Les CMO, une espèce en voie de disparition

La fonction de CMO a disparu de certains grands groupes et avec elle, une proposition de valeur indispensable à tout groupe : donner de la personnalité, du sens et une mission aux marques.

Les CMO sont-ils en train de vivre leurs dernières heures ? Selon une étude de l’AACC sortie cet été, 40% des étudiants interrogés répondent par l’affirmative à cette question. Pour eux le CMO de demain pourra être remplacé par de l’intelligence artificielle (étude AACC 2019 CMO de demain).

 

Et les faits sont là pour donner raison aux nouvelles générations ! … Combien de CMO ont déjà disparu ? Premier signe : avec le groupe Coca-Cola, pourtant emblématique de la machine marketing, qui a remplacé son CMO parti en 2017 par un Chief Growth Officer. Et d’autres ont suivi : Johnson & Johnson, Taco Bell, le groupe Hyatt, Uber, etc. La tendance se confirme encore récemment avec le prestigieux cabinet de chasse Russel Reynolds qui parle désormais de “Customer Activation and Growth”.  

Ces suppressions sont d’autant plus frappantes que le marketing est depuis son apparition la pierre angulaire de la plupart des stratégies d’entreprises BtoC. Et le directeur marketing, autrefois chef d’orchestre accompagnant, coordonnant et alignant différentes fonctions autour d’un objectif commun, se voit bousculé par l’apparition d’une multitude de métiers, issus des nouvelles technologies. Data scientist, UX manager, CRM expert, growth hacker sont autant de nouvelles fonctions qui interfèrent dans la gestion de la marque. Les nouveaux outils se multiplient, les responsabilités sont éclatées et la fonction se dilue. 

Car ces nouveaux métiers ont un impact fort sur le processus marketing : l’obsession pour les “metrics”. Le crédo de ces nouveaux métiers est l’AARRR (Acquisition, Activation, Retention, Referral, Revenue). Trafic et conversion sont les nouveaux prophètes d’une bible qui ne croit plus qu’aux chiffres, dans une vision court-termiste de la performance… Ainsi le marketeur est devenu growth hacker !  

Or si les indicateurs de performance séduisent les décisionnaires, on se rend compte qu’en matière de performance, ils ont leurs limites. La première limite touche à la différence entre pertinence et efficacité. L’étude de l’AACC sur “le CMO de demain” reporte en effet le cas infructueux d’une campagne Facebook ultra-ciblé pour Febrèze (Procter&Gamble) qui a ciblé si précisément qu’elle n’a pas touché assez de monde ! Par ailleurs, certains effets pervers des outils de ciblage se révèlent dans leur mise en œuvre : l’ultra personnalisation est souvent vécue de manière intrusive par certains consommateurs, générant un rejet et un engagement négatif à l’égard de ces marques envahissantes.  

Autre limite au monolithisme des métriques : la banalisation des expériences utilisateurs. Les métriques créent une “tyrannie de l’average” et de la commoditisation, on voit se multiplier de nouvelles marques sans âme, des univers instagrammables sans personnalité et sans aspérité. Le phénomène est d’ailleurs amplifié en ligne par des solutions web open source et autres formats WordPress standards, à partir desquels certains s’improvisent marketeurs...  

Toutes ces évolutions ont décimé les rangs des CMO et pourtant, les marques n’en ont jamais eu autant besoin !

A l’heure où les nouvelles générations exigent des marques un sens et un rôle sociétal, ce sont les CMO qui sauront le mieux leur répondre. Car ils savent qu’une marque se construit à partir d’un produit et qu’elle dure grâce à sa mission et aux valeurs qu’elle porte. Ce sont eux qui manient le mieux la créativité au bénéfice d’une relation durable avec les clients, qui tient bien du registre de l’émotionnel. Les CMO, une espèce à protéger.

Par Isabelle Constant et Elsa Corbineau