Jeremy Prince (Sigfox) "Neuf candidats se sont positionnés pour le rachat de Sigfox"

Le PDG de Sigfox s'exprime pour la première fois depuis l'annonce du placement en redressement judiciaire de l'opérateur IoT le 26 janvier dernier. Rassuré sur la pérennité de ce dernier, il détaille au JDN les dossiers reçus.

Jeremy Prince, PDG de Sigfox. © Sigfox

JDN. Vous prenez la parole pour la première fois depuis l'annonce du placement en redressement judiciaire. Pour quelles raisons n'avez-vous pas communiqué sur le devenir de Sigfox ?

Jeremy Prince. Sigfox a connu dans son histoire une période de sur-communication, je voulais opérer une rupture à ce niveau et ne parler qu'au moment opportun. Je me suis concentré dans un premier temps à expliquer la situation aux représentants du personnel, les salariés, les opérateurs Sigfox, etc., et à rassurer sur la technologie et la pérennité de l'entreprise. Je me suis senti soutenu et je tiens à remercier les salariés et l'écosystème pour leur réaction positive.

"La crise sanitaire et la pénurie de composants nous ont causé plusieurs millions d'euros de pertes en 2021"

Cela fait un an que vous êtes à la tête de Sigfox. Quel bilan faites-vous de cette année ? Etait-ce trop tard pour redresser la situation de l'entreprise ?

Je savais en arrivant que la mission serait compliquée et qu'il faudrait trouver une solution pour pérenniser Sigfox. Car le modèle économique de l'entreprise a été pensé dès le début pour être adapté à de l'IoT massif. Or, le décollage de l'IoT n'a pas eu lieu au moment annoncé, même si je ne doute pas que les volumes à venir seront conséquents. J'ai d'abord essayé de redresser la situation en travaillant sur une levée de fonds. Nous avons manqué de temps, la crise sanitaire et la pénurie de composants nous ont causé plusieurs millions d'euros de pertes en 2021, tout comme le non-encaissement de commandes de clients dans les délais. Ces difficultés additionnées, la dette s'est alourdie et j'ai préféré, au lieu de demandes des financements supplémentaires, prendre mes responsabilités et placer Sigfox en redressement judiciaire.

Les repreneurs intéressés avaient jusqu'au vendredi 25 février pour déposer une offre. Combien de dossiers avez-vous obtenus et qui sont les candidats à la reprise ?

Nous avons neuf dossiers, dont sept qui se proposent de reprendre à la fois Sigfox Corporation, qui détient la technologie, le cloud, les salariés, et Sigfox SAS, c'est-à-dire l'opérateur en France. Ces repreneurs sont :

  • Actility, fournisseur français de services réseau IoT (pour la partie Corporation uniquement, ndlr) ;
  • Buffet Investment Services Consortium, un fonds d'investissement sud-africain (pour la partie Corporation uniquement, ndlr) ;
  • Greybull Capital LLP, un fonds d'investissement anglo-saxon ;
  • Heliot Europe Gmbh, opérateur Sigfox en Europe centrale ;
  • Iwire Innovation Management Ltd, opérateur Sigfox au Moyen-Orient ;
  • Oteis France, groupe français de conseil & ingénierie du bâtiment, de l'eau, de l'environnement et des infrastructures ;
  • Sentiens, société française de conseil en systèmes et logiciels informatiques (cofondé en 2021 par Ludovic le Moan, ancien PDG de Sigfox, ndlr) ;
  • UnaBiz, opérateur Sigfox en Asie ;
  • Groupe Zekat, groupe français qui conçoit et produit des solutions de hautes technologies.

Bénéficier de neuf dossiers est un signal très encourageant, avec des entreprises qui connaissent bien le monde de l'IoT, elles savent de quoi elles parlent. La présence d'Actility, acteur de la technologie LoRa, valide notre message depuis un an selon lequel l'IoT n'est pas un marché où une seule technologie dominera et qu'il y a intérêt à les combiner. La plateforme Sigfox aurait la capacité de gérer plusieurs connectivités. Je suis rassuré par ces offres, c'est un bon départ.

"Le calendrier sera fixé par le tribunal mais le résultat devrait être annoncé au deuxième trimestre."

Quelle est la suite de la procédure ?

Chaque candidat va présenter son offre. Des discussions vont ensuite s'engager avec les administrateurs, les dirigeants, moi-même pour la partie Corporation et Patrick Cason pour Sigfox SAS, et les représentants des salariés pour peaufiner les offres jusqu'à leur version définitive afin d'aboutir à la meilleure solution possible pour l'entreprise. Le calendrier sera fixé par le tribunal mais le résultat devrait être annoncé au deuxième trimestre.

Qu'en est-il du réseau américain, très dépendant des financements français ? Va-t-il être arrêté ?

Les autres filiales de Sigfox ne sont pas en redressement judiciaire, elles poursuivent leurs activités normalement. Le repreneur de Sigfox Corporation aura deux options : soit il reprendra l'ensemble des filiales en l'état, avec leurs contrats et dettes en cours, soit il les revendra. Nous avions un doute sur le fait que Sigfox US soit repris, nous avons préféré anticiper au niveau des salariés.  Aujourd'hui, il reste extrêmement peu de salariés aux Etats-Unis. L'erreur qu'on a faite a été de déployer le réseau comme on l'a fait en Belgique ou en France. Or, la taille du territoire n'est pas la même, le coût non plus. Pour relancer l'activité là-bas, il faudrait selon moi avoir une approche centrée sur les clients pour déployer un réseau autour de leurs sites et leurs besoins. Les clients que nous avons utilisent les stations que nous leur avons fournies plutôt que le réseau public.

Quelle est votre vision pour le futur de Sigfox ?

Ma vision n'est pas pertinente car tout dépendra du repreneur mais Sigfox est la meilleure technologie sur le low power. Sigfox affirme sa valeur sur les usages liés au tracking et au monitoring, deux activités demandées. Les signaux passent au vert et le marché semble enfin décoller. Sigfox a 19,5 millions d'objets connectés actifs d'enregistrés, dont 3,5 millions en France. Nous enregistrons une progression annuelle comprise entre 30 à 40% d'objets connectés activés supplémentaires. Sigfox rencontre une belle dynamique sur le marché.

Diplômé de Sciences Po Toulouse, filière Economie et Finance, et titulaire d'un 3ème cycle en droit international, Jeremy Prince a démarré sa carrière dans un groupe de presse avant de rejoindre l'univers du numérique, tout d'abord Internet puis mobile. Il a participé avec succès aux entrées en bourse d'Index Multimédia et SeLoger.com avant de rejoindre le groupe M6. En mars 2019, il a été nommé président de Sigfox US et a rejoint les équipes aux Etats-Unis. Il devient CEO de Sigfox en février 2021.