l’aideront à accomplir sa véritable mission. Moins de tâches chronophages, plus de précision dans la connaissance des élèves : contrairement à ce que l’on pourrait croire, L’Intelligence Artificielle bien comprise ne remplace pas l’humain, elle le remet au centre.

Les Learning Analytics ne sont que la fondation de la pédagogie différenciée. A partir d’eux s’ouvrent des perspectives nouvelles pour l’individualisation de l’enseignement. Quel étudiant n’a jamais rêvé d’avoir un parcours pédagogique spécialement conçu pour lui et adapté à son type d’intelligence, et ne plus devoir se fondre dans un moule qui pourrait le freiner dans ses progrès ? C’est d’ores et déjà possible avec l’adaptative learning, une technologie qui accomplit un tour de force : en s’appuyant sur les données que l’élève laisse au fur et à mesure de son apprentissage, la machine, dotée d’un algorithme plus ou moins complexe, s’adapte en temps réel à son niveau et lui propose un parcours personnalisé. De nombreux services éducatifs américains, que ce soit ceux de Pearson, McGraw-Hill ou Houghton Mifflin Harcourt le proposent déjà, et leurs abonnés ne cessent de croître. L’Adaptative learning est le chemin le plus court et le plus intelligent vers le savoir.

Ces nouvelles technologies n’en sont qu’à leurs balbutiements et demandent encore beaucoup de développement et de réflexion. Il ne faudrait pas y voir une panacée ; la technologie seule ne sauvera pas l’éducation. Pour qu’elle soit véritablement efficace, l’Intelligence Artificielle doit s’accompagner d’une réforme des esprits. Les modèles pédagogiques ancrés depuis des décennies auront du mal à s’accommoder d’un tel bouleversement sans un travail profond sur les mentalités. Démystifier l’Intelligence Artificielle est un premier pas nécessaire, mais non suffisant.

En effet, une autre question se pose avec l’accélération de l’Intelligence Artificielle : celle de la formation des enfants dès le plus jeune âge. L’école du futur ne devra plus gérer les savoirs mais les cerveaux. Grâce aux champs des nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives (NBIC), les chercheurs ont dévoilé les processus biologiques de la connaissance en prenant pour objet tantôt les savoirs eux-mêmes, à travers l'analyse de la mécanique cérébrale de l'apprentissage du langage, de la lecture ou encore du calcul, tantôt les individus apprenants, en étudiant des notions comme l'attention ou encore le rôle cognitif des émotions. Ces avancées considérables dessinent un rapprochement entre spécialistes des sciences cognitives et praticiens de l'éducation qui permettra de mieux cerner les besoins de chaque élève.

Nous avons essayé de répondre à ces problématiques, ainsi qu’à d’autres (financement du système éducatif, apprentissage mobile…) dans le livre  Construire le modèle éducatif du 21ème siècle : les promesses de la digitalisation et les nouvelles méthodes d’apprentissage[1]. Ce livre propose en outre douze mesures concrètes et une méthode pour donner une autre direction à l’école, et un cadre pour que les enfants puissent s’adapter facilement dans le monde de l’après-tsunami numérique.

François-Xavier et Cécile Hussherr  

[1] A paraître le 25 janvier aux éditions FYP http://bit.ly/2iYyMfd