Bertrand Jonquois (Nemo Agency) "La fragmentation des OS va pousser le retour des sites mobile"

Le directeur général de Nemo Agency et rapporteur de la commission "applications mobiles" de la Mobile Marketing Association France prédit un retour en force des sites mobile face aux applications.

JDN. Au travers de l'activité de votre agence, Nemo Agency, et de votre rôle au sein de la Mobile Marketing Association France, quelles tendances observez-vous actuellement dans l'Internet mobile ? 

Bertrand Jonquois. L'une des tendances les plus importantes du moment concerne la montée en puissance de la concurrence face à Apple et son iPhone. Il s'agit d'un phénomène important car il a déjà des conséquences sur la façon dont nous conseillons nos clients pour placer le mobile au cœur de leur stratégie. Android apparaît aujourd'hui comme le concurrent le plus sérieux. Cette montée en puissance est relativement saine car elle redynamise le marché des applications mobiles. Mais elle est encore limitée. 

Pourquoi les concurrents d'Apple ne sont-ils pas plus présents ? 

Parce que l'iPhone a quasiment à lui tout seul suscité un réel engouement pour l'Internet mobile et les applications, à la fois pour le public et les annonceurs. Apple dispose par ailleurs d'une importante longueur d'avance sur ses concurrents, sans parler de la qualité de l'iPhone. Aujourd'hui, très peu d'utilisateurs d'iPhone changent de terminal pour aller à la concurrence. Un autre facteur est que de nombreux décideurs chez les annonceurs sont eux-mêmes équipés d'un iPhone. 

"Cinq OS pour lesquels développer une application, cela coûte cher"

L'iPhone en France représente environ 3 millions d'utilisateurs. Par rapport au parc total des téléphones mobiles en France, c'est finalement peu...

Et c'est déjà beaucoup pour un seul terminal ! Mais il est vrai que "l'iPhone n'est pas le mobile". Une stratégie mobile ne s'arrête pas au développement d'une stratégie pour l'iPhone. Cependant, même avec la multiplicité des terminaux Android, nous ne constatons toujours pas de volumes suffisants pour parler d'une réelle concurrence de l'iPhone, qui continue de tirer le marché. 

La fragmentation du marché des OS mobiles complique-t-elle la mise en œuvre d'une stratégie mobile pour vos clients ? 

D'une certaine manière oui, même si c'est ce qui fait l'intérêt du rôle de conseil d'une agence de marketing mobile. Le principal problème est économique. Cela coûte cher de développer une même application sur cinq OS. L'une des réponses que nous apportons est de développer une à deux applications mobile et de compléter par un site qui permette d'avoir une couverture plus large de l'ensemble des utilisateurs du Web mobile. Néanmoins, beaucoup d'annonceurs se contentent de leur première application, sur iPhone bien sûr, et imaginent qu'elle leur suffit. 

Le site Internet mobile est-il la réponse à cette fragmentation du marché ? 

Il est en effet une réponse rationnelle à la fragmentation du marché des OS mobiles. Le problème est que l'usage des consommateurs est aujourd'hui majoritairement tourné vers les applications. Nous devons donc accompagner les annonceurs dans ce sens. N'oublions pas non plus que l'application permet d'accéder aux couches profondes du téléphones, pour utiliser l'appareil photo ou les fonctions GPS par exemple, ce que ne permet pas un site mobile. 

Cela étant dit, il est probable que l'usage des sites mobile s'intensifie à mesure que le browsing prendra plus de place. Il n'y a aucune raison pour que le surf ne se développe pas aussi sur mobile. 

"Android est davantage taillé pour le surf"

La maturité des annonceurs et des utilisateurs va-t-elle pousser les sites Internet mobile ? 

C'est probable. Nous sommes dans une logique de balancier. Aujourd'hui, le marché est orienté vers les applications. Il est fort probable que le balancier se rééquilibre un peu entre sites et applications. Cela me semble logique. Les moteurs de recherche seront les premiers à pousser cet usage du site mobile. De ce point de vue, les usages sur mobile vont se rapprocher de ceux du Web. 

