Le projet de loi sur le .FR : une occasion "ratée"

Mission a été donnée au législateur de fixer les règles relatives à l’attribution des codes pays du territoire national, à leur renouvellement, à leur refus et à leur retrait. C’est un texte toutefois bien flou et incomplet qui a été soumis au vote des parlementaires.

Le Parlement a voté, le 9 mars 2011, le texte destiné à devenir la loi française sur les codes pays du territoire national (Projet de loi n° 3183 de l'Assemblée Nationale et n° 319 du Sénat, articles 11 bis à 13 bis).

Mission a, en effet, été donnée au législateur de fixer, pour le 1er juillet 2011, les règles relatives à l'attribution des codes pays du territoire national, à leur renouvellement, à leur refus et à leur retrait. A ce jour, le .fr est le plus significatif de ces codes pays, en nombre d'enregistrements et en tant que code national fédérateur.
La Commission mixte paritaire avait proposé un texte, qui a eu pour vocation de répondre à la censure du Conseil constitutionnel (décision n° 2010-45 QPC du 6/10/2010), qui a abrogé le dispositif législatif et réglementaire français en la matière, au motif qu'il affecte la liberté d'expression et la liberté d'entreprendre et qu'il appartient au législateur de définir le statut du nom de domaine.

C'est un texte toutefois bien flou et incomplet qui a été soumis au vote des parlementaires.

Le .fr: un enjeu national
L'importance de l'Internet et des noms de domaine a été clairement reconnuepar le Conseil Constitutionnel. Le .fr est au coeur de l'Internet dédié à la France. Aussi est-il indispensable de favoriser le dynamisme de cette zone de l'Internet, extraordinaire levier de croissance, en favorisant sa diversité, mais aussi sa cohérence et sa fiabilité, dans le respect de la liberté d'entreprendre, de la liberté de communication et des droits de propriété intellectuelle. Liberté ne signifie pas absence de réglementation, mais organisation équilibrée et cohérente, permettant d'anticiper et de prévoir pour mieux construire.

Le texte voté montre que l'occasion de construire les bases d'un droit des noms de domaine cohérent en France n'a pas été saisie et que les conséquences risquent d'être lourdes, pour le .fr, pour l'avenir de la «zone de confiance» que le .fr a eu l'ambition de créer sur l'Internet et aussi pour la cohérence du régime de protection des droits, sans discrimination entre droits de propriété intellectuelle et autres droits.
 
Un projet incomplet et non conforme à notre droit de la propriété intellectuelle
Trois difficultés sont notamment à relever parmi les critiques que soulève le texte élaboré par la Commission mixte paritaire. Elles concernent la définition des droits pouvant être opposés à un nom de domaine en .fr, pour demander sa radiation, son transfert ou son interdiction, le lien entre ce texte et le droit des marques et enfin la procédure de règlement de litiges.

Les droits pouvant être opposés à un nom de domaine pour refuser son enregistrement, demander sa suppression ou ordonner son transfert seront les «droits garantis par la loi» et les «droits de propriété intellectuelle ou de la personnalité». Les droits de propriété intellectuelle sont les droits régis par le Code de la propriété intellectuelle : marque, droit d'auteur, appellations d'origine, ce qui exclut les dénominations sociales, enseignes et noms de domaine. Ces droits ne sont pas non plus «garantis par la loi», mais reconnus par le droit national, en vertu de la jurisprudence. De nombreux titulaires de droits ne pourront donc pas se défendre face à un nom de domaine en .fr, tandis qu'ils pourront le faire à l'encontre d'un.com ou d'un. eu. Ce qui laisse craindre une perte progressive de visibilité, de confiance et la désaffection pour le .fr, qui représente pourtant notre zone nationale sur l'Internet.

Le texte voté crée une exception «d'intérêt légitime» et de «bonne foi» au bénéfice du titulaire mis en cause. En cas de litige entre une marque et un nom de domaine en .fr, cela aboutira à créer une exception au délit de contrefaçon de marque, exception qui a sa place dans l'article L. 713-6 du Code de la Propriété Intellectuelle. Cette disposition affecte donc le droit des marques, qui est pourtant d'ordre public. La simple logique devrait conduire à modifier le texte concerné, d'autant plus que ce texte est la transposition de la directive n° 89/104 du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, dont l'article 6 est précisément à la «limitation des effets de la marque» (voir la Tribune «Nouvelle loi sur le .FR: du difficile équilibre entre droit des marques et droit des noms de domaine, M E Haas, JduNet du 4/1/2011).

Quelles limites aux pouvoirs de l'Office d'enregistrement en cas de litige sur un.fr?

Le futur article L. 45-6 sur le mode de règlement des litiges en vue de la suppression ou du transfert du nom de domaine enregistré en violation des règles du futur article L. 45-2 désigne l'Office d'enregistrement, soit à ce jour et pour le .fr , l'Association française pour le nommage Internet en coopération (AFNIC), pour statuer.

La mission clairement attribuée au juge judiciaire est d'être saisi en cas de recours contre une décision de l'Office, sur demande de l'une des parties, sans qu'il soit précisé sur quels fondements la décision pourra être critiquée. Le texte exclut apparemment la possibilité de saisir les tribunaux d'une demande de suppression, de radiation ou de transfert, sans demande préalable à l'Office. Ce n'est qu'en cas de recours contre une décision de l'Office qu'ils seront clairement appelés à se prononcer. Le texte ne distingue pas clairement entre les règles applicables aux procédures extra judiciaires ou aux procédures judiciaires. Il aurait été utile le faire, plutôt que de considérer que la situation actuelle, qui voit les deux procédures coexister, a vocation à perdurer. Pourquoi? Tout simplement parce que les règles actuelles ne sont déjà pas assez claires, comme l'a illustré l'affaire Sunshine.fr. Le rôle du «tiers» choisi par l'Office pour statuer sur la demande de suppression ou de transfert n'est pas précisé, et les critères «d'intérêt légitime» et « d'usage de mauvaise foi» du titulaire mis en cause non définis. Ces précisions et celles relatives à la procédure devant l'Office seront apportées par décret en Conseil d'Etat.

Le choix entre une procédure extrajudiciaire devant l'Office et une procédure judiciaire sera-t-il toujours possible? Il est permis d'en douter. Dans la négative, comment imaginer que les juges ne pourraient plus statuer que suite à un recours d'une décision de l'Office, ou bien sur les demandes de réparation faisant suite à une décision de l'Office, ou encore sur des demandes d'interdiction d'usage de nom de domaine pour certaines activités?

L'enjeu: la visibilité du .fr au service de la création de valeur
Il est particulièrement regrettable qu'un texte flou et incomplet ait été soumis au vote des parlementaires. Même si l'objectif n'est pas de définir le statut juridique du nom de domaine, il s'agissait de fixer des règles simples susceptibles d'évoluer, en cohérence avec le régime de protection des autres signes distinctifs, dans le cadre de l'Union européenne et des règles communautaires, dans le but de favoriser le déploiement et la visibilité du .fr, actuellement en dix huitième position au niveau mondial, loin derrière d'autres extensions de pays plus petits, telles que le .nl des Pays-Bas.

La visibilité est un enjeu fondamental sur Internet et le nom de domaine est l'outil clé pour l'atteindre. Il est contraire aux intérêts des entrepreneurs et des justiciables que le régime juridique du .fr, en tant que code pays du territoire national, génère insécurité et incohérence. Cette situation est en totale contradiction avec les objectifs de croissance de l'économie numérique française sous son extension naturelle, qui est le .fr.