L'IoT, clé de voûte de la lutte anti-contrebande

D’après un rapport de l’OCDE publié en 2016, la contrefaçon représente 2,5 % des biens importés dans le monde. Comment inverser la tendance ? La réponse pourrait bien tenir en un mot : l’IoT.

C’est devenu un marronnier comme il en existe tant d’autres : la contrebande n’en finit plus de gangréner le globe, avec plus ou moins d’appétit selon les régions. Les conséquences sont connues depuis longtemps : les secteurs industriels touchés, dans un premier temps, en pâtissent, avant que l’économie globale et, enfin, la population n’en souffrent. De plus en plus, le fossé se creuse entre revenus illicites et moyens mis en œuvre pour traquer leurs sources. Pas évident, dans ces conditions, d’inverser la courbe du marché noir. D’autant qu’il semble toucher de plus en plus de produits.

L’Amérique latine est l’un de ses foyers bien connus sur la planète. Au Brésil, la pratique a engendré en 2016 des pertes de 130 milliards de réals (41,5 milliards de dollars), dans le secteur du textile surtout, renseignait en mars dernier une étude menée par l’Institut brésilien d’éthique concurrentielle et le Forum national contre la piraterie et l’illégalité. Mais ce ne sont pas les seuls marchés touchés. Au mois de mai, un sondage réalisé en Amérique du Sud par le numéro un français de l'industrie pharmaceutique, Sanofi, indiquait que près de 60 % des personnes interrogées associaient la contrefaçon aux médicaments. Et ce à juste titre : le trafic de fausses pilules, depuis quelques années, a tendance à concurrencer sérieusement le commerce des stupéfiants.

L’Europe n’est pas épargnée par la hausse de la contrefaçon. Un secteur, en particulier, en fait les frais : celui des pesticides. Une étude publiée en février dernier par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) alertait sur les pertes abyssales que cette contrebande très spécifique causait aux entreprises européennes. Chaque année, les fabricants attitrés des 28 Etats membres voient ainsi 1,3 milliard d’euros se volatiliser à cause de la vente de produits chimiques contrefaits. En d’autres termes, ce marché noir porte préjudice à quelque 600 entreprises — pour deux tiers d’entre elles des PME —, qui emploient un peu plus de 25 000 travailleurs, alors qu’elles pourraient en embaucher près de 3 000 en plus.

Lutter contre ces pratiques illégales est bien moins évident qu’il n’y paraît. Au Brésil, par exemple, l’étude menée par l’Institut brésilien d’éthique concurrentielle note que la hausse de 13 % de la contrebande a été causée par "l’augmentation des impôts, la crise économique et la fragilité des frontières". Une logique vicieuse et, semble-t-il, implacable, car pour enrayer la mécanique de la contrefaçon il faut des moyens ; or la fiscalité ne peut être revue à la hausse puisque cette action est en partie la cause des pratiques illicites. La peine est double, puisque dans les secteurs productifs les plus touchés — comme le tabac et le textile —, l’évasion fiscale creuse un peu plus les pertes.

Sur le marché du médicament de contrebande, la lutte paraît également très inégale. Si, en moyenne, un produit sur dix vendu dans le monde est illicite, ce taux semble dépendre en partie de l’importance des peines de prison encourues. En France, elles varient ainsi de cinq à sept ans alors que, dans d’autres pays comme le Sénégal, elles s’étalent de six à soixante jours. Un laxisme qui, d’après Interpol, entraîne en Afrique la recrudescence des ventes de contrefaçons — plus de 30 %. En Amérique du Sud, où le chiffre atteint plus de trois produits vendus sur dix, le travail répressif souffre du manque de contrôle des circuits de distribution et, depuis peu, du développement d’Internet.

Amazon, Sicpa, Unisys : l’innovation au cœur de la lutte anti-contrebande

Car le Web, qui permet à tout un chacun d’échanger, de se documenter ou de partager, peut également servir à faciliter des pratiques moins avouables comme la contrebande. Les adeptes du marché noir l’ont rapidement compris en se tournant vers les nouvelles technologies ; la répression doit donc à son tour répondre par l’innovation. Aujourd’hui, le contrôle sur la chaîne de valeur qui permet à la contrefaçon d’exister n’est pas global. Il y a des zones d’ombres qui empêchent d’avoir une visibilité intégrale et de lutter efficacement contre ces pratiques. Au contraire, l’innovation — et sa branche Internet des Objets — peut améliorer les aspects de la communication humains/produits, grâce au suivi (traçabilité) et à l’authentification (signature unique) de ces derniers. En d’autres termes, elle permet à la répression d’avoir un coup d’avance, en contrôlant des moyens que les trafiquants n’ont pas.

A tout seigneur tout honneur : parce qu’il permet d’acheter des millions de produits en quelques clics seulement, le site de vente en ligne Amazon est sans doute l’un des plus concernés par la contrebande. L’an dernier, la direction a ainsi voulu renforcer sa politique anti-contrefaçon en lançant le programme Brand Central, censé aider les petits vendeurs à protéger leur marque notamment via un processus de vérification de l’identité des vendeurs. Jusqu’à présent, il leur incombait de traquer les copies de leurs produits vendues sur les marketplaces et de les faire remonter au numéro un mondial du e-commerce. Une meilleure prise en compte de la propriété intellectuelle dans la lutte anti-contrebande, à l’heure du tout Web, semblait primordiale.

Autres secteurs, autres techniques. Au Brésil, par exemple, les autorités ont fait appel, à la fin des années 2000, aux programmes SCORPIOS et SICOBE de SICPA, une entreprise spécialisée dans la production d’encre sécurisée - utilisée pour l’impression des billets de banque -, et de timbres fiscaux destinés à renforcer la traçabilité des produits (paquets de cigarettes, boissons, etc.) Ces timbres contiennent des identifiants uniques stockés dans des bases de données gouvernementales, permettant ainsi aux autorités de lutter contre la contrebande. Autre outil qui pourrait cette fois-ci réduire la contrebande sur le marché du médicament : l’analyse prédictive. PharmaTrack, le dernier outil d’Unisys, spécialiste de l’informatique et de la biométrie, permet en effet d’analyser les données et la conformité légale d’un produit pour assurer aux sociétés une meilleure visibilité de leur chaîne logistique. Et renforcer, in fine, la sécurité des patients.

Le secteur agroalimentaire fait également appel à l’innovation pour résoudre la problématique contrebande, qui atteint des records en Europe. De plus en plus de producteurs choisissent de recourir à des technologies toujours plus sophistiquées, comme les marqueurs à base d’ADN de synthèse ou encore les puces électroniques pour protéger les bouteilles de vin. Car au-delà des pertes économiques dont souffrent ces producteurs, la contrefaçon de produits alimentaires expose le consommateur à d’importants risques sanitaires : les produits contrefaits ne sont soumis à aucune norme sanitaire et contiennent bien souvent des produits toxiques (moisissures cancérigènes, traces de mercure, colorants interdits, etc.).

Reste aux Etats à accompagner financièrement les entreprises qui voudraient marier innovation et lutte anti-contrefaçon. Car cette association a évidemment un coût. Celui-ci pourrait pourtant ne représenter qu’un simpleinvestissement pour les acteurs publics, qui retrouveraient leurs mises sous forme de rentrées fiscales. Le début d’un cercle vertueux, en d’autres termes.