L'usage des moteurs de recherche est encore peu développé sur mobile. Pourquoi ? 

Prenez l'exemple de la brève histoire du Web. L'usage des moteurs de recherche s'est intensifié lorsque les internautes sont sortis des fameux murs installés par certains FAI comme AOL ou Wanadoo. A l'époque, l'internaute évoluait dans un environnement fermé. Ce qu'ont apporté les moteurs de recherche, c'est l'ouverture sur le Web, qui est aujourd'hui la norme. C'est en partie grâce à eux que se sont développés les blogs ou l'e-commerce. Il est intéressant d'observer que le mobinaute est aujourd'hui enfermé dans un App Store, qui reste un environnement rassurant et sécurisé. Apple n'arrête d'ailleurs pas de vanter le côté protecteur de son environnement, dans lequel sont bannis les contenus pour adultes ou violents. C'est exactement ce dont AOL se vantait il y a dix ans. 

Google peut-il apporter plus d'ouverture sur le mobile aussi ? 

Probablement. L'environnement Android est davantage taillé pour le surf. Le Web mobile façon browsing est un Web mobile plus ouvert. Il n'y a donc aucune raison que les mêmes utilisateurs qui n'imagineraient plus être limités à un environnement fermé sur le Web fixe refusent éternellement un système plus ouvert sur mobile. La "longue traîne" de sites Web ne pourra d'ailleurs exister sur mobile que par le browsing. D'une certaine manière, la fragmentation des OS va pousser le retour des sites Web mobile. 

"Tous les systèmes d'exploitation mobile ne dureront pas"

Le succès de l'iPhone repose pourtant sur les applications et cet univers fermé dans lequel évolue l'utilisateur. Ce succès pourrait-il se transformer en échec pour Apple ? 

Difficile à dire. Mais il est probable que les gens se lasseront un jour de cet environnement. La vraie question est à quelle échéance ? Historiquement, Apple a déjà perdu une bataille similaire sur le marché des systèmes d'exploitation des ordinateurs personnels, bien qu'il ait pendant longtemps dicté la tendance à son rival, Microsoft. L'univers fermé de Mac a certainement fait le succès de Windows, qui était compatible avec tous les PC. Le parallèle avec le mobile est évident. Sauf que pour l'instant, c'est Google qui est à la place de Microsoft. Cette stratégie de Google est peu visible du grand public, mais elle reste très menaçante pour Apple. 

Beaucoup d'acteurs ont aujourd'hui envie de reproduire le succès qu'a connu l'iPhone grâce à son OS, mais combien peuvent y arriver ?

Je pense que tous les systèmes d'exploitation ne dureront pas. Il me paraît assez évident qu'il n'y aura pas demain un OS et une marketplace d'applications par fabricant de téléphones. Android et Windows Mobile en sont les preuves. Il y aura donc certainement des rapprochements, forcés ou non, pour les autres. Je doute que Nokia avec Symbian ou Samsung avec Bada puissent continuer longtemps à être les seuls à utiliser leur OS. Le marché des OS et des applications mobiles ne restera pas éternellement figé. 

Bertrand Jonquois est directeur général de l'agence de marketing mobile Nemo Agency et rapporteur de la commission sur les applications mobiles de la Mobile Marketing Association France (MMA). Ancien directeur commercial de Wanadoo entre 2000 et 2002, Bertrand Jonquois a débuté sa carrière comme directeur de clientèle à Europe 1 en 1989 avant de devenir directeur de la publicité adjoint chez JC Decaux en 1996. Il était ensuite passé chez France Télévisions Publicité comme directeur de la publicité. Avant de rejoindre Nemo Agency, il occupait le poste de directeur exécutif France de Yahoo Search Marketing, le réseau de liens sponsorisés du portail.