La Jurisprudence pro-hébergeur se confirme peu à peu

Deux décisions récentes viennent confirmer s'il le fallait le statut de l'hébergeur et la limite de sa responsabilité, tout en reconnaissant en filigrane la réalité d'un business model encore fragile.

I - La première décision concerne l'affaire Dailymotion/Roland Magdane rendue par la Cour d'Appel de Paris le 13 octobre 2010.

La Cour d'Appel de Paris confirme le jugement du TGI de Paris rendu le 29 avril 2009, lequel n'avait pas donné droit aux demandes de Roland Magdane et de sa société de production, qui réclamaient la condamnation du site de vidéo en qualité d'éditeur des vidéos de l'humoriste diffusés sur sa plateforme.

L'un des arguments de Roland Magdane était en effet de faire valoir que Dailymotion tirait des revenus publicitaires de la diffusion desdites vidéos et qu'en conséquence, il en assurait l'édition sur sa plateforme.

Or, la Cour d'Appel confirme la position des premiers juges qui avaient écarté le critère du financement des sites web 2.0 par le biais de la publicité pour considérer qu'ils étaient éditeurs des contenus mis à disposition.

Le critère permettant de déterminer si un site est éditeur ou hébergeur est celui du contrôle sur les contenus disponibles. En l'espèce, les juges ont constaté que le financement du site ne ciblait pas particulièrement telle ou telle vidéo et qu'il n'était donc pas possible de soutenir que les revenus de Dailymotion provenaient de la diffusion des vidéos de Roland Magdane spécifiquement.

La Cour rappelle à ce titre qu'un hébergeur peut financer son site via des revenus publicitaires. Elle prend ainsi la mesure du modèle économique des sites de partage de vidéos qui doivent dépenser des fortunes en bande passante et serveurs pour permettre la connexion simultanée et la lecture de vidéos par des milliers voire des millions de visiteurs.

Par ailleurs, la Cour considère qu'une organisation dans la présentation des contenus, tels qu'un réencodage ou un reformatage, doit être considérée non pas comme un contrôle de l'hébergeur sur les contenus diffusés mais comme des opérations techniques propres à assurer une viabilité du site d'hébergement. Là encore, la Cour rejette les arguments des auteurs tendant à soutenir que Dailymotion est bien loin d'exercer une simple prestation d'hébergement.

C'est donc une victoire certes pour Dailymotion, mais pour tous les sites 2.0 d'agrégation de contenus. L'hébergeur dispose ainsi de moyens étendus pour organiser son site, peut le financer via des revenus publicitaires sous la seule et unique réserve qu'il n'intervienne/modifie/contrôle le contenu diffusé.

Cette décision serait certainement différente si Dailymotion avait créé une page dédiée exclusivement aux vidéos de Roland Magdane, ne contenant que les vidéos de l'artiste et sur laquelle figureraient des publicités. Les revenus ainsi tirés de ces publicités seraient directement liés aux vidéos présentes sur cette page. Le contrôle ici sur les contenus diffusés serait certainement retenu à l'encontre du site.

II - Le seconde décision a été rendue par le juge des référés du TGI de Paris le 20 octobre 2010.

Ici le juge rappelle le principe de subsidiarité prévu par la Loi sur la Confiance dans l'Economie Numérique selon lequel toute action doit être dirigée en priorité contre l'auteur ou l'éditeur du contenu litigieux et à défaut contre l'hébergeur. En d'autres termes, l'hébergeur ne peut être poursuivi que si et seulement si l'éditeur et l'auteur du contenu litigieux sont introuvables.

En clair, dans cette affaire, seul l'hébergeur avait été assigné alors que l'éditeur du blog litigieux était parfaitement identifiable puisque ses coordonnées figuraient sur les pages du site.

Le juge reproche au demandeur à l'action de n'avoir entrepris « aucune action, telle que la saisine du juge des requêtes, aux fins de disposer des éléments d'identification du responsable de ce blog, lequel au demeurant ne se dissimulait nullement, ses prénom et nom étant indexés dans l'adresse de son site ».

Le juge relève en revanche que l'hébergeur a bien cherché, quant à lui, à contacter l'éditeur du blog pour l'informer de la demande de retrait des contenus que le demandeur jugeait illicites. Selon le magistrat, il « s'est comporté en l'espèce comme un professionnel averti et exigeant, soucieux de la liberté d'expression et s'étant conformé aux prescriptions du Conseil constitutionnel ».

Par ces deux décisions, les juges tiennent donc à rappeler qu'hébergeur et éditeur sont bien deux statuts distincts et que chacun dispose d'un régime juridique propre. On décèle en filigrane la portée économique de ces décisions qui ont vocation à protéger le modèle économique de l'hébergement et notamment des sites web 2.0, devenus pour certains des leaders de l'Internet.

La reconnaissance d'une responsabilité éditoriale de sites comme Youtube, dailymotion ou Flickr (sites de partage de photos) pourrait entraîner leur disparition, tous n'étant pas adossés à des gros groupes capables d'absorber les coûts.

Cette jurisprudence pro-hébergeur a le mérite de clarifier la loi en permettant à l'hébergeur de connaître les limites de son statut. La latitude ainsi laissée aux hébergeurs par les tribunaux pourrait leur assurer une stabilité de leur business model, du moins sur le point juridique ce qui n'est déjà pas si mal...