Rafi Haladjian (Juice) "Demain, grâce à l'IoT, l'information nous sera soufflée à partir de toutes sortes de devices"

L'entrepreneur a lancé une application audio, destinée à se baser sur les objets connectés pour informer les utilisateurs, qu'elle que soit l'activité qu'ils sont en train de faire.

Rafi Haladjian, cofondateur de Juice. © Copyright: Benjamin Boccas

JDN. Votre nouvelle application Juice a été lancée en juillet dernier. Comment s'intègre-t-elle dans le secteur de l'IoT ?

Rafi Haladjian. Juice est une application audio destinée à délivrer du contenu personnalisé à l'utilisateur, parmi des actualités, de la musique et des podcasts. C'est une première étape dans le monde de l'après-IoT, auquel j'ai donné le nom de postweb. L'idée : que l'information nous parvienne en se superposant à ce que l'on est en train de faire. Car jusqu'à présent, quand on veut de l'information, on doit généralement regarder un écran. Avec le postweb, nous n'aurons plus besoin de stopper notre activité pour recourir à une interface. On a tendance à limiter cette possibilité à la réalité augmentée, mais c'est une vision réductrice du concept, qui est en réalité bien plus vaste. Aujourd'hui, ce rôle est joué par les enceintes connectées, on peut recueillir grâce à elles des informations à la voix en faisant autre chose. Demain, grâce à l'IoT, l'information nous sera soufflée à partir de toutes sortes de devices.

Pourquoi avoir choisi de débuter par l'audio et les écouteurs connectés ?

Les écouteurs connectés ont amené une transformation des habitudes : entre la suppression du fil et le mode transparent qui ne nous isole pas du bruit ambiant, les utilisateurs oublient qu'ils portent leurs écouteurs et les gardent aux oreilles toute la journée. Les écouteurs s'ancrent dans les usages et il est possible de communiquer des messages à l'oreille des utilisateurs de manière naturelle. C'est la raison pour laquelle nous avons développé une application audio gratuite pour les utilisateurs avec de la publicité, disponible sur l'App Store et le Play Store (des abonnements premium sans publicité seront proposés, ndlr). Nous aimerions discuter avec des fabricants d'écouteurs connectés car Juice est conçue pour ces produits. Nous avons enregistré un peu moins de 10 000 téléchargements depuis le pré-lancement en juillet dernier et nous visons 35 000 utilisateurs d'ici la fin de l'année. Je considère toutefois que ce serait une erreur de cantonner le post-web à un seul device. Ce n'est donc qu'une première étape.

Comment parvenir concrètement au post-web ?

Il faut transformer la manière dont on a l'habitude d'obtenir de l'information. Les technologies existent – les enceintes connectées, le metaverse de Facebook, la réalité augmentée – et rendent le concept possible. Mais il faut développer l'intelligence artificielle pour créer de la pertinence, c'est-à-dire donner la bonne info au bon moment, dans un format qui n'est ni intrusif ni agaçant, avec lequel l'utilisateur peut vivre. Délivrer de l'information contextuelle est le plus difficile mais cela s'apprend. Il n'y aura pas un événement marquant qui déclenchera le début du futur. Je le répète, il ne faut pas penser que les lunettes de réalité augmentée seront l'unique successeur de l'IPhone.

L'IoT sera le support de cette démarche. Vous avez créé le premier objet connecté avec le lapin Nabaztag et assisté à l'essor de la technologie. Comment évolue le marché ?

Le marché poursuit son développement mais pas à la vitesse que nous avions imaginée. Il y a eu une première période de prosélytisme, au début des années 2000, au cours de laquelle j'ai créé le lapin Nabaztag. Puis il y a eu une deuxième phase dans les années 2010, où nous avons assisté à une explosion des projets. Les objets connectés étaient alors considérés comme des objets particuliers et présents dans tous les rayons. Il y avait des chaînes de magasin dédiées. C'était absurde car la connectivité n'est pas une caractéristique en soi. Au final, cela a été une période artificielle mais la plupart de ces objets connectés, même s'ils constituaient de bons cadeaux de Noël, étaient inutiles. C'est la raison pour laquelle je me suis éloigné de l'IoT en 2017 avec le sentiment que notre vision de 2003 – celle d'un monde avec une connexion globale – n'était pas arrivée. Nous sommes actuellement dans un troisième moment, qui est une période de banalisation. La connectivité n'est plus mise en avant en tant que telle, elle s'ajoute nativement à des produits qui gardent leur prix et leur fonction première, tout en étant capables d'apporter une couche de services additionnels.

Quels sont les freins dans le secteur ?

Il s'agit du même frein que celui auquel j'ai été confronté avec l'entreprise Sen.se. Nous avons créé les Peanuts avec l'ambition de rendre l'IoT mainstream. C'étaient des objets peu chers – à moins de 15 euros – vendus à l'endroit où le besoin se faisait sentir. Par exemple, dans une pharmacie avec pour rôle d'alerter l'utilisateur afin qu'il n'oublie pas de prendre ses médicaments. Le problème, c'est que les acteurs des circuits de distribution spécialisés ont l'habitude de réaliser des marges, ce que ne permet pas un objet connecté peu cher. Distribuer l'IoT ne les intéresse donc pas. C'est tout le problème de l'IoT. Ce n'est pas la technologie, qui fonctionne très bien, qui est en cause mais la distribution. Pour que la technologie pénètre sur le marché, auprès des consommateurs, il faut qu'elle soit peu chère, ce qui n'intéresse pas les grossistes en électronique. Tant que l'on ne réinvente pas le modèle de distribution des produits, ce problème subsistera.

Multi-entrepreneur, pionnier du minitel, de l'audiotel, de l'Internet, de l'Internet mobile et de l'Internet des objets, Rafi Haladjian est président et cofondateur de Juice. Il a notamment fondé la toute première entreprise de l'Internet français et a cocréé Nabaztag, le lapin communicant, précurseur des assistants vocaux et des enceintes connectées.