Don Quichotte et les MP3

En fermant le site Megaupload, Washington a lancé une action pour une soi-disant protection de la création artistique contre ces « pirates » qui téléchargent en masse via le Net. Mais qui protège-t-on au final ? Une chaîne de valeur moribonde qui refuse de regarder la réalité en face.

En matière de musique, la création s’épanouissait bien avant que l’industrie du disque ne se régale. La création lui survivra. Mais, évidemment, certains retours en arrière ne vont pas plaire à tout le monde…
Posons déjà la problématique.
On nous dit que le téléchargement illégal en masse est le responsable d’une étourdissante baisse annuelle du chiffre d’affaires de la vente d’œuvres musicales, tous supports confondus. C’est regarder le marché par le « petit bout de la lorgnette ». Le mal est, malheureusement, bien plus profond que cela. Le consommateur est aujourd’hui en opposition de phase par rapport au marché existant. On cherche encore à lui vendre des « titres » et des « albums » alors que la dématérialisation des œuvres, la démocratisation des terminaux de lecture et la multiplication des canaux de diffusion ont fait évoluer en profondeur ses usages en matière de consommation musicale. On zappe, on indexe, on passe, on like, on sample, on ring, … On ne collectionne plus ses vinyles dans un bac, ni ses galettes dans un range CDs. On consomme en masse. On écoute en toute liberté. La discothèque est morte, vive le Cloud !

Quand, pour gagner « plus », on veut faire consommer « moins »
Ainsi, le consommateur, qui achetait, en moyenne, un peu moins d’un album par mois, ne trouve pas dans le modèle de la vente au titre et à l’album une réponse pertinente à son besoin. Il attend un accès simple, complet et permanent à l’ensemble des catalogues existants. L’industrie pensait que, du fait de la nouvelle accessibilité de l’offre,  le montant moyen qu’il était prêt à dépenser sur une année allait augmenter. Grave erreur ! Car en cherchant à le forcer à payer proportionnellement à sa consommation, on l’a forcé à se reporter sur des modèles, gratuits, mais surtout adaptés à son nouveau mode de consommation. A l’inverse, en cherchant simplement à préserver le budget mensuel moyen dépensé par les consommateurs, on aurait accompagné en douceur le marché vers son nouveau modèle. L’industrie a ainsi scié la branche sur laquelle elle était assise, en faisant d’un simple « manque à gagner » le vecteur principal de l’attrition de son marché. Elle s’est trompée de combat. C’était le modèle économique même qui aurait dû être transformé. Elle perd son temps à courir après les mauvais coupables… Pour autant, cela n’excuse en rien les internautes qui téléchargent illégalement.

La musique n’est plus un « bien de consommation »
La situation provoquée par ce décalage entre offre et demande est en fait bien plus grave. Arrêtez un adolescent dans la rue. Demandez-lui à combien il estime le prix d’une œuvre musicale. Il vous répondra vraisemblablement : « zéro ». A force de l’avoir incité à télécharger gratuitement du fait d’un modèle de consommation inadapté, aujourd’hui, dans son esprit, la musique n’est plus « monétisable ». Pas parce qu’il peut la « voler » sur Internet. Parce qu’avant tout il considère qu’elle n’est plus un bien de consommation. Le produit qu’il est prêt à acheter c’est l’accès à un catalogue, pas son contenu. Où l’on reparle de la fameuse « licence globale ». Même si cela pose à l’évidence le problème du modèle de rétribution des créateurs et autres ayant droit qu’il faudra bien solutionner.

En dix ans, l’industrie a creusé sa propre tombe
Il est intéressant de voir la façon dont tous les acteurs se sont évertués à tuer la « poule aux œufs d’or » en cherchant à la défendre ! Déjà en 2001, l’industrie du disque obtient la fermeture de Napster et croit avoir circonscrit l’incendie. Quand en 2007, Denis Olivennes lance la commission éponyme, il sait, avant même d’entamer les travaux, qu’elle se doit de proposer un renforcement des sanctions contre les « pirates ». En sa qualité de Président de la FNAC, il défend le modèle, pourtant dépassé, de distribution traditionnelle de la musique au lieu de proposer d’en inventer un nouveau. Puis, fin 2009, c’est HADOPI. Avec elle, c’est encore une fois « reculer pour mieux sauter ». Une simple bulle d’air dans une chambre à gaz. Alors que la solution qui s’impose serait de sortir de la dite chambre !
Pourtant, entre temps, la Commission ATTALI a bien mesuré le caractère inéluctable de la démonétisation de la musique. Jacques ATTALI et ses « sages » prônaient la gratuité du téléchargement en échange de la mise en place d’une rémunération versée par les fournisseurs d’accès qui pourraient être les diffuseurs de demain. Quels que soient les diffuseurs et le modèle de rémunération mis en place, l’accès illimité à l’ensemble des catalogues apparaissait enfin comme la seule réponse pertinente. Les distributeurs pouvaient y trouver leur place. A la condition de prendre le taureau par les cornes et de ne pas laisser d’autres préparer et s’emparer du terrain. Le risque lié à la démonétisation de la musique impose de révolutionner les modèles existants. La dématérialisation provoque ainsi le passage de la notion de « chaine de valeur » à celle d’un « réseau de valeur » que le consommateur final ne rémunèrera qu’en partie car il en est dorénavant un des principaux acteurs.

Le consommateur, cette « victime collatérale »
La fermeture de Megaupload n’est qu’un coup d’épée dans l’eau de plus. Le téléchargement illégal en mode « peer to peer » avait sensiblement diminué au profit de ces nouveaux moyens. D’autres moyens seront créés par ceux qui veulent continuer à télécharger en masse si le marché « officiel » ne leur propose pas une solution pertinente et viable. Et si demain les mp3 s’échangeaient au travers de réseaux décentralisés ? Et si les moyens mis en œuvre utilisaient l’e-mail, que ferait-on pour en interdire l’échange ? Ira-t-on jusqu’à analyser le contenu de tous les e-mails échangés ? Les e-mails ne sont-ils pas assimilés à du courrier privé ? Pauvre consommateur, victime malgré lui d’une guerre qui, comme Don Quichotte face à ses moulins à vent, se trompe de cible et met en place, en autres, un arsenal de lois et de moyens, liberticides par bien des aspects ! Une prise de conscience des véritables combats à mener est d’autant plus urgente que, potentiellement, deux autres secteurs se rapprochent dangereusement du bord du gouffre : le cinéma et le livre. Megaupload et consorts étant d’ailleurs bien plus connus pour le téléchargement de vidéos que de musique…

PS : Au fait, Monsieur ATTALI, puisque cela pourrait être d’actualité, pourriez-vous nous écrire la constitution de notre future VIème République, s’il-vous-plait ? Je suis certain qu’on la qualifierait alors de « pragmatocratie »…